À l’heure où des dirigeants ensanglantent et détruisent leur pays pour garder leur siège, le geste de renonciation du pape Benoît XVI, aussi surprenant que retentissant, aussi historique qu’unique dans ses motifs et ses circonstances, malgré des précédents dans l’Église, vient apporter une bénédiction salutaire, tant à l’institution qu’à ses fidèles, et initier, par la rupture effectuée, un renouveau dans l’Église, pourvu que les significations profondes d’un tel geste soient bien appréhendées et interprétées par la curie et par le successeur du Saint-Père, devenu aujourd’hui un Père saint.
L’exemplarité du geste papal dans sa portée éthique, posé avec sérénité et détermination, vient dire au gouvernant, au dirigeant, au politicien, au directeur, à tout détenteur d’une charge donnée, quelle que soit son importance, quel que soit son champ d’action, que lorsque les raisons s’imposent, telles que l’âge, la fatigue, l’incapacité, ou telles que le refus d’un ordre établi, d’une conjoncture, d’une situation, d’un état des lieux, il faut avoir l’intégrité, la dignité et le courage d’annoncer son retrait ou de signifier son refus par la renonciation à sa charge, celle-ci n’étant pas aussi précieuse et sacrée que la charge pontificale qui relève d’une investiture divine et non humaine.
Et comment ne pas voir dans le désistement de notre grand patriarche, le cardinal Nasrallah Sfeir, un précédent tout aussi exemplaire, tout aussi courageux, tant dans les raisons personnelles que ministérielles qui ont dicté le même geste, posé avec la même sérénité et détermination, en y ajoutant le silence monastique ?
Et comment ne pas entendre justement, dans l’annonce de cette abdication, plus qu’un « coup de tonnerre dans un ciel serein », comme l’a dit Mgr Angelo Sodano, mais un coup de semonce dans un espace malsain, d’autant plus que l’Église romaine n’a pas évolué sous les meilleurs auspices depuis sa fondation, comme une sonnette d’alarme sur les eaux cléricales agitées, qui a fait dire au Saint-Père que « Dieu ne laisse pas couler sa barque ».
Comment ne pas s’arrêter sur les mots-clés et les critiques de cette fin de règne, destinés à ouvrir les battants d’un « vrai renouveau » et d’un « vrai concile », solennellement recommandés, sur la nostalgie du concile Vatican II, son ouverture aux autres Églises et religions et l’amertume de sa politisation par les médias de l’époque, sur la « réévangélisation de l’Europe » et la « nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne » prônée par le synode de Rome en octobre 2012 ?
Comment donc ne pas voir dans cette renonciation une courageuse, généreuse, amoureuse dénonciation ? Ou, toutes proportions gardées, l’agneau du Christ qui s’est offert en sacrifice pour la rémission des péchés de cette Église ?
Dans son ultime message pontifical, le pape Benoît XVI s’est invité, et nous a invités avec lui, à la méditation et à la prière, chacun dans sa retraite intérieure et lui dans la sienne, au monastère du Vatican. C’est là où, dans la réclusion, dans le dépouillement, dans l’anéantissement de l’ego, source de tant de maux, et même de tous les maux, que nous pourrions faire l’expérience mystique de la « kénose » et nous revêtir du plus bel habit de Vérité et de Lumière : Jésus de Nazareth (titre d’un ouvrage de cet éminent pape et docteur de l’Église).
C’est là où son dernier commandement papal, en un dernier « tweet », souffle dans un chaleureux chuchotement « Mettez le Christ au centre de vos vies », justement en lieu et place de cet ego dévastateur, à l’endroit où lui-même l’a mis toute sa vie apostolique durant, pour l’enfoncer davantage au moment de se réfugier dans sa Gethsemane intérieure afin de prier pour l’Église et pour nous en prévision des épreuves à venir. C’est là, dans notre tréfonds, que cette exhortation revêt tout son sens théologique et toute sa dimension mystique pour retentir comme un onzième commandement de Dieu.
* Kénose vient du verbe grec kenoo, qui signifie « vider », « se dépouiller de soi-même ».
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Inacceptable et indécent ce que je vient de lire!
12 h 23, le 11 mars 2013