Le projet grec-orthodoxe, que l’on disait mort-né et que certains ont qualifié de régression nationale, de repli identitaire et de menace pour l’unité, est en train de faire son chemin pour devenir la nouvelle loi sur base de laquelle les élections de juin devraient être organisées. Contrairement à tous les pronostics, il a passé avec succès l’étape de la sous-commission parlementaire et il a réussi ensuite celle des commissions parlementaires conjointes. Il ne lui reste donc plus qu’à être soumis au vote de l’Assemblée plénière. Comment un projet tellement critiqué et que, au début, personne ne prenait au sérieux, en est arrivé là ?
Un député membre de la sous-commission parlementaire estime que les Forces libanaises et les Kataëb ont fait à ce sujet une double erreur. La première était de croire que le Hezbollah et Amal ne pouvaient pas accepter un tel projet. Les deux partis chrétiens du 14 Mars ont donc commencé par l’appuyer, pour respecter l’idée lancée à Bkerké de corriger l’injustice faite aux chrétiens dans les élections depuis Taëf et de leur permettre d’élire leurs propres représentants au Parlement. Mais ils étaient convaincus que le Hezbollah et Amal le rejetteraient ; d’autant qu’au début, le représentant du Hezbollah au sein de la sous-commission, le Dr Ali Fayad, avait commencé par exprimer son opposition à ce projet avant de se rétracter et d’affirmer que le Hezbollah appuie les positions du général Aoun et de ses alliés chrétiens. De même, le représentant du président de la Chambre Ali Bazzi émettait de nombreuses réserves à l’égard de ce projet. Les deux partis se sont donc lancés dans cette position politique pour ne pas briser l’unanimité chrétienne qui s’était faite à Bkerké autour de ce projet, tout en pensant qu’il ne tiendrait pas la route.
D’ailleurs, lorsque le président de la Chambre Nabih Berry a proposé la formation de la sous-commission, celle-ci était chargée au départ d’étudier tous les projets qui lui seraient présentés avec la possibilité de détrôner le projet grec-orthodoxe si l’un d’eux faisait l’unanimité. Les Forces libanaises et le parti Kataëb se sont engouffrés dans cette brèche, convaincus que, selon la tradition libanaise, un projet consensuel finirait par émerger. Ce qui les a confortés dans cette impression – et c’est là leur seconde erreur, estime le député –, c’est le fait que le président de la Chambre a lui aussi présenté un projet, par le biais du député Ali Bazzi. Ce projet mixte qui adopte les deux modes de scrutin proportionnel et majoritaire à égalité était considéré comme une voix médiane entre la proportionnelle totale voulue par le Hezbollah et Aoun et le système majoritaire voulu par le courant du Futur et Walid Joumblatt.
Pour les Forces libanaises et les Kataëb, c’était l‘indice que la mentalité du compromis finirait par l’emporter. Ils ont donc proposé à leur tour des formules proches de celles de Berry, pour montrer qu’ils contribuaient activement à l’entente, convaincus que le projet final devrait ressembler à ces formules mixtes. D’autant que le courant du Futur avait à son tour fini par accepter l’idée de la mixité avec un projet adoptant la proportionnelle à 30 %, après avoir catégoriquement refusé celle-ci sous prétexte qu’elle est impossible tant que le Hezbollah continuera à avoir ses armes. Là aussi, les Forces libanaises et les Kataëb ont mal évalué la position d’Amal et du Hezbollah, fermement engagés auprès du général Aoun et de leurs alliés chrétiens. D’ailleurs, selon le député précité, les réunions de la sous-commission ont donné naissance à un paysage politique surréaliste : le représentant des Forces libanaises Georges Adwan se démenait comme personne pour tenter d’aboutir à un compromis, montrant une grande souplesse et beaucoup d’esprit d’initiative auprès des autres membres de la sous-commission. Il cherchait aussi à se rapprocher du représentant du Hezbollah, saluant son « esprit académique » et ses « discussions rationnelles et raisonnables ».
De son côté, le représentant des Kataëb, Samy Gemayel, multipliait les avances en direction du représentant de Berry, convaincu que ce dernier militerait en faveur du compromis. Les Kataëb et les Forces libanaises croyaient en réalité que Berry, toujours soucieux de l’entente et du compromis, ne pourrait pas accepter une loi rejetée par deux importantes composantes du paysage politique et confessionnel, les sunnites du courant du Futur et les druzes de Walid Joumblatt. D’autant qu’avec le président de la République et le Premier ministre, il forme une sorte de « troïka » favorable au compromis. Mais ils ont dû vite se rendre à l’évidence et reconnaître que Berry autant que le Hezbollah appuient jusqu’au bout la position de leurs alliés chrétiens. Sayyed Hassan Nasrallah l’a d’ailleurs confirmé au cours de son dernier discours en révélant qu’au début, il n’était pas très chaud pour le projet dit grec-orthodoxe, mais ses alliés chrétiens l’en ont convaincu, arguant de la nécessité de rendre leur droit aux chrétiens.
Le projet grec-orthodoxe doit désormais être soumis au vote de l’Assemblée réunie en séance plénière. Le courant du Futur continue de miser sur le fait qu’il ne sera pas adopté, sous prétexte que les députés sunnites ne le voteront pas, ce qui constituerait à leurs yeux une atteinte à l’esprit de la Constitution.
À cela, les proches du CPL répondent que la loi électorale est une loi ordinaire qui n’exige ni majorité particulière ni consensus confessionnel. De plus, même si les députés du courant du Futur ne votent pas en faveur du projet, il pourrait obtenir des voix sunnites, notamment celles du Premier ministre et de ses alliés à Tripoli. De même, la menace de troubles sécuritaires ne tiendrait pas la route aux yeux des députés aounistes, qui estiment que la stabilité au Liban reste une exigence générale. Les aounistes ne cachent donc pas leur joie, convaincus que leur chef a réussi un coup de maître, grâce à l’appui sans faille de ses alliés. Toutefois, si ce projet venait à être adopté, il est de nature à mélanger les cartes politiques actuelles et à rendre la division entre 14 et 8 Mars désuète. Il reste en tout cas à connaître la réaction du président de la République qui avait promis de renvoyer la loi au Parlement ou de présenter un recours en invalidation devant le Conseil constitutionnel. Ce qui devrait forcément aboutir au report des élections... Une idée qui fait de plus en plus son chemin.
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commentaires (5)
La querelle entre proportionnelle et majoritaire ne date pas d’hier. Déjà le Mohandas Karamchound Gandhi dit tout court GHANDHI, débattait de la question en imaginant un mode de scrutin pour l’Inde, mais il fut assassiné en (08 mai ?) 1948, bien avant la réalisation de son rêve. Il n’y a qu’en Inde, (vu le nombre des électeurs) et autres pays sous-développés, qu’on vote encore au scrutin uninominal majoritaire à un tour… Même profil, tout à fait maronito-orthodoxe…
Charles Fayad
09 h 36, le 20 février 2013