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Un monde de solutions - Belgique

L’espoir fou de la cellule-souche

Des chercheurs d’une petite spin-off belge utilisent leur expérience des maladies rares du foie et de la transplantation hépatique pour mettre au point une nouvelle thérapie cellulaire. Cette nouvelle cellule, actuellement en test dans cinq pays, pourrait sauver des centaines de vies et soulager des milliers de patients autour du globe.

10 à 12 heures par jour, la peau de Pierre, 4 ans, doit être exposée aux rayons ultraviolets pour diminuer la quantité excessive de birilubine qui lui donne une peau jaune, comme s’il avait une jaunisse, mais qui ne finit jamais.

Le petit garçon dort, recroquevillé dans une sorte de grande couveuse adaptée à sa taille. Pierre a quatre ans. 10 à 12 heures par jour, sa peau doit être exposée aux rayons ultraviolets pour diminuer la quantité excessive de birilubine qui lui donne une peau jaune, comme s’il avait une jaunisse, mais qui ne finit jamais.

 

Il souffre de la maladie de Crigler-Najjar, une maladie grave du foie, d’origine génétique et rare. Une mutation empêche son foie de produire une enzyme qui guérit de la célèbre jaunisse du nourrisson. Celle-ci devient en fait permanente. Mais avec des conséquences bien plus lourdes que la couleur de la peau…

La birilubine, qui d’habitude est dégradée par le foie et éjectée sous forme d’urine, risque chez ces malades d’atteindre le cerveau et de l’endommager de manière irrémédiable. Si les crises se multiplient, le décès est possible suite à une brusque décompensation et une hausse de l’ammoniaque sanguine. Certains patients peuvent contrôler la maladie en contrôlant leur diète et en utilisant des médicaments qui diminuent le risque, mais pour d’autres, il y a peu de solutions disponibles.

 

« Pour les jeunes patients, le seul traitement est l’exposition aux rayons ultraviolets, 10 à 12 heures par jour, donc généralement la nuit. Ils ne peuvent pas porter de pyjama ni être sous les couvertures. Sans cela, il y a un risque permanent de complications neurologiques graves dues à la neurotoxicité de la birilubine qui n’est pas détoxifiée par l’enzyme manquante du foie. Ce traitement est extrêmement lourd et handicape profondément leur vie sociale. La seule solution est la transplantation hépatique. Mais c’est une opération lourde et les donneurs d’organe restent trop rares », explique le professeur Etienne Sokal, chef de service de gastro-entérologie et hépatologie pédiatrique aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCL) à Bruxelles.

Au degré aigu, la greffe restera le seul traitement recommandé. Le développement de greffe de foie avec un donneur vivant, généralement un proche, a permis de sauver de nombreux patients. Les donneurs peuvent donner un lobe de leur foie, qui se régénère ensuite.

 

 

Guérir des dizaines de patients à partir d’un seul donneur

Mais d’autres solutions pourraient être offertes aux malades moins atteints grâce à la greffe de cellules. L’équipe du professeur Sokal a en effet découvert en 2005 une cellule très particulière du foie, la HHALPC. « C’est en fait une cellule progénitrice. Ce ne sont plus des cellules souches, elles se sont déjà différenciées pour devenir des cellules du foie. Mais elles ne sont pas encore matures et supportent par conséquent beaucoup mieux la cryopréservation à basse température sans être abîmée. Elles peuvent aussi être cultivées en laboratoire, ce qui permet potentiellement de guérir des dizaines de patients à partir d’un seul donneur. »

Cela, c’est l’actuel espoir de l’équipe de St-Luc, qui a lancé une société, appelée Promethera Biosciences, pour mener les essais cliniques nécessaires pour valider cette nouvelle thérapeutique.

 

Les chercheurs ne se lancent pas dans l’inconnu. Ainsi, ils ont déjà traité avec succès 15 patients en leur greffant des cellules de foie appelées hépatocytes : « Elles se fixent dans le foie du receveur et permettent de lui donner une fonction qu’il n’a pas à la naissance. De même qu’un hémophile, qui perd beaucoup de sang s’il n’a aucun facteur antihémophilique, perdra “ordinairement” son sang s’il acquiert ne fût-ce qu’un pour cent de ce facteur, nous avons constaté qu’il suffit qu’un jeune patient acquière 4 % de cellules de foie produisant l’enzyme qui lui manque pour que la jaunisse et la toxicité de la birilubine soient tellement atténuées qu’il puisse mener quasi une vie normale, avec des soins très réduits », s’enthousiasme le professeur Etienne Sokal.

 

 

« Réacteur » biologique

Mais les hépatocytes « ordinaires » ont l’inconvénient majeur de ne pas se conserver facilement, étant détruits par le froid. Il faut donc un donneur par patient traité. L’utilisation de cellules progénitrices permet de contourner cet inconvénient et d’utiliser une seule lignée cellulaire, multipliée dans un « réacteur » biologique, pour soigner des dizaines de patients.

Cultivées à Mont-St-Guibert, où des installations spécifiques ont été construites spécialement et validées par les autorités européennes du médicament, elles pourront aussi être utilisées dans le monde entier. Un camion spécial, chargé de transporter les cellules dans de l’azote liquide afin de les délivrer « au lit du patient », a même déjà été mis au point.

 

Aujourd’hui, une étude de validation de cette thérapie est en cours. Sur base des premiers résultats très prometteurs, cinq pays ont donné leur accord pour que des patients soient « infusés » avec cette nouvelle cellule : Belgique, Grande-Bretagne, France, Italie et Israël. Le premier patient a été implanté début 2012 et, à la mi-2013, 18 patients auront reçu la thérapie. Les patients sont atteints soit de Crigler-Najjar, soit de maladies du cycle de l’urée, une autre maladie orpheline du foie.

 

Les résultats seront jaugés à la mi-2014, après un an minimum d’examen des résultats. « L’espoir est évidemment de pouvoir ensuite entamer des essais de phase 3, les derniers avant l’enregistrement définitif de la thérapie », explique Eric Halouia, l’administrateur-délégué de Promethera Biosciences. « Pour la maladie du cycle de l’urée, on estime qu’il y a sans doute 3.000 patients concernés en Europe et quelques centaines pour le syndrome de Crigler-Najjar. Mais il y a évidemment des patients dans toutes les parties du globe. Nous ambitionnons de mener deux études simultanées, au niveau européen et nord-américain, afin de satisfaire les spécificités de chaque autorité de vérification du médicament. Le statut de médicament orphelin et même ultra-orphelin nous permet de bénéficier d’une protection étendue du brevet et de réduction des coûts d’enregistrement des brevets. Mais cela reste évidemment une aventure pleine de défis ».

 

A ce stade, par exemple, les chercheurs ne peuvent pas dire si une seule infusion de cellules suffira pour que le foie se « convertisse » définitivement à un fonctionnement normal ou au moins suffisamment amélioré pour pouvoir mener une vie normalisée. Ou s’il faudra multiplier ou répéter les infusions tout au long de la vie du patient. Le plus étonnant est que les cellules cultivées dans le réacteur biologique, infusées par cathéter via la veine porte, qui alimente directement le foie, ne dépassent pas cet organe, qui les capte intégralement, pour se répandre dans le reste de la circulation sanguine.

 

 

Un enregistrement dès 2018 ?

Tous, aujourd’hui, croisent les doigts. Si les résultats sont aussi exceptionnels qu’espéré, l’enregistrement du médicament pourrait advenir dès 2018, les autorités du médicament disposant de procédures de « voie rapide » (fast-tracks) quand une nouvelle thérapeutique se distingue particulièrement par rapport aux soins actuels ou pour rencontrer le besoin d’une maladie orpheline (particulièrement rare).

 

Mais les chercheurs ont mis beaucoup de chances de leur côté : « Nous avons précédemment testé le procédé chez trois patients aigus, dans un cadre académique, avec des résultats très prometteurs puisque les cellules ont été parfaitement tolérées, sans rejet et qu’elles étaient encore présentes après plusieurs mois. Notre espoir réside sur un principe assez simple : on greffe des cellules fonctionnelles dans un foie qui ne l’est pas et celui-ci le devient grâce à cette greffe. Si cela fonctionne comme on l’espère, cela pourrait servir pour toutes les maladies métaboliques du foie à origine génétique. Or, il y a en a plus de 200 ! ».

 

Pierre, qui dort toujours avec un bandeau pour protéger ses yeux de la lumière ultra-violette, s’est retourné dans son lit. Peut-être rêve-t-il que dans quelques années l’utilisation de ces cellules progénitrices le libérera de ce calvaire permanent…

 

 

Cet article fait partie de notre notre édition spéciale "Un monde de solutions".

 

 

 

 

Le petit garçon dort, recroquevillé dans une sorte de grande couveuse adaptée à sa taille. Pierre a quatre ans. 10 à 12 heures par jour, sa peau doit être exposée aux rayons ultraviolets pour diminuer la quantité excessive de birilubine qui lui donne une peau jaune, comme s’il avait une jaunisse, mais qui ne finit jamais.
 
Il souffre de la maladie de Crigler-Najjar, une maladie grave...

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