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Merah, un parcours instable... - France

Merah, un parcours instable...

L’affaire Merah a suscité des remous il y a un an en France. Depuis, une enquête a été ouverte, le Renseignement français a été pointé du doigt... El-Yamine Soum, sociologue, revient sur l’affaire, en soulignant qu’il faut la replacer
dans son contexte.

France 2 /AFP

La France s’apprête à commémorer, un an après, la mémoire des sept victimes de la folie meurtrière de Mohammad Merah, jeune délinquant passé à l’extrémisme islamiste et dont les crimes ont nourri une rhétorique radicale et antisémite. Choquée, la France était en ce mois de mars 2012 brutalement confrontée à une réalité souvent édulcorée : le danger de l’islamisme violent peut venir de jeunes Français issus des quartiers sensibles et ayant basculé de la petite délinquance au jihad.


Le 11 mars, le « tueur au scooter » abattait un parachutiste, après l’avoir attiré dans un guet-apens. Le 15, Mohammad Merah récidivait en tuant, à Montauban cette fois, deux autres paras en uniforme. Un troisième militaire était laissé pour mort. Il est désormais tétraplégique. Quatre jours plus tard, à l’heure où les parents accompagnent leurs enfants à l’école, Merah assassinait froidement à l’arme automatique trois enfants et un enseignant juifs de l’école Ozar Hatorah, dans un quartier paisible de Toulouse. Non sans prendre le soin de filmer la scène, comme pour ses précédents crimes, à l’aide d’une caméra fixée sur son torse.


Finalement identifié et localisé chez lui, il sera abattu les armes à la main, au terme d’un assaut d’une rare violence et de 32 heures d’un long siège, sous l’objectif des caméras du monde entier. Peu auparavant, aux policiers qui venaient le cerner, Merah se vantait d’avoir mis « la France à genoux ». Un an après, les enquêteurs tentent de remonter la piste d’éventuelles complicités, en France comme à l’étranger. Les juges antiterroristes ont lancé des investigations au Pakistan, en Égypte et en Israël pour comprendre l’itinéraire international de Mohammad Merah. À ce jour, seul son frère aîné Abdelkader est poursuivi dans ce dossier.

 

(Pour mémoire: Mohamed Merah : "Moi la mort, je l'aime")


« La fameuse thèse du “loup solitaire” ne tient pas pour Merah », affirmait fin janvier le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, prenant le contre-pied de l’ancien patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) Bernard Squarcini. Loup solitaire ou non, Mohammad Merah était connu depuis 2006 pour graviter dans la mouvance salafiste de Toulouse et l’enquête sur sa mort a mis en lumière des défaillances du Renseignement, quant à sa surveillance et l’évaluation de sa dangerosité. « Il y a en France aujourd’hui plusieurs dizaines de Merah potentiels. Tous ne passent pas à l’acte, mais il faut se prémunir », assurait récemment M. Valls.
Au-delà de ces cas extrêmes, les autorités ont été confrontées à une montée en puissance des actes et violences antisémites.

 

 

(Pour mémoire: Des apprentis jihadistes venus « de nos quartiers »)

 


El-Yamine Soum, sociologue et chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), revient sur cette affaire.

Alors que la guerre du Mali a ravivé le front du terrorisme à l’étranger et sur le territoire français, estimez-vous que l’anniversaire des crimes de Mohammad Merah pourrait renforcer les candidats au jihad dans leurs convictions ? Et surtout les encourager à passer à l’action ?
Lorsque l’on analyse le parcours de Mohammad Merah, on remarque qu’il baignait dans une problématique familiale. De plus, il a tenté d’entrer dans l’armée française, mais cela s’est soldé par un échec, ce qui est intéressant à relever pour les profils des personnes qu’il a tuées par la suite. On est donc dans un schéma d’échec social. Parallèlement, M. Merah n’a pas de conviction politique dans le sens du militant classique. Il s’agit donc d’un parcours d’instabilité, et du coup je ne pense pas que l’on puisse parler de jihad, on n’est pas dans le schéma de jeunes qui s’engagent dans certaines zones du monde pour aller renforcer tel ou tel groupe, comme c’est le cas en Afghanistan ou comme ça a pu être le cas en Bosnie ou en Irak. Ce n’est pas la même approche, dans l’affaire Merah c’est un parcours individuel instable; certes, il y a mis un vernis idéologique, mais il n’y a pas de conviction puisqu’il n’y a pas de but politique au final.
Il faut par ailleurs rappeler un chiffre : aujourd’hui les actes terroristes perpétrés au nom de l’islam en Europe sont extrêmement réduits ; ainsi selon une étude dirigée par l’organisme intergouvernemental Europol, 0,4 % des attaques terroristes survenues en Europe en 2009 provenait d’actes terroristes “islamistes”.

L’enquête sur la mort de Mohammad Merah a mis en relief des défaillances du Renseignement, comment les services de renseignements sont-ils passés à côté ? Selon vous, comment Manuel Valls devrait gérer l’enquête ?
Manuel Valls n’était pas en exercice à ce moment-là, mais ce qu’il doit faire aujourd’hui c’est d’essayer de comprendre, non pas les erreurs (parce qu’elles sont inhérentes à chacun des services, le facteur humain pouvant jouer), mais les fautes professionnelles. Il lui incombe d’en tirer toutes les leçons puisque dans cette affaire il y aurait apparemment eu des fautes et c’est pour cela qu’il faut, contrairement à ce qui a pu se passer dans un certain nombre de cas, notamment l’affaire Karachi*, qu’il puisse laisser la justice travailler en toute indépendance, c’est-à-dire lever le secret défense sur un certain nombre de zones d’ombre dans cette affaire. La ligne que doit donc emprunter Manuel Valls est de permettre à la justice d’aller au fond du dossier.
On l’a vu déjà dans l’affaire Karachi : il y a un flou au niveau de la responsabilité de l’État français et les familles s’accrochent pour essayer de déterminer la vérité. Dans l’affaire Merah, il y a eu aussi une démarche des familles, notamment celle de M. Chenous, dont le fils militaire a été tué, qui a déposé une plainte, en mai dernier, contre Nicolas Sarkozy et le directeur central du renseignement intérieur Bernard Squarcini, qu’il accuse de n’avoir pas empêché la mort de son fils.
On peut clairement parler d’un certain nombre d’erreurs ; il faut que Manuel Valls puisse rompre avec un certain nombre de méthodes.

Après la tuerie de Toulouse est apparu un antisémitisme de plus en plus décomplexé, émanant notamment de jeunes Arabo-musulmans. Comment expliquer cette espèce de Merahmania ? Et quid du rôle et de la position des leaders religieux musulmans de France ?
C’est difficile d’établir des chiffres sur la base de statistique religieuse en France. Sans nier une réalité, à savoir qu’il y a une partie de ces populations qui seraient tentées d’agir sous l’effet à la fois de l’échec social et d’une logique de rejet. Mais il faut bien comprendre le contexte français, où on a eu affaire à un tas de fausses affaires antisémites. La plus emblématique a été celle du RER D**, où une grande partie de la classe politique et du monde médiatique s’est emballée alors que cela s’est avéré être un mensonge. Récemment, il y a eu aussi une fausse affaire antisémite dans un train alors que c’était une rixe entre adolescents. Le problème avec ce genre d’affaire, c’est qu’au final on finit par incruster l’idée dans la société française qu’il y a une opposition entre musulmans et juifs, et je dirais même qu’il y a un tas d’acteurs qui jouent sur ce chantage-là.
Par ailleurs, le discours antisémite n’a été en aucun cas tenu par des responsables religieux musulmans.


 

 

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* Un attentat-suicide le 8 mai 2002 a eu lieu à Karachi, dans la province du Sind au Pakistan, et a provoqué la mort de 14 personnes, dont 11 employés français de la Direction des constructions navales (DCN). Jusqu’en juin 2009, l’attentat était attribué à el-Qaëda, mais depuis, les juges français chargés de l’affaire privilégient l’hypothèse de représailles à l’encontre de la France, organisées par une partie des services secrets pakistanais. L’enquête est toujours en cours.

** La fausse agression du RER D a eu lieu en juillet 2004. Marie L. a finalement reconnu avoir fabriqué elle-même les marques de l’agression. Elle avait porté plainte pour avoir été agressée par un groupe de jeunes Maghrébins qui lui avaient coupé les cheveux et dessiné des croix gammées sur le ventre.

La France s’apprête à commémorer, un an après, la mémoire des sept victimes de la folie meurtrière de Mohammad Merah, jeune délinquant passé à l’extrémisme islamiste et dont les crimes ont nourri une rhétorique radicale et antisémite. Choquée, la France était en ce mois de mars 2012 brutalement confrontée à une réalité souvent édulcorée : le danger de l’islamisme...