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Culture - Rencontre

Peter Sellars, passeur de cultures, exhumeur de tombes

Le metteur en scène américain Peter Sellars a entamé sa semaine beyrouthine par un hymne à la création. Devant les artistes libanais, il a largué sa profession de foi, sincère et pénétrante, sur l’importance de l’activité théâtrale.

Le verbe prolixe, le rire toujours prêt à monter en fusée, Peter Sellars fait de l’activisme culturel.

Il a toujours ses mèches en brosse (en pétard plutôt), ses yeux bleus pétillants, ses chemises bariolées et ses colliers grigris. Les mains jointes touchant son front, il s’incline légèrement pour saluer les passants qui le dévisagent. Les autres, ceux qui viennent l’aborder, il leur réserve un «hug» et trois bises spontanées. Dans les jardins de l’Institut culturel français, où il s’apprête à donner une conférence, Peter Sellars accorde quelques minutes d’entretien aux journalistes. Le verbe prolixe, le rire toujours prêt à monter en fusée, il apostrophe Dania Hammoud, l’actrice danseuse membre de Zoukak, l’association culturelle qui l’invite à prendre la parole aujourd’hui. «Hello Gorgeous, you’re so glamorous.» Toujours aussi convivial, exubérant, expansif...
À 56 ans, le metteur en scène partage son temps entre Los Angeles, New York, l’Europe et le continent africain. Sans compter ses nombreux voyages vers des pays «exotiques» à la recherche de voix et de voies d’artistes. Sa précédente visite au Liban avait eu lieu avec le début de son mentorat artistique avec la Libanaise Maya Zbib dans le cadre du programme Rolex. C’était en décembre 2010. Entre-temps, Zbib, cofondatrice de l’association Zoukak, a côtoyé «l’enfant terrible de la mise en scène», l’accompagnant dans les diverses étapes de son processus créatif. Et, aussi, dans les voyages, le dernier en Afrique du Sud, dont le couple mentor protégé vient juste de débarquer.
«Maya a présenté son travail dans le cadre de Zoukak, de l’activisme social et culturel qu’elle y entreprend, notamment en faveur des droits de la femme. Elle a été formidable. Le public l’a adorée», note en préambule l’activiste pour «une scène qui dénonce». «Je suis heureux d’être à Beyrouth», poursuit-il, mentionnant l’énergie positive de cette ville, de ses habitants, leur volonté de survivre, malgré tout. Deux petits tours, des incartades humoristiques, un récit émouvant sur les rites funéraires à Bali qui ressuscitent les morts pour mieux les laisser partir, et Sellars monte à la salle Montaigne où, devant un parterre d’artistes et de metteurs en scène, il partage sa vision sur l’engagement politique et le militantisme social à travers l’art. Un véritable hymne à la création, durant lequel l’artiste se déplace entre les chaises micro à la main, clamant les vertus conviviales du théâtre: ce théâtre qui, pour lui, n’a de valeur que parce qu’il est une «occasion de rencontre entre des êtres humains». «Dans un monde où le contact humain se fait de plus en plus rare, il faut absolument que le théâtre, événement-rencontre par excellence, survive comme lieu où le contact est encore possible; il faut contrer le rejet et la violence qu’engendrent l’ignorance et la peur de l’autre. D’abord, comme microcosme, le théâtre est une sorte de laboratoire de la communication en direct, car tous sont engagés dans la recherche d’un consensus autour d’un projet qu’il faut mener à terme», scande-t-il, à la manière de ces coachs qui viennent initier les disciples au positivisme.
Puisqu’il travaille toujours avec des gens issus de milieux différents (pays, formation, âge, classe sociale), il dit expérimenter, à petite échelle, tous les problèmes humains et, par conséquent, faire la preuve qu’il est possible de leur trouver des solutions en misant sur ce que les gens ont en commun (entre autres, une certaine fragilité) plutôt qu’en soulignant ce qui les distingue, et surtout en respectant le fait que chacun est un individu distinct et unique.
Ensuite, parce qu’il invite le spectateur à une rencontre, le théâtre est encore l’occasion d’un autre type de contact. «Quand il fait partie d’un public, le spectateur doit “accepter” son voisin et faire partie, ne serait-ce que quelques heures, d’une communauté particulière. L’interaction entre les comédiens et les spectateurs, et entre les spectateurs eux-mêmes, est bénéfique et contrecarre la tendance à l’individualisme et à l’isolationnisme (choses qui, il est facile de le deviner, mènent souvent à l’étroitesse d’esprit)», note Sellars.
Selon lui, l’individu n’est plus seul devant l’événement artistique, comme il l’est devant son poste de télévision, et sa perception en sera immanquablement influencée. Pour le metteur en scène américain, cette possibilité de vivre et de faire vivre, une expérience artistique en commun, est la principale richesse du théâtre et sa raison d’être.
Le théâtre doit toujours aboutir à une interrogation sur le monde; il ne peut pas que le décrire. Et il ne peut pas demeurer non plus seulement cette expérience humaine entre des acteurs, si profitable soit-elle pour eux.
Radicalement opposé au classicisme, Sellars a fait ses études à Harvard, où il s’initie au théâtre de marionnettes. Diplômé en 1981, il monte en 1982 le fameux opéra de George Frideric Handel, Orlando, suite auquel il acquiert une certaine notoriété. Il est directeur de la Boston Shakespeare Company en 1983 et 1984 avant d’être nommé, à l’âge de 26 ans, manageur de l’American National Theater à Washington. Il entame une collaboration avec le compositeur John Adams sur plusieurs de ses opéras: Nixon in China en 1987, The Death of Klinghoffer en 1991 et Doctor Atomic en 2005. Parallèlement, il enseigne le théâtre à l’université à partir de 1988.
Initialement, Sellars s’est consacré au théâtre. Très vite, le talentueux rebelle des scènes contemporaines fait sortir cette discipline d’elle-même. Il la confronte à l’opéra, à la danse, à l’image. Et inversement. Son credo: «Exits and entrances», ou «sortir du théâtre, entrer dans l’opéra» pour en faire un spectacle moderne, c’est-à-dire vivant. En mélangeant les styles, les époques, les cultures, il réactualise Mozart en déplaçant l’intrigue de Don Giovanni aux États-Unis, aujourd’hui. Partisan d’une démocratie du spectacle, il affirme que le théâtre doit réveiller les esprits, sur le ton de l’humour et de l’ironie. «Proximité, engagement, lyrisme» caractérisent l’esthétique de Sellars.
Peter Sellars se réclame d’un théâtre de la cité, au sens grec du mot: un lieu d’échanges et de réflexion. C’est dans cette optique qu’il monte Les Perses d’Eschyle en 1993, en pleine guerre du Golfe. Quand il présente Les Enfants d’Héraclès d’Euripide, en 2002, il fait appel, dans tous les pays où se joue la pièce, à des chœurs formés d’enfants de sans-papiers et organise tous les soirs, à l’issue du spectacle, un débat sur le droit d’asile.
Sellars revendique la dimension politique de ses spectacles. Sa mise en scène de la trilogie Mozart-Da Ponte (Don Giovanni, Les Noces de Figaro et Cosi fan tutte), au début des années 1990, est restée exemplaire d’une démarche qui allie fidélité à l’œuvre originale et actualisation radicale de son contexte.
Si le trublion est avant tout metteur en scène d’opéras et de théâtre, il a toujours mobilisé tous les arts, que ce soit la littérature, les arts plastiques ou l’architecture, pour son travail.
«Faire de la politique au théâtre, c’est partager un espace, c’est vivre un moment d’émotion dans une “zone protégée”. Permettre un acte d’imagination dans un lieu collectif, c’est créer des liens entre les spectateurs.»
On l’aura compris, Peter Sellars est en plein dans l’activisme culturel. «Je suis à Beyrouth en ce 13 avril, date très symbolique, marquant le début de la guerre. À cette occasion, je vous dis, exhumez vos morts, c’est le seul moyen de purifier vos âmes et celles de ceux qui ont souffert», martèle-il. «Commencez par une tombe, une histoire, une souffrance et le reste suivra», conclut-il en s’adressant aux artistes. Ainsi soit-il.
Il a toujours ses mèches en brosse (en pétard plutôt), ses yeux bleus pétillants, ses chemises bariolées et ses colliers grigris. Les mains jointes touchant son front, il s’incline légèrement pour saluer les passants qui le dévisagent. Les autres, ceux qui viennent l’aborder, il leur réserve un «hug» et trois bises spontanées. Dans les jardins de l’Institut culturel français,...

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