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Liban - Tribune

Un acte fondateur

J’étais tenté d’employer un autre titre ; celui, par exemple, de « grands magistrats », car je veux saluer les qualités d’intégrité intellectuelle et de savoir innovant des trois magistrats qui ont signé la consultation-événement sur le mariage civil. Ils l’ont fait ès qualités, puisqu’ils constituent une haute instance appelée à trancher, « définitivement », selon la loi, un différend entre des points de vue divergents, soumis aux départements du ministère de la Justice.
À l’usage du lecteur, on précisera que la composition de cette instance est édictée par la loi ; elle n’est pas soumise à l’appréciation de l’exécutif; ce sont le directeur général du ministère de la Justice, le président de l’Institut des études judiciaires et le président du Contentieux de l’État qui la composent : le président du service des avis n’y siège pas, lorsque l’instance est appelée à se prononcer sur un avis émanant de ce service, comme ce fut le cas pour le mariage civil. Il en est de même du président du Contentieux lorsque c’est l’un de ses mémoires qui est sous étude.
Acte réellement fondateur que cette consultation : il libère le Libanais du carcan confessionnel, lorsqu’il n’en veut pas. Il le soustrait à l’emprise de l’hydre communautaire qui pèse sur le droit de la famille, le mariage, la filiation, les successions et l’égalité entre tous. Désormais les règles applicables sont claires et intelligibles; les conjoints ont la liberté de choix. Seule la mauvaise foi confondra cette liberté avec la renonciation à toute croyance, sur le plan religieux.


Acte fondateur également puisqu’il dispense d’attendre l’avènement d’une loi pour rendre possible le mariage civil. Une loi que des générations attendent depuis plus d’un demi-siècle, et qu’ignorent les programmes électoraux.
Pour beaucoup, réformer, c’est préparer une loi. Alors qu’il suffit de faire une lecture innovante et évolutive des textes en vigueur. La haute instance l’a fait en se basant sur le droit positif actuel ; elle a tranché en tenant compte de l’apport considérable du préambule de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel libanais qui l’a incorporé dans le droit positif (ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme et des deux pactes de New York de 1966); tous ces textes ont une valeur supérieure à celle de la loi.


Pourquoi en parler ici aux lecteurs ? Il s’agit d’en finir avec une erreur que l’on répète depuis longtemps, pour bloquer une avancée ou une réponse ou, tout simplement, par ignorance parce que les palabres politiciennes laissent très peu de temps à la réflexion. Les textes au Liban n’empêchent aucune politique de progrès : il suffit de savoir les lire. À l’instar des cours et tribunaux de pays étrangers, les réponses aux problèmes de société viennent de l’interprétation de ces textes, renouvelée avec les années ; l’émergence de nouveaux besoins associés à de nouvelles options ont le plus souvent un fondement dans les règles et principes consacrés depuis longtemps; des aménagements par des textes administratifs peuvent suffire.


Ainsi, par exemple, la lecture de l’arrêté de 1936 sur le mariage civil a bénéficié, de la part de la haute instance près le ministère de la Justice, de l’émergence, en droit libanais, des droits fondamentaux à partir de 1990. La lecture fondée sur la seule lettre du texte ancien aurait pu s’expliquer dans le passé ; mais depuis que le paysage constitutionnel et législatif s’est enrichi de tout le bloc de droits et libertés et des pactes de l’ONU, aucune lecture ne serait acceptable, si elle ignorait ce progrès considérable : c’est pourquoi on n’a vraiment pas besoin de bloquer l’évolution vers le mariage civil sous prétexte qu’il faut attendre qu’une loi l’organise. Lorsque cette loi sera là, elle sera elle aussi interprétée dans le sens voulu par les droits et libertés.


Cet acte fondateur, est-il inopérant ? Des voix s’élèvent déjà pour dire qu’il s’agit d’une consultation non contraignante et qu’il y en a d’autres; le politique pourrait reprendre son jeu, surtout en période électorale. Mais c’est manquer de sérieux que de croire que le caractère consultatif d’un texte est, en soi, un agent de faiblesse. Devant l’autorité morale d’organismes comme l’ombudsman, le médiateur ou le Conseil d’État lorsqu’il émet un avis, on se plie : les démocraties le prouvent.


Ensuite, c’est le contenu sur lequel s’est fondée la haute instance qui prime : les textes anciens et récents qu’elle a appliqués s’imposent à tous, quel que soit le contenant qui en fait état. Ce sont ces textes qui sont contraignants et qui s’imposent aux services du ministère de l’Intérieur. Rien ne sert de prétendre que tant qu’on est en présence d’un texte à caractère consultatif, on peut tenir compte d’autres consultations en sens contraire et décider en conséquence. La primauté appartient aux actes de la haute instance : la loi le dit. On aurait tort d’oublier que les droits des conjoints portent également sur la consécration de la régularité de leur union ; la leur refuser serait de la part de l’administration commettre une erreur manifeste. Une erreur que n’excuserait pas l’attachement aux valeurs de la religion : car qui oserait dire que s’unir civilement à Beyrouth est un acte impie et que le déplacement jusqu’à Chypre purifierait le contrat de mariage ?

* Hassãn-Tabet Rifaat est avocat au barreau de Beyrouth, professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, ancien directeur général du ministère de la Justice et ancien président de l’Inspection centrale.


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commentaires (1)

Cet article magistral, précis et limpide, balaye d'un revers de la main tous les prétendus arguments des uns et des autres en faveur de la perpétuation d'une situation archaïque et injuste de surcroît, puisqu'elle porte atteinte aux droits des individus et consacre l'inégalité entre eux. L'éminent Professeur Hassãn-Tabet RIFAAT, pour son parcours irréprochable, son immense érudition et son profond humanisme, mérite la considération et la reconnaissance appuyée de tous les Libanais à quelque bord qu'ils appartiennent.

Paul-René Safa

15 h 40, le 22 février 2013

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Commentaires (1)

  • Cet article magistral, précis et limpide, balaye d'un revers de la main tous les prétendus arguments des uns et des autres en faveur de la perpétuation d'une situation archaïque et injuste de surcroît, puisqu'elle porte atteinte aux droits des individus et consacre l'inégalité entre eux. L'éminent Professeur Hassãn-Tabet RIFAAT, pour son parcours irréprochable, son immense érudition et son profond humanisme, mérite la considération et la reconnaissance appuyée de tous les Libanais à quelque bord qu'ils appartiennent.

    Paul-René Safa

    15 h 40, le 22 février 2013

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