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À La Une - Turquie

« Tous les Turcs sont sous pression et ils veulent qu’Erdogan s’en aille »

À Istanbul et Ankara, les manifestants continuent à défier le gouvernement.

Ce couple de nouveaux mariés a tenu à participer aux manifestations sur la place Taksim d’Istanbul pour fêter ses noces, l’époux arborant même un masque à gaz.  Gurcan Ozturk/AFP

Au troisième jour de leur mouvement, les manifestants turcs ont maintenu hier la pression sur le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan en occupant la place Taksim d’Istanbul, tandis que de nouveaux incidents ont éclaté dans la capitale Ankara.


Des milliers de personnes ont envahi à partir de la mi-journée l’emblématique place du centre de la mégapole turque, désormais vide de toute présence policière après deux jours d’incidents violents qui ont fait plusieurs centaines de blessés et provoqué l’arrestation de près de mille manifestants dans toute la Turquie. Fer de lance du plus important mouvement de contestation populaire du gouvernement islamo-conservateur turc depuis son arrivée au pouvoir en 2002, les militants de la société civile turque ont largement cédé la place à la gauche et à l’extrême gauche qui ont célébré leur victoire après le retrait des forces de l’ordre samedi. Noyée sous leurs bannières à dominante rouge des Partis communiste et socialiste ou de la cause kurde, la place Taksim a résonné pendant de longues heures sous les slogans tels que « gouvernement, démission ! » et « Istanbul est à nous ! » De crainte d’un retour des forces de l’ordre, des barricades faites de planches ou de carcasses de voitures ont été érigées dans la plupart des rues avoisinantes, gardées par des manifestants bien décidés à en découdre encore avec les autorités. « Tous les Turcs sont sous pression depuis dix ou onze ans, a confié Hallit Aral, aujourd’hui, tout le monde veut que le Premier ministre s’en aille. »

 

Des manifestants contre la destruction du parc Gezi et la politique du gouvernement turc samedi à Istanbul. AFP /BULENT KILIC


Si aucun incident n’a été signalé à Istanbul dans la journée, les forces de l’ordre sont une nouvelle fois intervenues hier après-midi à Ankara pour disperser, à grand renfort de gaz lacrymogènes et de canons à eau, un millier de personnes qui voulaient marcher sur les bureaux de M. Erdogan. Dans la nuit de samedi à dimanche déjà, des affrontements très violents avaient opposé policiers et manifestants dans la capitale, causant d’importants dégâts. Selon le syndicat des médecins d’Ankara, 414 civils avaient été blessés dans ces incidents, dont six souffrant de graves traumatismes à la tête. De son côté, l’agence de presse Anatolie a fait état de 56 blessés au sein des forces de l’ordre. Des incidents similaires s’étaient produits dans la nuit autour des bureaux stambouliotes du Premier ministre, dans le quartier de Besiktas.


Sous le feu des critiques, le Premier ministre a été contraint samedi de lâcher du lest, au terme de deux jours d’affrontements, ordonnant à la police de quitter la place Taksim et le petit parc Gezi, dont la destruction annoncée a donné le signal de la révolte. Les organisations de défense des droits de l’homme turques et étrangères ont dénoncé la violence de la répression, faisant état de plus de mille blessés. Amnesty International a même évoqué la mort de deux personnes. Ces chiffres n’ont pas été confirmés de source officielle. Le ministre de l’Intérieur, Muammer Güler, a cité samedi soir des chiffres nettement inférieurs, parlant de 79 blessés, 53 civils et 26 policiers. Hier, M. Güler a précisé que la police a interpellé plus de 1 700 personnes et que la plupart ont été remises en liberté. Un total de 235 manifestations ont été recensées dans tout le pays depuis le 28 mai, a-t-il ajouté, cité par l’agence de presse Anatolie.
Au sein même du pouvoir, plusieurs voix dissonantes se sont fait entendre pour regretter la brutalité des interventions policières. Le chef de l’État, Abdullah Gül, a jugé « inquiétant » le niveau de la confrontation. Et le vice-Premier ministre Bülent Arinç a prôné le dialogue « plutôt que de tirer du gaz sur des gens ». « La poursuite de ces manifestations (...) n’amènera aucun bénéfice, mais va nuire à la réputation de notre pays, qui est admiré à la fois dans la région et dans le monde », a pour sa part déclaré le chef de la diplomatie, Ahmet Davutoglu, sur son compte Twitter. Des pays alliés occidentaux, comme les États-Unis et le Royaume-Uni samedi, puis la France hier, ont eux aussi appelé le gouvernement turc à la retenue.

 

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Face à ces réactions, le Premier ministre a reculé et concédé que la police avait agi dans certains cas de façon « extrême ». « Il est vrai qu’il y a eu des erreurs et des actions extrêmes dans la réponse de la police », a-t-il dit, ajoutant qu’une enquête avait été ordonnée par le ministère de l’Intérieur. Mais il a répété qu’il mènerait le projet d’aménagement urbain contesté de la place Taksim jusqu’à son terme. Et comme un nouveau défi aux manifestants qui lui reprochent de vouloir « islamiser » la société turque, M. Erdogan a confirmé hier qu’une mosquée serait bâtie sur la place Taksim, rendez-vous traditionnel de toutes les contestations à Istanbul. « Oui, nous allons aussi construire une mosquée. Et je ne vais pas demander la permission du président du CHP (Parti républicain du peuple, principal parti d’opposition) ou à une paire de pilleurs pour le faire, a-t-il lancé, ceux qui ont voté pour nous nous ont déjà donné l’autorité pour le faire. » « S’ils appellent dictateur quelqu’un qui sert le peuple, a-t-il encore lancé, ironique, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? »


« Ces manifestations ne sont pas l’œuvre d’une poignée de militants ou d’une organisation, mais l’expression d’une frustration généralisée de la part de gens de toutes les tendances politiques », juge le politologue Ilter Turan, de l’université privée Bilgi d’Istanbul. « C’est un mouvement populaire sans précédent, soudain (...) qui résulte de la frustration et de la déception des franges laïques de la société qui ne peuvent plus influer sur la vie publique depuis dix ans », renchérit Sinan Ulgen, de la fondation Carnegie Europe. De nombreux manifestants d’Istanbul, d’Ankara et des autres villes turques ont exprimé ce ras-le-bol face à un pouvoir qui, disent-ils, veut leur « imposer sa façon de vivre ».
Parallèlement aux événements en Turquie, près de 1 800 personnes ont manifesté samedi soir à Vienne, en Autriche, contre le gouvernement Erdogan et en soutien aux manifestants à Istanbul.

 

 

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