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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Crime et boniment

L’une des failles les plus évidentes et néfastes de notre système de gouvernement est bien cette sécurité à l’amiable qui place funestement sur un même pied d’égalité l’autorité étatique et les fauteurs de troubles.

À l’extrême rigueur, cette curiosité bien libanaise peut se concevoir dans les cas de profond désaccord national aux prolongements aussi bien communautaires que politiques. Dans ce Far West local où foisonnent les armes, tant individuelles que partisanes, les gouvernants sont tenus en effet à la plus grande prudence, et il est bien rare que le shériff se hasarde à dégainer le premier. Et même quand il est lui-même attaqué et qu’il ne fait que se défendre, le représentant de la loi finit invariablement par se faire taper sur les doigts. Pour n’avoir fait qu’exécuter les ordres et fait usage de leurs armes, que de militaires, gendarmes et policiers ont été lâchement désavoués par leurs supérieurs en butte aux pressions et scandaleusement mis aux arrêts ...

Passe encore, une fois de plus, que la raison d’État, ou ce qui en tient lieu, fasse régulièrement la nique à la loi. Le scandale des scandales cependant, le comble de la déchéance affectant de longue date l’establishment libanais, c’est quand un vaste consensus politique s’avère nécessaire pour mettre en échec non plus les ardeurs idéologiques excessives, mais le vulgaire banditisme. Or, c’est bien ce qui est apparu lors de la réunion, mercredi, du Conseil supérieur de défense, organisme au nom ronflant qui groupe, autour des chefs de l’État et du gouvernement, quelques ministres-clés, les commandants de l’armée et de la police, ainsi que les directeurs des diverses agences sécuritaires.


Entre autres sujets de préoccupation, cette docte assemblée s’est penchée sur l’effroyable vague d’enlèvements contre rançon qui sévit depuis quelque temps dans le pays et dont les auteurs, bien que parfaitement identifiés et localisés, demeurent intouchables. Les participants ont reconnu que même en matière de crimes de droit commun, il était bien difficile pour les responsables de déployer la force publique sans se voir accuser de discrimination par l’une ou l’autre des factions politiques ou sectaires en présence. S’imposait alors à eux – et là on croit rêver – cette infamante conclusion : rien de sérieux ne pourra jamais être entrepris si les forces politiques ne se décident pas à dénier toute protection aux kidnappeurs, repris de justice et autres malfaiteurs, ce qui implique que de telles protections sont bel et bien réalité, et cela pour la plus grande honte de leurs puissants, de leurs illustres pourvoyeurs.

Incroyable Liban, où même le crime crapuleux peut se prévaloir de son appartenance sectaire et tribale! La seule note heureuse dans ce désolant contexte est qu’il arrive parfois aux bandits de céder contre toute attente aux exhortations de leurs chefs religieux pour peu, bien entendu, que ceux-ci se décident à prêcher la bonne parole. Nazih Nassar, citoyen de Terbol (Békaa), croupissait depuis 27 jours dans un cachot souterrain, ses ravisseurs réclamant le tarif standard d’un million de dollars en échange de sa liberté. Mercredi soir, ils ont fini par le renvoyer gracieusement chez lui, poussant même la grandeur d’âme jusqu’à munir leur proie d’un billet de 10 000 livres pour le taxi, après avoir entendu Hassan Nasrallah jeter l’anathème sur les preneurs d’otages !

Il est néanmoins bien des anathèmes qui se perdent. Les foyers de tension ont beau proliférer, on persiste à jeter de l’huile sur la braise. Après le brûlot permanent de Tripoli, c’est Saïda que guette cette fitna pourtant décriée de toutes parts, tandis que Beyrouth offre le spectacle d’un gouvernement failli, pris au piège des fausses promesses faites aux syndicats et littéralement assiégé par les manifestants. Reste à espérer qu’au Conseil supérieur de défense, on a fini de débattre du sexe des démons...

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

L’une des failles les plus évidentes et néfastes de notre système de gouvernement est bien cette sécurité à l’amiable qui place funestement sur un même pied d’égalité l’autorité étatique et les fauteurs de troubles.À l’extrême rigueur, cette curiosité bien libanaise peut se concevoir dans les cas de profond désaccord national aux prolongements aussi bien...

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