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À La Une - L'Orient Littéraire

Le diamant de la Résistance

Torturé, Jean Moulin mourut « sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous ».

D.R.

Et s’il avait parlé… Le sort de son pays n’aurait-il pas été radicalement différent ? S’il se distingue par une mort héroïque, sa vie le fut tout autant.

 

Plus jeune préfet de France, Jean Moulin sollicite avec insistance l’autorisation de s’engager dans l’armée de l’air au début de la Seconde Guerre mondiale, mais il est placé en « affectation spéciale » par le ministère de l’Intérieur car « jugé plus utile à son poste ». Sa mission consiste alors à porter secours aux victimes des bombardements et à montrer aux Allemands qu’il reste une structure administrative en fonction.

 

Le 17 juin 1940, il refuse de signer un document accusant à tort les troupes sénégalaises françaises de massacres de femmes et d’enfants. Victime d’un passage à tabac en règle et craignant de finir par céder sous la torture, il décide de « se saborder » et se tranche la gorge avec un tesson de bouteille. Il en gardera une cicatrice qu’il prendra l’habitude de cacher sous un foulard.

 

Révoqué par Pétain le 2 novembre suivant, il entre dans la clandestinité. Il utilisera diverses fausses identités durant ces trois années. Il est M. X, Rex, Max, Régis. Il est aussi le caporal Joseph Mercier, Joseph Marchand et Jacques Martel, privilégiant les initiales J.M. à une époque où le linge est brodé.

 

Le 5 novembre 1941, Joseph Mercier rencontre à Londres le général de Gaulle qui le charge de la mission Rex, lui fixant le cap à suivre pour coordonner les mouvements de la zone sud et les buts militaires. Il le désigne comme son représentant, devant lui rendre compte directement. Jean Moulin, « par son action tenace et continue, est l’un des artisans de la réunion des combattants français de l’intérieur et de l’extérieur » ; le pionnier de l’Union avec la France libre.

 

Arrêté le 21 juin 1943, le lendemain de son quarante-quatrième anniversaire, il meurt des suites de ses tortures dans le train qui le conduit en Allemagne. Défendant jusqu’au bout sa fausse identité de Jacques Martel, peintre-décorateur, il griffonnera, agonisant, la caricature de son bourreau, Klaus Barbie ; et n’écrira pas plus qu’il ne parlera.

 

Il fut l’homme le plus intransigeant quant à ses principes et son honneur, le plus intègre, le plus courageux et le plus efficace ; le diamant le plus pur et le plus tranchant de la Résistance.

 

Et c’est un diamant aux multiples facettes que nous révèlent Christine Levisse-Touzé et Dominique Veillon. Plutôt que de l’enfermer dans son rôle de résistant (qu’il a certes vécu pleinement), ils ont choisi d’explorer tous les aspects de la vie publique et privée de ce personnage hors normes. Remontant assez loin… jusqu’à ses grands-parents, à l’enfance de ses parents, à leur promotion sociale et à leurs idées politiques républicaines… Ils relatent avec talent l’enfance de Jean Moulin, ses origines et sa culture méridionales profondément ancrées en lui, son service militaire durant la Grande Guerre, ses études de droit, son apprentissage du métier de sous-préfet, ses loisirs, son amour des femmes et de la vie, ses amitiés politiques et ses débuts dans les ministères en 1932 aux côtés de Pierre Cot.

 

Loin d’être la biographie ordinaire d’un homme extraordinaire, ce livre sort des sentiers battus. Alternant des documents d’archives avec des poèmes qui traduisent « l’âme tourmentée » de Jean Moulin et sa sensibilité à l’égard de la Bretagne, c’est également un album richement illustré : embelli par de très nombreuses photos montrées pour la première fois, mais aussi par les dessins et esquisses de Jean Moulin qui était doué d’un joli coup de crayon. En effet, ce mécène et collectionneur d’art était également un artiste confirmé qui publiait et exposait sous le pseudonyme de Romanin. Un très bel ouvrage, de grande qualité, à avoir absolument dans sa bibliothèque, ne serait-ce qu’en raison des lettres manuscrites qu’il nous donne à lire, si différentes mais pareillement émouvantes : de la première lettre d’un enfant au père Noël à la dernière lettre d’un homme traqué, surveillé, conscient que ses jours sont comptés, et qui exprime ses dernières volontés.

 

Jean Moulin « n’a pas été le résistant oublié après la guerre ». Lors du transfert de ses cendres au Panthéon, le 19 décembre 1964, André Malraux, alors ministre de la Culture, débute un discours d’anthologie par ces mots : « Comme Leclerc entra aux Invalides, entre ici Jean Moulin… » Entre ici Jean Moulin… Entre dans nos cœurs et dans nos mémoires…

Retrouvez l'intégralité de L'Orient Littéraire ici.

Et s’il avait parlé… Le sort de son pays n’aurait-il pas été radicalement différent ? S’il se distingue par une mort héroïque, sa vie le fut tout autant.
 
Plus jeune préfet de France, Jean Moulin sollicite avec insistance l’autorisation de s’engager dans l’armée de l’air au début de la Seconde Guerre mondiale, mais il est placé en « affectation spéciale » par...

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