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Liban - En dents de scie

Sunnisme / jansénisme

Sixième semaine de 2013.


Qu’est-ce que c’est aujourd’hui, être sunnite au Liban ?


N’étaient-ce cette malédiction communautariste, cette malédiction identitaire qui frappe ce pays depuis des lustres, cette scarlett letter infamante greffée au fer rouge sur le front de chaque Libanais, qu’il le veuille ou non : j’appartiens à un clan, une tribu, avant que d’appartenir à un pays, une nation, un État, cette question n’aurait jamais dû être posée. Jamais.


Depuis une dizaine de jours pourtant, elle s’impose. Teigneuse. Et tenace. Sale et salissante, surtout : dans l’histoire immédiate de ce pays, rarement communauté aura tellement été sur le point de chavirer, tellement poussée par-dessus bord, tellement vilipendée par ses sœurs. Avant-hier insouciante et bimbo, jouant au backgammon sur les corniches en front de mer et laissant les autres, à commencer par les Palestiniens, se battre pour elle et entre eux ; hier, le 14/02/05, décapitée par une tonne de TNT devant le Saint-Georges, et aujourd’hui immergée, bon gré mal gré, dans le maelström, purulent et gangrené, socio-politico-culturel libanais, la communauté sunnite est aux toutes premières loges.


Depuis une dizaine de jours, il y a eu le mufti de la République. Qui a catapulté ses coreligionnaires, tous ses coreligionnaires, modérés et fondamentalistes, progressistes ou réactionnaires, dans une marge. En s’opposant au mariage civil avec la fermeté d’un ayatollah iranien crachant sa fatwa, aux antipodes de la langue de bois de ses pairs chiite et maronite, le caractériel cheikh Kabbani, totalement désavoué depuis des mois par un Futur représentant au moins 60 % des sunnites, a carrément mis les pieds dans le plat. Surtout que le lendemain, pratiquement, dans une émission télévisée qui aurait cassé des records d’audience, Saad Hariri himself provoquait un miniséisme en se prononçant en faveur de ce fameux mariage civil ressuscité en ce début 2013 par deux jeunes amoureux... chiite et sunnite. Même ses contempteurs les plus farouches ont salué l’annonce faite aux Libanais.


Saad Hariri. Les absents ont toujours tort. Les effets de manche (par exemple, au hasard : rompre un interminable auto-exil et réapparaître un 14 février ou un 14 mars...) sont devenus stériles. Pondre un communiqué par jour ou tweeter chaque 48 heures ont perdu presque tout leur intérêt. Et pourtant. Pourtant, le jeune héritier, né politiquement sur le Ground Zero d’une Saint-Valentin-hécatombe, réussit encore comme personne à fasciner ses partisans et à horripiler ses adversaires : il est donc loin d’avoir/d’être fini. Surtout qu’il semble avoir assimilé, enfin, une des erreurs fondamentales de son père, persuadé jusqu’au bout que les chrétiens ont besoin d’un protecteur et qu’il est ce Zorro, ce Superman, et une des vertus vitales de ce même père, rempart absolu et ultime contre toutes les nuances de l’extrémisme sunnite.


Et puis il y a Ersal.


Depuis quelques jours, ce village sunnite, véritable QG au Liban des rebelles syriens, sunnites donc, est devenu une hallucinante métaphore. Une allégorie. L’incarnation des rancœurs et des frustrations des Libanais, certes, mais surtout de l’armée. Que personne ne se leurre : ce que la troupe ne peut pas faire ailleurs, dans la banlieue sud notamment, c’est-à-dire arrêter les suspects dans l’assassinat de Rafic Hariri ou dans la tentative contre Boutros Harb, ou même des accusés de moindre envergure, elle le fait là où la communauté sunnite est majoritaire. Et on s’étonne ensuite des conséquences, des ressentiments de ce que l’injustice et l’iniquité peuvent provoquer...


Que personne ne se leurre non plus : des criminels patentés se cachent à Ersal, et les boys de Jean Kahwaji, parmi les moins corrompus au Proche-Orient selon une enquête britannique, font un travail remarquable. Mais l’opération de la semaine dernière était un fiasco atroce, d’une impréparation inadmissible, pas vraiment justifiée, et qui a provoqué des morts. Un rapport Winograd est indispensable pour que ce drame ne se répète pas, parce que l’armée le mérite et parce que la démocratie libanaise se doit d’être supérieure à celle qui prévaut en Israël.


Et puis il y a Hatem Madi. Le comble ? Lorsque les actions et les prises de position du procureur général de la République ( ! ) n’accouchent pas seulement d’une indignation féroce, mais d’un vaste, d’un immense éclat de rire. Le peu de crédibilité que l’ennemi numéro un des Forces libanaises lorsqu’il était premier juge d’instruction de Beyrouth (personne n’a oublié les enquêtes autour d’Antoinette Chahine ou de Ramzi Irani assassiné) a pu préserver a été dynamité par la pantalonnade contre Boutros Harb. Et ce n’est vraiment pas en essayant de trouver les moyens de poursuivre Sleimane Frangié qu’il peut espérer se (re)faire une virginité. Addoumisé presque jusqu’à la moelle, le juge Madi a le droit d’être pro-Hezbollah, ce n’est pas interdit aux sunnites, mais définitivement pas dans l’exercice de ses fonctions. Un Adnane Mansour suffit.


Enfin, il y a... Nagib Mikati. Mais cela est totalement une autre histoire.


Qu’est-ce que c’est aujourd’hui, être sunnite au Liban ? C’est un peu tout cela à la fois, certes, mais c’est d’abord et avant tout une minirévolution copernicienne. La communauté sunnite, comme sa sœur maronite, s’est démocratisée. Divisée donc. Enrichie, (mal)heureusement. Même les grecs-orthodoxes, les druzes, les grecs-catholiques l’ont (plus ou moins) fait. Même les minoritaires n’ont pas la même conception, la même vision, les mêmes innés ou acquis politiques. Toutes les communautés libanaises ont compris.


Toutes. Sauf une. Évidemment.

 

 

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commentaires (5)

Les clés du Moyen-Orient sont et resteront entre les mains des sunnites qui représentent 90% des musulmans. Minirévolution ou grande révolution ils sont toujours divisés autour du changement pour faire face aux chiites ou ces derniers veulent finir de leur marginalisation, et gouverner totalement certains pays . Antoine Sabbagha

Sabbagha Antoine

09 h 15, le 09 février 2013

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Les clés du Moyen-Orient sont et resteront entre les mains des sunnites qui représentent 90% des musulmans. Minirévolution ou grande révolution ils sont toujours divisés autour du changement pour faire face aux chiites ou ces derniers veulent finir de leur marginalisation, et gouverner totalement certains pays . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    09 h 15, le 09 février 2013

  • Incorrigible Ziad, il peut dire vrai ou faux c'est naturel, il a le droit de fustiger la communauté qu'il veut, c'est normal, il le droit de défendre en avocatisant sa plaidoierie la communauté de son choix, c'est de bonne guerre, mais il fait toujours le faux pas pour s'enfermer dans sa propre trappe, mais pourquoi diantre, vouloir dans sa comparaison sur la position du Mufti Kabbani associé l'image d'un ayatollah iranien , crachant sa fatwa ???? Non et encore une fois non, on ne peut plus associer la position du Mufti de la république à celle des religieux chiites du Liban, je constate que c'est dans l'air du temps en ce moment, avec un article où le clown de Saida se rendant à Faraya devait se faire rendre la pareille en acceptant une descente à Saida et à Dahyeh ! et insidieusement on utilise ce style de raisonnement, chaque fois qu'un "sunnite" se comporte mal au Liban et ailleurs, mais jamais l'inverse quand c'est un "chiite".Faut faire un peu gaffe quand même.

    Jaber Kamel

    05 h 14, le 09 février 2013

  • Toujours intelligent avec un style brillant , cet article de Z. Makhoul confirme la règle générale ! Mais est-ce à dire que la seule communauté qui,... "ne l'a pas compris", aurait réussi aussi à janséiser son allié, le style et l'expressiion de ce dernier pourrait laisser croire celà. Il faudrait donc souhaiter que l'allié déteingne sur ce mentor pour que les équations nationales retrouvent leur équilibre et la "SIGHA" se remette à fonctionner justement, quitte à lui introduire alors toutes les modifications nécéssaires à sa maturation et son développement équitable.

    Salim Dahdah

    04 h 20, le 09 février 2013

  • La réverende Mère , Marie Angélique de Sainte Madeleine Arnauld ,réformatrice en 1648 ...du Monastère janséniste de Port Royal, vous salut ...!

    M.V.

    02 h 11, le 09 février 2013

  • Cette chronique de M Makhoul est à elle seule un maelstrom de vérités, d'idées, d'impacts, de révoltes. Je dirai seulement une chose : Ceux qui dans ce pays, mûs par des intérêts mesquins ou des intérêts idéologiques et haineux, combattent et veulent abattre une fois pour toutes le sunnisme modéré dans ce pays, y compris par des fantoches à droite et à gauche, sont finalement des aveugles et des sots. Les Ahmad el-Assir & Co. le leur feront regretter amèrement. Je souhaite que l'armée veille sans cesse à ne jamais se laisser entraîner dans le sillage de leur sottise.

    Halim Abou Chacra

    22 h 38, le 08 février 2013

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