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Loi électorale : ne surtout pas se tromper de bataille ni d’adversaire

Le salut selon la Rencontre orthodoxe

Par Vatcheh NOURBATLIAN**
Signe des temps, de ces temps de misère, le projet de loi électorale concoctée par la rencontre dite orthodoxe n’augure en fait rien de bon : bien au contraire, il annonce, et comme on l’a maintes fois rappelé, le retour de l’âge d’or des communautés religieuses ghettoïsées, se vautrant dans les sables mouvants et sanglants des « moutassarrifiyahs » d’antan.

La société confessionnelle contre l’État républicain
Besoin pulsionnel, et à la limite inconscient, de vivre avec ceux qui nous « ressemblent », avatar moderne de l’instinct grégaire de la horde ou du troupeau primitifs, se dissimulant aujourd’hui derrière le mythe réconfortant « du droit à la différence » ou se délectant du narcissisme misérabiliste des petites différences rituelles (tel le signe de la croix avec trois ou cinq doigts), le communautarisme à visage inhumain apparaît naturellement comme le refus de l’intégration dans une entité républicaine fondée sur des valeurs communes, proclamant avant et après tout l’égalité des droits de tous les citoyens devant la loi. En se positionnant dès le départ contre ce principe républicain de l’égalité des citoyens devant la loi (qu’elle soit électorale, civile ou pénale), le projet de loi électorale du Rassemblement dit « orthodoxe », qui refuse dans ce cas de figure le droit pour un catholique d’élire un député orthodoxe ou protestant, contredit non seulement l’idée et la réalité de la « République », telles qu’explicitement affirmées dans la Constitution libanaise, mais il porte également un coup fatal aux droits de l’homme et du citoyen, condamnés à se diluer ou à fusionner dans des communautés de « croyants » évoluant dans un milieu fermé et qui ne peuvent se poser qu’en s’opposant aux autres.

La communauté sacralisée contre le citoyen atomisé
Dans le cadre de cette valse des projets de lois électorales, certains feront remarquer que personne ne possède le droit d’empêcher les gens à faire des choix de société, même les plus rétrogrades ou primitifs. Cet argument de choc aurait dû cependant pousser la Rencontre « orthodoxe » à présenter un projet d’amendement de la Constitution libanaise visant à changer le statut de « République » du Liban en moutassarrifiyah libanaise avant toute tentative de présenter sa fameuse et fumeuse « loi électorale ». Très peu orthodoxe au niveau de la conformité avec la lettre et l’esprit de la Constitution libanaise, le projet de loi de la célèbre Rencontre n’est donc pas très catholique non plus au niveau des droits de l’homme et du citoyen, condamnés en cas d’adoption de cette loi à se transformer en simples atomes ou cellules d’un organisme confessionnel transcendant, et qui rappelle étrangement l’organicisme des sociétés néolithiques avec leur système de clans et de chefferie, avec leurs chamans et leurs sorciers contrôlant et manipulant la peur et les attentes de suiveurs hébétés..  En bafouant les principes et les valeurs de la République, en enfermant les citoyens dans la camisole de la logique tribale ou communautaire, en les subordonnant au bon plaisir ou à l’hégémonie d’oligarchies politico-mafieuses proposant moult réformes, changements et renouveaux, le projet de loi électorale de la « Rencontre orthodoxe » ne peut donc que parachever le démantèlement, depuis longtemps enclenché, par le régime baassiste voisin de ces deux entités qui font la grandeur du Liban dans ce Moyen-Orient tourmenté : celle de la République bradée par un ramassis de chefs d’orchestre confessionnels jouant chacun sa propre partition, et celle de la citoyenneté transformée en une balle vide de grain, reléguée au musée de l’antiquité.

Le parti de Dieu, du fusil contre la démocratie
Reste que tout ce remue-ménage législatif, admirablement orchestré par les tenants de la loi « orthodoxe », ne peut servir que de diversion ou de camouflage au problème vital ou fondamental de la réalité et de la survie d’une démocratie parlementaire libanaise, otage du fusil du parti d’un Dieu brandissant fièrement sa mitraillette. Qu’elles soient « orthodoxes », s’appuyant sur le mode de scrutin majoritaire ou flirtant avec la « proportionnelle », véritable invention de la poudre du ministre de même nom, les élections législatives ne peuvent rester que purement formelles, et la majorité qu’elles peuvent générer essentiellement illusoire ou virtuelle, au cas où elle ne correspondrait pas aux projections divines du parti du Fusil, grand amateur de tentes blanches tentaculaires, de 7 Mai rouges et de chemises noires. En attendant, les diverses rencontres, qu’elles soient « orthodoxes », coptes, syriaques ou maronites, peuvent s’empêtrer dans leurs querelles byzantines et rêver du salut des chrétiens du Liban tout comme les communistes russes, eux aussi comme par hasard orthodoxes, rêvaient de lendemains qui auraient dû chanter.

**Ancien ambassadeur
Professeur universitaire
et membre du secrétariat général du 14 Mars
Signe des temps, de ces temps de misère, le projet de loi électorale concoctée par la rencontre dite orthodoxe n’augure en fait rien de bon : bien au contraire, il annonce, et comme on l’a maintes fois rappelé, le retour de l’âge d’or des communautés religieuses ghettoïsées, se vautrant dans les sables mouvants et sanglants des « moutassarrifiyahs » d’antan.La...