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À La Une - Table ronde

Redéfinir la pertinence entre les donateurs occidentaux et les révolutions

La transition démocratique est un long processus qui demande de la patience et une très bonne connaissance du terrain. Grâce au Carnegie Middle East Center, Kawa Hassan et Rami Khouri reviennent sur la relation entre donateurs et révolutions.

Il faudrait passer de « l’exception arabe » et du « sujet passif » à une « République place Tahrir », symbole de la détermination des citoyens arabes à faire tomber des dictateurs.  Amr Abdallah Dalsh/Reuters

Avant que les révolutions ne débutent dans la région, la relation entre les donateurs occidentaux et les acteurs régionaux était basée sur une surestimation de l’État et une sous-estimation des sociétés civiles arabes en tant que partenaire viable pour la réforme. Reconnaître l’impact de la société civile durant ce passage entre dictature et démocratie demande un important effort de patience, ce que les donateurs occidentaux doivent encore réaliser s’ils veulent avoir un impact positif sur les changements au Moyen-Orient.


C’est pour discuter de cette relation que Kawa Hassan, gestionnaire de connaissance à Hivos aux Pays-Bas, et Rami Khouri, directeur de l’Institut Issam Farès à Beyrouth, ont été invités par le Carnegie Middle East Center.
Pour Kawa Hassan, la terminologie est très importante, de ce fait le mot révolution est plus important que printemps. « L’appellation printemps arabe est superficielle pour quelque chose d’aussi fondamental. Elle donne l’impression de référer à une courte période de transition qui va laisser la place à une autre saison », souligne ainsi le chercheur.
Il rappelle par ailleurs qu’avant les révolutions, les chercheurs analysaient le rôle de l’État et négligeaient la société. « Les acteurs externes qui font la promotion de la démocratie ciblaient la société civile “formelle”, telles des ONG sur les droits de l’homme, de la femme, les syndicats... Il y avait un réel manque de connaissance, d’abord sur le contexte dans lequel opéraient ces acteurs de la société civile, ensuite sur la complexité des changements sous les régimes autoritaires », insiste M. Hassan.


Au cours de ses recherches, Kawa Hassan a remarqué que ces régimes autoritaires avaient reconfiguré leur relation avec leur société, s’appropriant des discours démocratiques et cooptant d’importants segments de la société civile, dans une stratégie qu’on pourrait appeler de « l’autoritarisme amélioré ».


Parallèlement, il ne faut pas oublier que dans la plupart des pays arabes, les ONG ont besoin d’un accord préalable des autorités pour exister. Rami Khouri précise que les États accueillent avec grand plaisir ces organisations puisqu’elles les soulagent dans plusieurs domaines, notamment au niveau social (s’occuper d’enfants ou de vieilles personnes dans le besoin, ouvrir des écoles là où il y a un manque d’éducation...). M. Khouri rappelle néanmoins « que souvent, à la tête de ces ONG, se trouvent des personnes proche des autorités, ce qui pousse à se poser la question : où va l’argent des donateurs ? Est-ce vraiment les gens qui sont dans le besoin qui reçoivent l’aide ? ».

Pourquoi n’a-t-on rien vu venir ?
Par ailleurs, alors que « l’autoritarisme amélioré » faisait son chemin, les donateurs internationaux étaient déconnectés entre les résultats de leur projet et l’impact sur la société, influençant leur vision du Moyen-Orient, ce qui ne leur a pas permis de prévoir les révolutions. Pour Kawa Hassan, il y a trois raisons à cela : tout d’abord, il y a eu une surestimation de l’État, ensuite, l’Occident a sous-estimé le rôle de la société. Il n’a pas vu plus loin que « l’autoritarisme amélioré » et a oublié la capacité de la société à combattre l’État. Enfin, il a négligé les impacts irréversibles d’une triple révolution invisible de l’éducation, du genre et de la conscience politique dont la région est témoin depuis 50 ans.
« La participation massive des jeunes, en particulier des filles, aux études supérieures et l’échec de l’État à répondre à leurs attentes ont accru leur conscience politique », souligne M. Hassan. « La révolution en Tunisie a commencé parce que des citoyens en colère ont réalisé que leur État était faible », indique M. Khouri de son côté, ajoutant qu’ils « ont réalisé avoir perdu leur humanité à cause de leur propre société ».
Pour M. Hassan, il y a deux paradigmes de changement : le premier, une promotion de la démocratie par les donateurs occidentaux pour accompagner la transformation de la société initiée et déterminée par les peuples de la région. Le second est un changement symbolique ; il faudrait passer de « l’exception arabe » et du « sujet passif » à une « République place Tahrir ». « Cette “République” symbolise la détermination des citoyens arabes à faire tomber des dictateurs, à l’unité entre chrétiens et musulmans, à la responsabilisation des femmes (même si, dans certains pays, il y a eu un revers de situation juste après la révolution) et à la participation de laïcs et de religieux », explique M. Hassan.


Malgré les défis intimidants et certains revers, Hivos estime que les donateurs occidentaux doivent réaliser que les révolutions, par nature, sont contagieuses. Ils ne doivent pas sous-estimer la détermination des populations à se battre pour négocier de nouveaux contrats sociaux, destinés à être inclus dans un système politique et économique responsable.
Pour cette stratégie de reconception, Hivos estime que les donateurs occidentaux doivent accepter que leur impact sur ces transitions soit limité et, par conséquent, leurs contributions modestes.
Dans ce Moyen-Orient changeant, les donateurs doivent réexaminer leur rôle et révolutionner leurs opinions sur un changement à long terme significatif.

Six principes
Pour ce faire, Kawa Hassan indique que les donateurs occidentaux doivent prendre en considération six principes stratégiques.


Tout d’abord, la connaissance. La plupart du temps, le travail et l’analyse sur la démocratie et les droits de l’homme concernant les pays du Sud sont produits par l’Occident et pas assez par les locaux. Les donateurs doivent travailler avec des think tanks des pays concernés qui ont une meilleure connaissance du terrain.


Le deuxième point reprend le premier. Pour comprendre le contexte dans lequel les transitions ont lieu, il faut se baser sur les connaissances de la région et cerner ce qui est vraiment attendu et les besoins requis.


Troisièmement, la patience. Le changement prend du temps, il n’y a pas de raccourci. Bien sûr, les donateurs sont confrontés à un dilemme, ils doivent rendre des comptes, mais un équilibre devrait être trouvé pour ne pas brusquer les choses.


Quatrièmement, écouter et comprendre les acteurs locaux. M. Hassan a donné l’exemple de Abdel Basset Ben Hassen, président de l’Institut arabe pour les droits de l’homme en Tunisie, qui a fait la remarque suivante : « Celui qui veut comprendre les vrais besoins des Tunisiens ne doit pas rester à Tunis, mais se rendre à la campagne, à la rencontre de la population. »


Cinquièmement, l’engagement. Les donateurs occidentaux doivent dialoguer avec les islamistes qui sont des acteurs sociaux importants. M. Hassan rappelle que « le processus est plus important que les acteurs ». Rami Khouri explique pour sa part que de nouveaux groupes émergent, mais ces derniers vont et viennent. « Les islamistes en Égypte étaient plus forts juste après la révolution que maintenant, souligne-t-il. Ils sont plus faibles aujourd’hui. Personne en Égypte n’a l’expérience de la contestation de rue, que ce soit les islamistes, les gauchistes, l’armée, l’opposition, les jeunes... Ils sont en train d’apprendre. C’est un processus extraordinaire. »


Enfin, les donateurs doivent prendre en considération l’instrumentalisation politique de leur donation et les suspicions face à cet argent. Même si les régimes autoritaires sont tombés, les vieilles habitudes se perdent difficilement. Ainsi, les activistes et/ou les associations qui reçoivent de l’argent étranger se trouvent taxer d’agents de l’Occident, ce dernier voulant conspirer contre le pays en se cachant derrière cet argent.


Rami Khouri va plus loin encore, insistant que « les donateurs ne peuvent pas aider le prisonnier et la prison en même temps ». Il donne ainsi l’exemple d’un projet pour aider les jeunes à voter en Tunisie sous Ben Ali, alors qu’à l’époque, les élections étaient truquées. « La société arabe a des préjugés sur le rôle des donateurs, qu’ils soient occidentaux ou arabes (comme le Qatar ou l’Arabie saoudite », craignant qu’il n’y ait « un agenda politique derrière la générosité », ajoute pour sa part Ibrahim Saif, associé au Carnegie.


Par ailleurs, M. Khouri rappelle que le processus de démocratisation n’est qu’à son début: « Pas tous les pays vont réussir ; comme lorsque l’URSS a éclaté, certains pays sont plus démocratiques que d’autres. Mais ce qui a pour sûr changé, c’est le vote du citoyen, désormais sa voix se fait entendre. À ce niveau, l’éducation est très importante, les citoyens vont apprendre la notion de souveraineté et la définition de l’État. »
Les donateurs doivent donc prendre en considération tous ces éléments et « ne doivent pas réduire la région à des îlots thématiques », conclut Kawa Hassan.

Avant que les révolutions ne débutent dans la région, la relation entre les donateurs occidentaux et les acteurs régionaux était basée sur une surestimation de l’État et une sous-estimation des sociétés civiles arabes en tant que partenaire viable pour la réforme. Reconnaître l’impact de la société civile durant ce passage entre dictature et démocratie demande un important...

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