Rechercher
Rechercher

À La Une - Liban- Exposition

Des photos... pour que plus jamais ça

C’est dans le cadre du Beirut Art Fair, inauguré hier, que se tient « Generation War », montée par Katya Traboulsi, commissaire d’exposition, et en présence de la « marraine » de cet événement, journaliste et grande reporter française, Marine Jacquemin.

« Generation War », un rendez-vous exceptionnel avec le travail d’un groupe de photographes : Patrick Baz (notre photo), Jack Dabaghian, Aline Manoukian, Georges Azar, Samer Mohdad et Roger Moukarzel. Ils ont fait la guerre, puis la paix, à leur façon. Et ils le montrent, ils l’exhibent, pour que plus jamais ça...

Ils font partie de cette génération qui a grandi dans l’ambiance surréaliste de la guerre civile du Liban. Compagnons d’armes à peine sortis de l’adolescence, ils ont sillonné les années 1980, côtoyé et immortalisé la mort avec pour regard, pour arme et pour complice un appareil photo à la fois témoin et rapporteur de la folie contagieuse des hommes. Comment, en effet, traverser ces zones de démence quotidienne, devenue ordinaire, presque banale, en revenir le plus intact possible et poursuivre son chemin avec ces cicatrices morales ? Que sont-ils devenus, ces héros de l’ombre, cachés derrière un objectif courageux, avide d’images à rapporter, au plus près de la vérité, au plus près de la cruauté aussi ? Certains ont pris des chemins de traverse alors que d’autres ont poursuivi leur « mission », aguerris ou pas par toutes les guerres du monde.


C’est un peu leur histoire que l’artiste-peintre Katya Traboulsi a voulu retrouver et partager, dans une exposition très justement baptisée « Generation War ». Chacun y apporte sa charge de souvenirs et de clichés saisissants. Ce n’est pas, comme elle tient à le préciser, une exposition de plus (de trop) sur la guerre. « Je me suis surtout intéressée à leur histoire que nous avons retracée visuellement. Ces photographes vivaient une guerre qui les concernait, en même temps qu’ils devaient en être les témoins objectifs. Je voulais comprendre comment ils se sont retrouvés là, comment ils ont vécu ces épreuves, et montrer des photos qui sont de véritables œuvres d’art. » Courageux, insouciants, voire totalement inconscients, liés par une belle amitié, il suffit de réunir Patrick Baz, Jack Dabaghian, Aline Manoukian, Georges Azar, Samer Mohdad et Roger Moukarzel pour que ressurgissent les souvenirs du passé, accompagnés de fous rires très privés. Sans doute une manière d’exorciser les vieux démons, de définitivement tordre le cou à toutes ces peurs et les inhumer. 

 

La couverture de l’ouvrage.



Parcours individuels
Pas encore arrivé au bout de ces conflits qui l’auront mené au bout du monde et peut-être de lui-même, Patrick Baz, lauréat de nombreux prix journalistiques, est toujours dans le métier. « De ces trente années de photojournalisme, je garde un sentiment de frustration né de l’impossibilité de tout fixer. Des souvenirs qui refont surface. Des nuits plus blanches que d’autres », écrit-il. À 16 ans, un appareil emprunté à son père lui révèle une passion nouvelle. Pendant ses huit années de free-lance, ces clichés ont fait la une de la presse internationale (Paris Match, Time, Newsweek, Stern, Der Spiegel, L’Express...) entre 1980 et 1988. En 1989, il couvre la intifada palestinienne pour l’AFP puis hante de son objectif et sa sensibilité la première guerre du Golfe, le Kurdistan, la Somalie, la Bosnie, l’Irak et l’Afghanistan. Actuellement directeur photo de l’AFP pour la région MENA, toujours actif sur des fronts qui s’embrasent, il a publié en 2009 Don’t Take My picture, Iraqi Don’t Cry (éd. Tamyras), un journal en images où il a partagé son regard sur la guerre en Irak. 

 

Roger Moukarzel et Jack Dabaghian.

 


Jack Dabaghian a vécu 23 ans dans la peau d’un photojournaliste avant de définitivement déposer les armes et déserter les terrains de guerre en 2006, victime de ce qu’il appelle un accident. Une « descente aux enfers où toutes ces peurs anciennes, ces blessures physiques et émotionnelles sont ressorties ». Durant ces années passées, ses photos ont été édités dans Time Magazine, Paris Match, The Economist, The International Herald Tribune ou encore The New York Time. De même, il a remporté en 1994 le prix 52nd POYi Award of Excellence in Newspaper Spot News. En 2009, il choisit de rejoindre la photo commerciale et publicitaire, heureux surtout de financer des projets personnels qui touchent à l’humain. 


« J’ai évidemment eu mes convictions personnelles et j’ai pris parti pendant la guerre civile, mais pour ce qui est de la photographie, mon objectif principal est resté le même, dénoncer la souffrance humaine », a confié Aline Manoukian. Après avoir entrepris des études d’histoire de la photo et de technique de laboratoire en Californie, la jeune femme se lance dans le photojournalisme pour le Daily Star en 1983. Quatre ans plus tard, elle est responsable du service photo de Reuters pour le Liban et la Syrie, tout en continuant à couvrir la guerre civile au Liban. Elle s’installe à Paris en 1989 et devient correspondante pour l’agence new-yorkaise Black Star puis Rapho. La naissance de son fils lui fera abandonner la photo qu’elle retrouve autrement, en tant qu’agent et iconographe indépendante, notamment pour Le Nouvel Observateur. 

 

Aline Manoukian.

 


George Azar, Libanais d’origine né à Philadelphie, photojournaliste et réalisateur de documentaires, a (re)découvert et passionnément aimé le Liban en travaillant pour Associated Press, United Press International et enfin Gamma Paris. Arrivé à Beyrouth à 22 ans, il aura rapporté au New York Times, International Herald Tribune, Economist, Newsweek et Philadelphia Inquirer l’invasion israélienne de 1982 et toutes les petites guerres de notre guerre. « Dans mes photos, j’ai essayé de voir la beauté du Liban dans ces moments terribles, et l’humanité des combattants et des civils qui ont enduré la guerre. Mais je crois que j’y ai laissé une partie de moi-même ici. » Ses reportages pour al-Jazira ont remporté de nombreux prix, le dernier, un film autobiographique intitulé Beirut Photographer, faisant partie de la sélection officielle des Emmy Awards 2013. 


Samer Mohdad, photographe et initiateur du concept « Arab Images », expert en médias créatifs et en communication visuelle, a débuté avec l’agence Vu à Paris en 1988. Ces images, dit-il, sont dédiées « aux victimes de toutes les guerres qui sont mortes pour ce qu’elles ont pris pour un idéal... ». 

 

George Azar.    


Last but not least, Roger Moukarzel, reporter précoce à 15 ans puis pour Sygma et Reuters – ses clichés ont été publiés par les plus grands magazines internationaux, dont Paris Match qui a choisi une de ses photos pour la couverture du livre de son 40e anniversaire –, a définitivement abandonné le photojournalisme pour la photo publicitaire et de mode, un monde coloré, léché, visiblement à l’opposé du noir, blanc et rouge qui l’ont longtemps marqué. « On ne se contentait pas de survivre, on vivait avec passion, férocité et trivialité. On était sous une pluie de balles, on dansait dans les bunkers, on s’adaptait. On devenait plus forts », révèle-t-il.


Tous ces témoignages et autant de confessions sont à découvrir à travers les magnifiques photos exposées au Beirut Art Fair et au cours d’une table ronde, à ne pas rater, le samedi 21 septembre, de 17h à 18h30, en présence des photographes, de Katya Traboulsi, modératrice, et de Marine Jacquemin. Mais aussi dans le très beau livre éponyme de Katya Traboulsi, qui vient de paraître aux éditions Tamyras. À conserver pour que le vécu, également artistique, de ces survivants soit une leçon aux jeunes générations avec un message : « Plus jamais ça ! »

Beirut Art Fair – BIEL, ME.NA.SA.ART, jusqu’au 22 septembre.

 

Pour mémoire

La statue des Martyrs symbole de Beyrouth, ville éprise de liberté

 

Les deux cents visages du Liban, en photos

 

Beyrouth, Destroy... comme une renaissance 

 

Et vous ? Vous faisiez quoi le 13 avril 1975 ?

Ils font partie de cette génération qui a grandi dans l’ambiance surréaliste de la guerre civile du Liban. Compagnons d’armes à peine sortis de l’adolescence, ils ont sillonné les années 1980, côtoyé et immortalisé la mort avec pour regard, pour arme et pour complice un appareil photo à la fois témoin et rapporteur de la folie contagieuse des hommes. Comment, en effet, traverser...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut