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À La Une - Ramadan

Au Maghreb, certains non-jeûneurs ne se cachent plus pour se nourrir

Un mouvement de protestation poussé par la radicalisation des régimes politiques.

Le 3 août, à Tizi Ouzou, des non-jeûneurs ont organisé un pique-nique public en plein jour pour dénoncer "l'instrumentalisation de la religion" par les autorités algériennes. AFP/FAROUK BATICHE

Dans un pays où les non-jeûneurs encourent jusqu’à cinq ans de prison et une amende de 100.000 dinars (environ 1.250 dollars), quelque 500 Algériens, parmi lesquels des artistes, intellectuels et journalistes, ont bravé l'interdit en rompant le jeûne du ramadan le 3 août dernier, au vu et au su de tous dans le centre ville de Tizi Ouzou, la capitale de la Kabylie située à 100 km au nord-est d’Alger.

Ce samedi-là, aux alentours de midi, les manifestants, une clope à la main et un verre dans l’autre, ont dénoncé ce qu’ils considèrent être "l'inquisition" et "l'instrumentalisation de la religion" par les autorités algériennes et ont réclamé le droit de "vivre la religion" comme bon leur semble. En la matière, il s'agit d'une action collective sans précédent en Algérie.

 

"Ce qui vient de se passer à Tizi Ouzou est très important car il est vital que des personnes se mobilisent clairement en faveur de la liberté de conscience en Algérie", se réjouit Cherif Ferjani, professeur de sciences politiques à Lyon et militant de longue date des droits humains.

 

L’initiative des dé-jeûneurs de Tizi Ouzou rappelle celle lancée en Tunisie via Twitter au début du mois de ramadan. Grâce au hastag #fater et à une Google Map développée par la bloggeuse Myriam Karoui, les fataras (non-jeûneurs) tunisiens ont pu connaître les adresses des cafés et restaurants ouverts pendant le mois sacré. Sur un groupe Facebook créé pour l'occasion et en réaction aux propos d'un prêcheur radical, Adel Almi, qui les avaient menacés, les non-jeûneurs ont également posté leurs photos "en action", sirotant des cafés sur les terrasses ensoleillées ou engloutissant des gâteaux au beau milieu de l’après-midi. 

 

Le royaume chérifien n'est pas en reste, puisque ce récent phénomène des non-jeûneurs maghrébins a justement démarré avec l'appel émis par des activistes marocains appartenant pour la plupart au Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali) qui compte près de 4.000 sympathisants sur sa page Facebook. Réclamant le droit de ne pas jeûner, le mouvement a organisé en 2009, au cours du mois de ramadan, un pique-nique en plein air. En 2012, il récidivait avec une pétition en ligne pour exiger l'abrogation de l'article 222 du code pénal. Un texte de loi qui prévoit une peine de six ans d'emprisonnement et une amende pour les Marocains musulmans rompant "ostensiblement le jeûne dans un lieu public". Au 9 août, la pétition n'avait toutefois recueilli qu'un peu plus de 1.800 adhésions.

 

Cette vague de protestation qui traverse actuellement l'ensemble du Maghreb, semble poussée par la radicalisation des régimes politiques et de la société à l'égard de ceux qui ne veulent pas observer le jeûne. Promesse de libertés, le Printemps arabe semble avoir aussi eu pour effet de désinhiber les partisans d'un islam radical et d’accroître l’intolérance des forces politique vis-à-vis des fataras.

 

Ainsi, les non-jeûneurs de Tizi Ouzou se sont très vite attiré les foudres des plus conservateurs du pays. Dans une vidéo postée le 4 août sur YouTube, Ali Belhadj, numéro 2 de l’ex-Front Islamique du Salut (FIS, islamiste, interdit depuis 1992 après avoir failli remporter les législatives), reproche à l’État algérien et aux services de sécurité leur attitude "passive" face aux non-jeûneurs. Un "État musulman" n’a pas à tolérer les provocations des "non-jeûneurs", dit-il, appelant à les "emprisonner ou à les exécuter".

Environ un millier d'islamistes radicaux, en chemises longues (kamis) et accompagnés de femmes voilées, ont par ailleurs manifesté pour condamner l'action des dé-jeuneurs. Ces derniers ont également été condamnés par le Haut conseil islamique algérien, qui a dénoncé une "attitude relevant de la provocation et de l’exhibitionnisme".

 

"Depuis 2012 et une circulaire du ministère tunisien de l’Intérieur, la vente de boissons et produits alimentaires de manière ostensible est interdite durant le ramadan. Seules les zones touristiques sont épargnées", regrette Cherif Ferjani. "Il y a de moins en moins de cafés et de restaurants ouverts la journée", poursuit-il, alors que pendant son enfance à Kairouan, petite ville située à 150 km au sud-ouest de Tunis, dans les années soixante, les patrons de cafétéria ne fermaient jamais boutique.

 

"A l’internat de mon lycée, il y a avait même un dortoir réservé aux élèves qui ne jeûnaient pas afin qu’ils ne soient pas dérangés par les jeûneurs qui se levaient pour le sahur", se rappelle ce professeur de sciences politiques, pour qui le Printemps arabe n'a fait qu'accélérer un processus en cours depuis une vingtaine d'années au Maghreb, notamment en Tunisie.

"La montée de l’intolérance religieuse depuis le début des années 1980 ne fait aucun doute", assure-t-il. C’est avec l’arrivée au pouvoir en avril 1980 de l’ancien Premier ministre Mohamed Mzali, proche des islamistes, qu’une chasse aux non-jeûneurs a commencé en Tunisie, explique Cherif Ferjani. Une circulaire interdisant aux restaurateurs de servir à un Arabe un verre d’alcool pendant le ramadan est entrée en vigueur. Ces derniers devaient également placer à la porte de leur établissement un rideau pour cacher ceux qui avaient décidé de ne pas observer le jeûne. Les non-jeûneurs "étaient traités comme des voleurs", lâche amèrement Cherif Ferjani.

 

Même si quelques initiatives défendant la liberté de conscience voient le jour un peu partout au Maghreb, la pression sociale reste beaucoup trop forte pour que les non-jeûneurs s'assument complètement, notamment en Algérie, un pays qui accueille moins de touristes occidentaux que ses voisins tunisien et marocain. Par mimétisme, peur de représailles des salafistes ou sous l'influence des chaînes des pays du Golfe, ils sont de plus en plus nombreux à jeûner par obligation et non pas par conviction au Maghreb. "C’est de l’autocensure", déplore Cherif Ferjani.

 

Pour mémoire

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