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Frappes et attrapes

En brisant le tabou que constitue l’usage d’armes chimiques contre les populations civiles, en suivant les traces de Saddam Hussein qui gazait allègrement les villes kurdes d’Irak, Bachar el-Assad joue apparemment son va-tout. Les optimistes y verront la preuve que le dictateur syrien (qui, à vrai dire, n’en était plus à une atrocité près) a dû recourir à de telles extrémités parce que sa capitale était directement menacée désormais par la progression des rebelles. C’était là, en quelque sorte, sa ligne rouge à lui ; en défendant celle-ci d’aussi criminelle manière, il était parfaitement conscient d’enfoncer les interdits d’un Occident qui se dit intraitable sur la question.

 

Mais le président syrien vient aussi de placer la communauté internationale devant toute une gamme de choix tous difficiles, sinon tous mauvais. Pour l’Amérique, en effet, davantage encore que pour ses alliés d’une puissance bien moindre, tout envoi de troupes au sol est exclu ; n’est-ce pas d’ailleurs parce qu’il s’était engagé à ramener les boys d’Irak et d’Afghanistan que Barack Obama doit, en grande partie, son ticket d’entrée à la Maison-Blanche ?

 

Ne restent plus dès lors, en lice, que les frappes ciblées à l’aide d’avions, de missiles ou encore des drones contre des objectifs militaires syriens, les Occidentaux ayant fait savoir qu’ils ne cherchaient nullement à provoquer la chute du président Assad. C’est bien là cependant que tout se complique, pour les généraux aussi bien que pour les dirigeants politiques. Premier volet du dilemme : veut-on seulement sanctionner l’impudent ou bien le mettre, une fois pour toutes, dans l’incapacité de lâcher des gaz neurotoxiques sur ses infortunés concitoyens ? Dans un cas comme dans l’autre, c’est à un délicat dosage que devra obéir sans doute la nature et l’ampleur des représailles annoncées.

 

Frapper trop fort, ce serait d’une part bousculer dramatiquement l’actuelle balance des forces entre le régime de Damas et les rebelles. Or il est clair désormais que l’Amérique et l’Europe redoutent tout autant une victoire finale des islamistes qu’un triomphe de l’axe groupant la Syrie, l’Iran et le Hezbollah. Voilà pourquoi la grande presse américaine en est à plaider ouvertement pour la perpétuation du sanglant statu quo, faisant notamment valoir qu’après tout, ce sont quatre ennemis de l’Occident que l’on voit s’étriper consciencieusement sur la scène syrienne. Frapper trop fort ce serait, par ailleurs, risquer de susciter des ripostes de la part de l’Iran et de son prolongement libanais, susceptibles de mettre le feu à la région tout entière. Les Russes, quant à eux, ne se privent pas de crier à la violation du droit international ; ils ont vite fait savoir toutefois qu’ils n’étaient nullement désireux de mourir pour la Syrie : surprenant aveu, laissant croire que le Kremlin ne s’attend pas à davantage qu’un baroud d’honneur et qu’il n’en fera pas une maladie...

 

Tout cela ne rend que plus probable encore l’éventualité de frappes d’envergure passablement limitée. Si tel devait être le cas, les Occidentaux n’auraient qu’à moitié sauvé la face. Mais surtout, et en dépit de leur vertueuse indignation, ils n’auraient en rien mis la population de Syrie – ou même des pays avoisinants – à l’abri de la gazomanie baassiste, impératif qui représente pourtant le fond du problème. Lancées pour le principe, les frappes aériennes US des années 80 contre la Libye de Kadhafi et les installations d’al-Qada au Soudan n’ont eu aucun effet, et c’est des décennies plus tard qu’il a fallu refaire, à grands frais, le travail. Ce n’est pas avec un spectaculaire mais peu concluant feu d’artifices que pourra être maîtrisé le brasier syrien.

 

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

En brisant le tabou que constitue l’usage d’armes chimiques contre les populations civiles, en suivant les traces de Saddam Hussein qui gazait allègrement les villes kurdes d’Irak, Bachar el-Assad joue apparemment son va-tout. Les optimistes y verront la preuve que le dictateur syrien (qui, à vrai dire, n’en était plus à une atrocité près) a dû recourir à de telles extrémités...