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À La Une - Rencontre

Auteur iconoclaste, Rachid Boudjedra croit au pouvoir des révolutions

Communiste engagé, auteur iconoclaste, en lutte permanente contre « les tabous et l’hypocrisie sociale », l’écrivain algérien Rachid Boudjedra dénonce aussi avec virulence « l’islam de l’interdit ».

Rachid Boudjedra, rencontré dans le lobby de son hôtel à Beyrouth.  Photo Michel Sayegh

De passage à Beyrouth, à l’occasion d’un séminaire sur son œuvre, organisé par l’Université Balamand, ce grand écrivain algérien d’expression aussi bien française qu’arabe n’en est pas à sa première visite au pays du Cèdre.
«Le Liban est le premier pays arabe que j’ai découvert. J’y étais venu en 1972 y chercher les Palestiniens, parce que j’écrivais un livre intitulé Journal palestinien, j’y ai rencontré mon ami Adonis. Depuis, je suis revenu à Beyrouth à plusieurs reprises, y compris durant la guerre, pour le tournage du film Nahla du réalisateur Farouk Beloufa, également une histoire palestinienne dont j’avais cosigné le scénario.»
Sympathisant de la cause palestinienne certes, Rachid Boudjedra n’en est pas moins «obnubilé» par l’Algérie qui reste l’axe central de l’ensemble de son œuvre. «C’est un pays douloureux, fragile et contradictoire, comme le Liban. Un pays passionnant dont je voudrais» redire «l’histoire d’une façon plus honnête que ce qui a été fait jusque-là», explique-t-il.
Justement, redire l’histoire à travers le roman peut-il changer les choses? La réponse fuse, catégorique: «Absolument pas. L’art n’a jamais changé quoi que ce soit. Il n’y a que les révolutions, pacifiques ou violentes, qui peuvent changer les choses. Les artistes, les écrivains n’y peuvent rien.»

Nostalgique d’un « islam ordinaire »
Alors pourquoi écrivez-vous? «J’écris pour ne pas mourir, pour ne pas me suicider, pour me libérer. J’écris pour moi-même», assure-t-il. Sauf que, depuis La Répudiation, son premier roman entamé en prison (« j’ai été arrêté 2 fois: en 1965, au moment du coup d’État de Boumediene puis en 1967», raconte-t-il), jusqu’à son dernier, Les figuiers de Barbarie, édité en 2010, Rachid Boudjedra n’a eu de cesse de critiquer et de dénoncer dans ses livres «l’hypocrisie sociale et l’intégrisme», cet «islam de l’interdit» qui n’a rien à voir avec «l’islam ordinaire» que j’ai connu quand j’étais enfant. L’islam de mes parents qui n’interdisait pas de boire, d’avoir des amis juifs et qui n’était pas restrictif des libertés.»

Condamné, contestataire et communiste
Cet intellectuel contestataire parmi les plus menacés, condamné à mort par une fatwa du FIS dans les années 80, ne s’est jamais laissé museler par la peur. Après avoir vécu 6 ans en France (1969 à 1974), où il publiera 6 ouvrages en français – dont La Répudiation et Topographie idéale pour une agression caractérisée, salués comme des chefs-d’œuvre par la critique ainsi que par les grandes figures du nouveau roman français à l’instar de Robbe-Grillet, Claude Simon ou Nathalie Sarraute – il retourne au pays pour écrire en arabe «ses romans» les plus durs, les plus virulents et les plus iconoclastes. Et lutter par la plume contre toutes les formes de dictature.
En authentique communiste «convaincu qu’on est condamné à progresser», il est persuadé qu’à l’image de l’Algérie, aujourd’hui sortie de l’emprise rétrograde du FIS, les dictatures obscurantistes qui, suite aux contre-révolutions du printemps arabe, ont remplacé en Égypte et en Tunisie les dictatures éclairées – «contre lesquelles je luttais pourtant» – sont vouées à disparaître.


Traduite dans 42 pays, enseigné dans toutes les universités, l’œuvre de Rachid Boudjedra a fait à ce jour, semble-t-il, l’objet de 12000 thèses dans le monde. Outre ses thèmes engagés, son écriture «scripturale», toute en découpages cinématographiques et picturaux, lui ont valu d’être sollicité par de nombreux metteurs en scène algériens puis français, italiens ou belges pour l’écriture de scénarios. Il a ainsi été le scénariste de Chronique des années de braise, qui a obtenu la Palme d’or à Cannes en 1975. Il a également reçu le Prix du roman arabe pour Les figuiers de Barbarie en 2010.
Lorsqu’on lui demande quels sont les livres les plus emblématiques de sa pensée, il répond sans hésiter: «Topographie idéale pour une agression caractérisée, mon troisième roman écrit en français qui parle du racisme à travers le métro de Paris et La Prise de Gibraltar, que j’ai écrit à l’origine en arabe et que j’ai traduis moi-même en français pour Denoël, mon éditeur parisien avec qui je collabore depuis plus de 40 ans.» Depuis que cette maison d’édition a lancé sa carrière, en 1969, en publiant son premier manuscrit, le désormais célèbre La Répudiation qui parlait si crûment d’amour, d’hypocrisie et de perversion sexuelle qu’il était impossible à publier, à l’époque, dans le monde arabe, «même à Beyrouth», signale-t-il.


Fidèle à ses idées, ses convictions et ses amitiés, cet homme, au premier abord quelque peu bourru, évoque aussi le souvenir d’«Antoine Moussali, mon meilleur traducteur, un prêtre libanais de la confrérie des petits frères des pauvres, qui a vécu en Algérie durant 25 ans et partageait mon idéal communiste».
Un idéal auquel Boudjedra n’a jamais renoncé. Citant, à ce sujet, le célèbre architecte brésilien Oscar Niemeyer à qui l’on demandait, dans une interview accordée au journal Le Monde à l’occasion de ses 100 ans, s’il était resté communiste et qui avait répondu: «Pourquoi, il n’y a plus de pauvres aujourd’hui?»

De passage à Beyrouth, à l’occasion d’un séminaire sur son œuvre, organisé par l’Université Balamand, ce grand écrivain algérien d’expression aussi bien française qu’arabe n’en est pas à sa première visite au pays du Cèdre. «Le Liban est le premier pays arabe que j’ai découvert. J’y étais venu en 1972 y chercher les Palestiniens, parce que j’écrivais...

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