Néanmoins, le chef de ce Conseil judiciaire, Marwan Kayed, un juge qui a fait défection pour rejoindre l’opposition, est fier d’apporter une alternative à la justice religieuse. Il n’est pas prêt d’oublier le cas d’une jeune fille en jean moulant, présentée mi-mars par des rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL), principale force d’opposition armée, qui l’accusaient de soutenir le régime. Ce magistrat expérimenté à la chevelure poivre et sel a consacré une audience à écouter patiemment les combattants avant de se tourner vers la prévenue. Cette dernière lui a raconté s’être approchée d’un rebelle pour témoigner de son soutien et avoir fait une plaisanterie au sujet du président Bachar el-Assad, mais il y a eu un malentendu et le combattant l’a accusée. « Si je soutenais vraiment Assad, a-t-elle dit au juge, je ne le ferais pas de façon aussi flagrante. »
Le juge Kaed se rappelle avoir longuement réfléchi avant de la libérer, une décision qui a fortement déplu aux rebelles. Il a fait valoir que la jeune femme n’aurait pas dû être jugée en fonction de sa tenue incongrue dans la ville conservatrice d’Alep où la plupart des femmes portent des tenues islamique amples. « Et quand bien même elle soutient le régime idéologiquement mais pas militairement, avons-nous le droit de l’arrêter pour ses convictions ? » avait-il lancé aux combattants. « Nous ne devons pas diaboliser ceux qui voient les choses autrement que nous. Nous devons être tolérants envers des idées différentes et soutenir la diversité d’expression », a-t-il insisté, reconnaissant que les rebelles avaient du mal à accepter cette position.
Mais ce tribunal laïc est parfois considéré comme un « tigre sans dents », y compris au sein de l’ASL, qui a pourtant soutenu sa mise en place. Directrice d’une école primaire d’Alep, Nour al-Haq s’est ainsi tournée vers la puissante justice islamique quand son mari, chef d’une brigade de l’ASL, a été arrêté par des rebelles dissidents qui l’accusaient de vol. Le tribunal a immédiatement convoqué le chef des rebelles dissidents et lancé une enquête, raconte-t-elle. Les tribunaux islamiques ont le soutien des groupes armés les plus puissants à Alep, dont le Front al-Nosra, qui a fait allégeance à el-Qaëda, les salafistes d’Ahrar ach-Cham ou encore Liwa’ al-Tawhid, lié aux Frères musulmans. Ils ont déjà condamné des criminels à subir des coups de fouet avec des cordes en plastique, mais n’ont pas jusqu’à présent pratiqué l’amputation ou la lapidation, comme le permet la loi musulmane.
Cette justice fait toutefois trembler le Dr Haj Othman, qui soigne les habitants blessés des zones rebelles. Il y a un mois, ce praticien a été arrêté par des policiers envoyés par le tribunal islamique pour avoir retiré de son bureau un poster sur lequel était inscrite la profession de foi musulmane. Il a été relâché le lendemain matin, mais ce qui l’inquiète, c’est d’avoir été interpellé sans aucun mandat d’arrêt officiel. « Le pouvoir doit être différent de celui du régime Assad. Nous ne voulons pas qu’une dictature soit remplacée par une autre », affirme-t-il.
Le juge Kayed a également eu des démêlés avec la justice islamique, lorsque celle-ci a arrêté des confrères qui voulaient rénover un bâtiment pour y installer un nouveau tribunal civil. « Mais au final, nous sommes tous frères car celui qui combat le régime est mon ami », souligne M. Kayed, tout en se disant dubitatif sur la possibilité de réunir les deux systèmes judiciaires.
(Source : AFP)
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EXCELLENT ! ENFIN !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
11 h 10, le 27 avril 2013