Quant au reproche qu’ils font au régime pour son alliance avec l’Iran, il convient de rappeler que ce choix, initié par Hafez el- Assad, n’était pas motivé par la parenté entre chiites et alaouites, mais par des considérations de realpolitik – existence d’un ennemi commun, en l’occurrence l’Irak de Saddam Hussein – et volonté de rompre l’isolement dans lequel s’était trouvé la Syrie après l’accord de Camp David. Autre argument relativisant l’explication par le seul facteur religieux des clivages actuels : le fait que le Hezbollah soit devenu la bête noire des populations sunnites du monde arabe, depuis son intervention en Syrie, alors qu’il en était le héros après sa « victoire divine » autoproclamée sur Israël en 2006. Sur la scène libanaise locale, la rivalité sunnito-chiite est principalement due à des causes politiques : la lutte pour le pouvoir entre ces deux communautés ; et, en matière de politique étrangère, leur alignement respectif sur les deux axes régionaux rivaux. D’où (contrairement à ce qui s’était passé en 1975-1990 ), l’absence d’hostilité de la part des deux camps envers la partie chrétienne, désormais politiquement marginalisée, et ayant un pied aussi bien au sein du 8 comme du 14 Mars. On ne peut malheureusement pas en dire de même des chrétiens de Syrie, instruits du sort de leurs frères irakiens, et qui risquent, comme eux, de faire les frais de la guerre civile qui déchire leur pays.
Cet environnement perçu comme hostile ne peut qu’inquiéter les chrétiens d’Orient. Face à la montée de l’islamisme et à son refus de l’acceptation du pluralisme, ils balancent entre la tentation de l’émigration et celle du repli sur soi. Cette tendance s’est manifestée récemment dans le cas du Liban par le ralliement d’une partie de l’opinion chrétienne au projet de loi électoral dit « orthodoxe ». Prévoyant l’élection par chaque communauté religieuse de ses propres députés, il aurait renforcé le confessionnalisme politique, rendant plus illusoire que jamais l’instauration d’une laïcité citoyenne au Liban. Bien que n’ayant pas été adopté, et sans vouloir le justifier, il n’en reflète pas moins, sous une forme certes radicale, la thèse selon laquelle un régime politique permettant une représentation équitable des différentes communautés est mieux adapté aux États pluriethniques ou pluriconfessionnels que les régimes politiques fondés sur la démocratie du nombre. C’est le cas du système politique libanais de « démocratie consensuelle », malgré ses défauts, dont la menace récurrente de paralysie et la propension des autorités religieuses à se mêler de politique. D’ailleurs les malheurs de l’Irak et de la Syrie semblent démontrer, qu’en terre d’Orient, la laïcité formelle des institutions politiques n’est pas synonyme de démocratie et n’empêche pas l’accaparement sectaire du pouvoir. Et il n’est pas impossible, au cas hypothétique où une solution politique devrait voir le jour en Syrie, qu’elle s’inspire soit du modèle libanais de fédération de facto de communautés sur une base non territoriale, soit du modèle irakien. Solutions sans doute seules à même d’éviter un démembrement, des représailles sanglantes ou une épuration ethnique. Ce scénario s’inscrit dans une tendance mondiale de montée du communautarisme et des sentiments d’appartenance identitaires. Et dans un contexte où même le modèle idéal de laïcité républicaine à la française peine à continuer à jouer son rôle intégrateur.