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À La Une - En dents de scie

Amigos en el Señor

Onzième semaine de 2013.
C’est de la belle ouvrage que cette inspiration divine, cette main de Dieu qui a poussé quatre-vingt-dix cardinaux sur cent quatorze à noter, sur leur petit bulletin passementé, de leur écriture travestie mais méticuleuse, ce nom, ce simple nom, Bergoglio, qui, ils le savaient pertinemment, révolutionnera sûrement le catholicisme. Un choix réfléchi – et malicieux : comment peut-on encore les accuser, et à travers eux le Vatican et la chrétienté dans son ensemble, d’être sclérosés dans leurs habitudes, figés dans leur comfort zone, empaillés dans cette espèce de féodalisme abortif, cacochyme et finalement tellement contreproductif ? En bouleversant totalement et à deux reprises l’histoire, ces cardinaux ont créé un tsunami : non seulement Bergoglio vient du Sud, mais il est jésuite. Dans sa tombe, le pape Clément XIV a dû esquisser un tango. Et de son bureau, le père Sélim Abou son plus beau sourire.
Mais peu importe : il y a dans l’ADN d’un homme du Sud cent et une émergences, d’entières pampas de possibles, et tellement de promesses. Des promesses de regards nouveaux, d’analyses nouvelles, de conceptions inédites, d’être-au-monde novateurs, moteurs et féconds. De chamboulements, de chavirements même. Dans la douceur et dans la fermeté. Que Dieu vous pardonne, a lancé le cardinal argentin à ses anciens pairs. C’était pendant le dîner qui a suivi son élection au trône de Pierre.
Mais peu importe : il y a, dans l’ADN d’un jésuite, du titane et du béton ; au-delà des promesses, il y a des engagements, immarcescibles, pluricentenaires, indiscutables : un jésuite, avec la kyrielle de défauts qui sont les siens, qu’ils soient mythes ou réalités, est avant tout et surtout un passeur. Qui (re)donne ce qu’il a reçu, qui transmet, qui apprend, qui partage, qui élève, qui rapproche l’autre, avec un sens inné de la pédagogie, du verbe et de la chair. Qui tient absolument, plus partageur que prosélyte, à éclaircir, tempérer et assister une conscience. Une âme.
Et si cet homme du Sud, ce jésuite devient, pour la première fois dans l’histoire de la papauté, Souverain Pontife, cela ne peut présager, même dans ces colonnes athées jusqu’à la moelle, que de belles et bonnes lumières. Surtout que n’importe quel morphopsychologue, fût-il tout débutant, n’aura vu, justement, que de la lumière dans le visage du successeur de Benoît XVI. Une lumière réfléchie, contrôlée, calculée, sans doute, mais une lumière apaisante, empathique, rassurante surtout. Et tout un symbole : ce François, Francesco, Francis, Franciscum choisi par Mgr Bergoglio, aucun pape ne l’avait porté, aucun des 265 hommes qui ont fait l’Église n’y avait pensé, plus encore : n’y était (pré)destiné. Entre François d’Assise, le saint aux oiseaux qui décide d’anamorphoser la dolce vita en une vie dédiée aux pauvres, à la transmission, à l’amour dont regorgent les Évangiles, au big bang divin, et François Xavier, le saint si proche ami d’Ignace de Loyola et cofondateur de la Compagnie de Jésus, le missionnaire stakhanoviste et voyageur, le trait d’union entre catholiques et anglicans... Jorge Mario Bergoglio ne pouvait pas y échapper.
S’il cumule les premières, les inédits, le pape François collectionne aussi les défis, comme autant de travaux d’Hercule : sécularisation à Mach 1 des sociétés occidentales ; réformes des mœurs, entre préservatifs et pilules, célibat des prêtres, unions homosexuelles ; incurie de la Curie romaine ; scandales en tous genres, des VatiLeaks à la pédophilie ; stérilité du gouvernement du Vatican, et la liste est interminable. Mais s’il est un challenge censé préoccuper ce pape attaché organiquement à la nécessité de persévérer dans l’évangélisation, déterminé à créer, à inventer, à tout essayer pour porter l’Évangile jusqu’aux confins extrêmes de la Terre, c’est bien la question des chrétiens d’Orient. C’est bien le danger d’une irakisation de la Syrie, d’une irakisation de l’Égypte, c’est-à-dire d’une désertification chrétienne du Proche-Orient dont le Liban, ce petit Liban, ces identités schizophrènes et paranoïaques à la fois, ce message écrit pourtant à l’encre indélébile serait sans doute aucun la plus retentissante, la plus martyre des victimes sacrificielles et expiatoires. À quoi sert de remporter fût-ce des millions de nouvelles ouailles chinoises si le berceau du christianisme se retrouvait sans chrétiens, sans présence chrétienne, sans interaction islamo-chrétienne, sans tempérance chrétienne, sans effet tampon chrétien entre sunnites et chiites, sans donc pouvoir politique chrétien?
Une question à laquelle le volontairement très optimiste pape François sera irrémédiablement confronté, et plutôt deux fois qu’une. Une question que le pape François discutera immanquablement avec le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï. Lequel ne devrait en aucun cas, qu’il ait voté ou non en faveur de l’archevêque de Buenos Aires, négliger ne serait-ce que le plus insignifiant des conseils papaux.

 

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