Rechercher
Rechercher

À La Une - Le billet

Syrie option 1, le président lance l’offensive

Choisir le cours de l’histoire. Telle était la promesse des « livres dont vous êtes le héros », un format qui eut son heure de gloire dans les années 80. Le principe de ces livres-jeux est simple : à la fin de chaque chapitre, le lecteur se voit proposer plusieurs options pour la suite de l’histoire. Il en choisit une et saute au chapitre lui correspondant. Un même livre recelait ainsi plusieurs histoires.

Dans ce livre, tu es le président des États-Unis.

Chapitre 1 : En ce mercredi matin, les images se répandent comme une trainée de poudre de Damas au reste du monde. Des images d’hommes, de femmes et d’enfants étendus sur un lit ou à même le sol, les yeux clos sur des pupilles dilatées. Pas de sang, pas de bruit. Des hommes, des femmes et des enfants comme endormis. Dans le bureau Ovale, ces images défilent devant les yeux du président. En face, un bataillon de généraux, conseillers et secrétaires d’État attend un mot, un signe. En vain. Depuis quelques minutes déjà, le président ne voit plus les images. Dans son esprit tourbillonne une ligne rouge, sur laquelle dansent des ombres comme autant de cauchemars.

Option 1 : le président décide que le régime syrien est à l’origine de l’attaque chimique et que sa ligne rouge a été franchie. Va au chapitre 2.
Option 2 : le président estime ne pas disposer de preuves suffisantes quant à l’implication du régime. Saute au chapitre 3.

Chapitre 2 : Le président regarde sa signature au bas de l’ordre de déploiement de moyens militaires. Il tente d’y déceler un signe de sa réticence. Rien, le trait est précis. Dans la pièce adjacente, un porte-parole annonce à la presse que toutes les options sont prêtes si le président décide d’ordonner une intervention. À des milliers de kilomètres, une secrétaire du ministère russe des Affaires étrangères relit un communiqué de mise en garde contre les conséquences « extrêmement graves » d’une frappe en Syrie. Le téléphone sonne, c’est Cameron. Dans son anglais trop articulé, il lui annonce que la guerre se fera sans les Tommies. Le président vient de raccrocher quand l’appareil se remet à vibrer. C’est François Hollande qui l’assure de sa disponibilité. L’histoire à de ces ironies, pense-t-il.

Option 1 : le président se dit que le soutien de son nouveau plus vieil allié suffit à lancer l’offensive. Va au chapitre 4.
Option 2 : le président réalise que sa coalition est pathétique, pense à l’Irak, à l’opposition de Michelle à la guerre, et décide de gagner du temps. Va au chapitre 5.

Chapitre 3 : Le porte-parole sue sous sa veste, il se demande si les projecteurs des équipes télé y sont pour quelque chose. La seule bonne nouvelle du jour : il n’a pas à prendre de questions. « Tu lis et tu t’en vas », lui a-t-on dit. Il se racle la gorge. « Les États-Unis ont maintenant des preuves que des armes chimiques ont été utilisées en Syrie. Mais nous ne savons pas par qui, ni quand ni comment. Le président doit être certain d’avoir tous les éléments. »

Option : tu ne peux que reprendre la lecture du chapitre 1.

Chapitre 4 : « M. le Président, ils attendent votre feu vert. » Assis derrière son bureau, le président attend. Mais quoi ? Quelque chose, n’importe quoi, un miracle qui lui permettrait de ne pas le donner ce feu vert. « M. le Président ? »
« Oui, oui. » « Vous donnez votre feu vert ? » Comment en est-il arrivé là ? Il n’aurait jamais dû quitter Chicago. « M. le Président, donnez-vous votre feu vert ? » Rien, il ne se passera rien qui pourra le sortir de ce pétrin. « Oui, lancez l’opération. » Il réalise qu’il n’a jamais entendu un Tomahawk exploser.

Option 1 : la frappe américaine suscite des condamnations, mais aucune réaction. Va au chapitre 7.
Option 2 : Damas tire quelques missiles qui finissent au fond de la Méditerranée. Va au chapitre 7.
Option 3 : Damas et ses alliés ripostent, la région explose, le téléphone rouge est coupé. Va au chapitre 8.

Chapitre 5 : Le président traverse à grandes enjambées la roseraie de la Maison-Blanche. Un photographe, accroupi dans l’herbe, le mitraille. Parfait, la contre-plongée le rend plus grand encore, exactement ce dont il a besoin aujourd’hui. Il a 45 minutes de retard, le monde l’attend. « J’ai décidé de demander le feu vert du Congrès pour une opération militaire contre la Syrie. » Sa voix est trop grave, son regard trop dur, il le sait. Dans le bureau Ovale, ses conseillers ont lancé l’offensive « Convince the Congress ».

Option 1 : le Congrès finit par voter oui. Va au chapitre 4.
Option 2 : victimes des syndromes irakien et électoral, les élus traînent les pieds. Va au chapitre 6.

Chapitre 6 : Le président le sait, le Congrès va fort probablement le lâcher. Que faire pour sauver la face ? « Il nous reste les Russes », lui dit Kerry. Le président n’aime pas Poutine, qui le lui rend bien. À huis clos, au G20, le Russe lui propose un deal : pas de frappe en contrepartie de la neutralisation de l’arsenal chimique syrien.

Option 1 : pas faisable, pas sérieux, vulgaire manœuvre politique dilatoire : le président rejette le plan russe. Retourne au chapitre 5 et attends que le Congrès vote.
Option 2 : jugeant qu’il lui permet au moins de gagner du temps, le président accepte le plan russe. Va au chapitre 9.

Chapitre 7 : Le président a donné la claque qu’il voulait donner, Assad l’a encaissée, la routine de la guerre civile aux armes classiques peut reprendre, le monde est revenu à l’ordre antérieur.

Option : tu peux reprendre l’histoire en revenant au chapitre 1.

Chapitre 8 : Le bureau du président est couvert de papiers. Sur chaque papier, quelques lignes, certaines à base de mots, l’état des lignes de front, d’autres couvertes de chiffres, le bilan des morts. Le président prie pour que tout ça soit bientôt fini.

Option : ...

Chapitre 9 : Michelle sourit au président, c’est la première fois depuis le 31 août qu’elle lui sourit. À Damas, Bachar el-Assad confirme son engagement dans le plan russe.

Option 1 : Assad bluffe. Retour au chapitre 1.
Option 2 : Assad ne bluffe pas.
Choisir le cours de l’histoire. Telle était la promesse des « livres dont vous êtes le héros », un format qui eut son heure de gloire dans les années 80. Le principe de ces livres-jeux est simple : à la fin de chaque chapitre, le lecteur se voit proposer plusieurs options pour la suite de l’histoire. Il en choisit une et saute au chapitre lui correspondant. Un même livre...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut