Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Des méfaits du « retour du religieux »

Par Ibrahim TABET
À Baalbeck, on est accueilli par des portraits géants de Hassan Nasrallah et des drapeaux du Hezbollah. Mépris de la tolérance qui régnait dans ses temples dédiés au culte syncrétique des dieux ; insulte à l’art raffiné de la calligraphie arabe, le nom d’Allah y est écrit avec un « L » en forme de bras vengeur brandissant une kalachnikov !
Alors que l’empire romain païen avait réussi à intégrer les peuples conquis en admettant tous leurs dieux dans son panthéon, le Dieu des chrétiens, des musulmans et des juifs est devenu une source d’exclusion et d’« identités meurtrières ». Cela a été pendant des siècles le cas de la chrétienté européenne. Tandis qu’au temps où y régnait l’Inquisition, chrétiens et juifs bénéficiaient, au sein de l’Empire ottoman, d’un régime de tolérance exceptionnel pour l’époque. Mais déjà au XIIe siecle, l’islam s’était figé dans une interprétation rigoriste de la religion entravant tout progrès, alors qu’à partir du siècle des Lumières, en se libérant du joug de l’Église, l’Occident allait s’engager dans un processus continu d’avancées sociales, matérielles et scientifiques. Pour le monde arabe, la Nahda a représenté brièvement une lueur d’espoir. Et, avec Atatürk, la Turquie s’était résolument engagée sur la voie de la modernité et de la laïcité, si ce n’est, loin de là, de la démocratie. Mais la Nahda a fait long feu et l’échec du nationalisme arabe a ouvert la voie à l’islamisme politique. Puis à la résurgence de l’antagonisme entre chiites et sunnites, soutenus respectivement par la théocratie iranienne et le wahhabisme saoudien. Enfin, sans vouloir minimiser le fait qu’il ait bridé le pouvoir de l’armée et ses succès économiques, le Premier ministre turc Erdogan est en train de revenir sur les acquis du kémalisme.
Ces développements reflètent moins le retour du religieux au XXIe siècle prophétisé par Malraux qu’un recours à la religion pour d’autres motifs, culturels ou politiques. Une de ses manifestations est le nombre grandissant de femmes voilées qu’on croise dans les rues. Phénomène relevant sans doute moins d’un regain de spiritualité que d’un recours à des signes extérieurs d’appartenance religieuse dans un but d’affirmation identitaire. Mais plus grave est le recours à la religion à des fins politiques. Bien qu’il n’en soit pas la seule cause, il est en partie à l’origine des bouleversements dramatiques dont la région est le théâtre depuis le soi-disant printemps arabe : bains de sang, atrocités et dérive jihadiste du soulèvement en Syrie. Dévoiement du Hezbollah dans la guerre chez nos voisins, qui fait planer sur le Liban la menace de débordement du conflit syrien. Terrorisme et quasi-guerre civile sunnito-chiite en Irak. Espoirs déçus de démocratisation en Tunisie et en Égypte. Menaces de démembrement de certains pays. États faillis ou quasi faillis (le Liban n’en est pas loin)...
Ces crises et ces guerres sont le symptôme de deux maladies plus profondes : celle dont souffre le monde arabe miné par l’absence de démocratie et celle que traverse l’islam. Outre qu’elles semblent accréditer les thèses de l’incompatibilité entre islam et démocratie (en partie démentie par l’expérience turque) et du choc des civilisations, elles alimentent l’islamophobie. Cela dit, je me réjouis de la déroute des Frères musulmans en Égypte. J’espère que leur lamentable échec – d’ailleurs annoncé – les discréditera auprès d’une partie de ceux qui, dans les autres pays arabes, seraient tentés d’adhérer à leur idéologie obscurantiste et totalitaire. D’après un article paru dans la presse : « Porter la barbe et le niqab peut devenir dangereux en Égypte ». Sans en arriver jusqu’à une telle extrémité, on peut regretter que le Liban et la France, au nom du respect des libertés individuelles, ne s’inspirent pas de certaines mesures du regretté Atatürk contre les signes ostentatoires de fanatisme religieux. Je déplore également l’aveuglement des gouvernements occidentaux, plus particulièrement l’administration Obama, et leur complaisance envers les « islamistes modérés » (comme s’il y en avait !). Au lieu de dénoncer le soi-disant coup d’État militaire en Égypte, ils auraient mieux fait de s’élever contre les pratiques liberticides des faux frères et leurs agressions contre les coptes. Cela d’ailleurs a été le même cas dans l’affaire syrienne où la France officielle a presque donné l’impression de considérer le sort des chrétiens de Syrie comme un dommage collatéral dans ses appels, d’ailleurs vains, à la chute de Bachar el-Assad. Il est intéressant de remarquer à cet égard la différence entre les déclarations de Paris, de Washington et du Vatican, après l’annonce de l’utilisation massive présumée de gaz par le régime syrien qui reflètent en filigrane leurs priorités respectives. À savoir évidemment, du côté du Vatican, le souci du sort des chrétiens et des minorités de Syrie. Et, pour les Américains, il ne pourrait s’agir apparemment que d’un coup de semonce sous la forme d’une frappe ciblée sur quelques objectifs militaires qui ne servira sans doute à rien. Entre la peste (le régime syrien) et le choléra (les islamistes radicaux qui dominent l’opposition), je comprends que les puissances occidentales répugnent à prendre parti. D’ailleurs l’ère de leurs interventions militaires au Moyen-Orient est révolue.
Il y a quelques jours, j’ai regardé une émission sur le cosmos sur Arte. Il y avait des images magnifiques de notre galaxie. Celle-ci comprendrait deux cent milliards d’étoiles et la distance entre la Terre et son centre serait de vingt-cinq mille années-lumière. Les autres galaxies se comptent par milliards. Un des scientifiques interrogés déclara qu’il était peu probable que nous soyons seuls dans l’univers et qu’il existe peut-être, rien que dans notre galaxie, des centaines de civilisations dont certaines sont sans doute plus avancées que la notre. Pourquoi dans ces conditions, me suis-je dit, Dieu, s’il existe, aurait-il dépêché le Christ et Mohammad aux seules fins d’assurer le salut des Terriens ? Les hommes du XXIIIe siècle considéreront sans doute nos croyances de la même manière que nous le faisons avec les mythes de l’Antiquité. Et peut-être qu’au contact des habitants des autres planètes, nous oublierons nos origines nationales, ethniques ou religieuses pour nous considérer simplement comme des Terriens.
À Baalbeck, on est accueilli par des portraits géants de Hassan Nasrallah et des drapeaux du Hezbollah. Mépris de la tolérance qui régnait dans ses temples dédiés au culte syncrétique des dieux ; insulte à l’art raffiné de la calligraphie arabe, le nom d’Allah y est écrit avec un « L » en forme de bras vengeur brandissant une kalachnikov ! Alors que l’empire romain païen...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut