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À La Une - L'Orient Littéraire

Changement de saison pour le printemps arabe ?

« Entre les pesanteurs de l’histoire, les turbulences du présent et les incertitudes de l’avenir », un nouveau monde arabe est en train de naître.

Photo L'Orient Littéraire. D.R.

Ancien diplomate, Denis Bauchard est spécialiste du monde arabe depuis 1960. Il commence par relever le fait qu’en 2011, « aucun pays arabe ne pouvait être qualifié de démocratique » ; par analyser les causes de cette quasi-absence de démocratie et de la faiblesse des oppositions. S’il passe un peu rapidement sur le déclenchement et le déroulement des révolutions arabes, il dresse un bilan détaillé plus d’un an après.
 
« Angélisme des révolutionnaires, faiblesse de leur organisation, absence de programme, organisation d’une contre-révolution par les régimes autocratiques, volonté des armées et des services de renseignements de ne pas lâcher le pouvoir et de conserver leurs privilèges, mise en place de politiques de réformes, achat de la paix sociale… » Tout cela a contribué à nuire au processus démocratique.
 
Et pour mieux éclairer l’évolution de ce processus, Bauchard décrypte le jeu des trois principaux acteurs : les forces libérales et en particulier les jeunes qui ont fait les révolutions, les mouvements islamistes qui sont très vite intervenus « récupérant en leur faveur le mouvement déclenché », et les forces armées qui bénéficient de privilèges importants et entendent bien les conserver.
 
Si l’auteur ne s’attarde pas sur la violence répressive de l’armée, il précise en revanche que l’Occident se préoccupe davantage de la menace terroriste incarnée, d’une part, par el-Qaëda et, d’autre part, par les milices armées. Ces milices « peuvent participer, comme l’organisation de Moqtada al-Sadr, le Hamas ou le Hezbollah, à la vie politique et au gouvernement de leur pays tout en contestant son autorité ». Ces mouvements représentent pour les États « une menace qui pourrait affecter jusqu’à leur existence même ».
 
Bauchard consacre un chapitre entier à trois foyers de crise persistants. D’abord l’Irak dont l’avenir est « aussi sombre qu’incertain ». Puis Israël « bunkerisé » derrière un mur qualifié de « séparation » et où « une bombe à retardement est ainsi, délibérément, mise en place ». Enfin… Le Liban, « rare exemple de démocratie arabe » qui « accueille sur son territoire tous les conflits du monde arabe dont il est le miroir » et où l’on retrouve tous les « fondamentaux de la région : caractère artificiel des frontières, faiblesse de l’État, problème des identités, importance des structures tribales, précarité de la situation des chrétiens, montée de l’islamisme, généralisation de la corruption, impact de la question palestinienne ».
Bien entendu, l’auteur ne manque pas d’étudier l’actualité la plus brûlante du monde arabe et insiste sur le fait que, par-delà le régime baassiste, « c’est l’axe Damas-Téhéran qui est en cause. Cette alliance stratégique, qui existe depuis maintenant plus de trente ans, a permis aux Iraniens d’étendre leur influence au Moyen-Orient, notamment au Liban ».
 
Après avoir longuement analysé le passé et le présent, Bauchard prend un risque courageux mais néanmoins calculé… celui d’anticiper l’avenir. Si aucun pays n’exerce actuellement un « véritable leadership dans le monde arabe », il estime que ce rôle pourrait être joué à l’avenir par l’Arabie saoudite, ou encore par le Qatar. Il prévient qu’il est « à craindre que les dirigeants israéliens, sûrs d’un appui américain inconditionnel, ne poursuivent une politique faite pour nourrir les ressentiments » des pays musulmans et des Arabes d’Israël ; ce qui pourrait « affecter sur le long terme sa sécurité ».
 
À la veille du printemps arabe, l’Iran était « présent et influent dans la plupart des foyers de crise du Moyen-Orient ». Toutefois, la nouvelle donne risque d’être défavorable à ses intérêts ; « avec le double risque de la disparition ou de la paralysie du régime syrien… et d’une intervention militaire sur ses installations nucléaires ». De son côté, la Turquie entend bien exploiter l’opportunité que présente le printemps arabe.
Ainsi, il est un fait incontestable que « les cartes commencent à être redistribuées ». Les États-Unis et l’Europe, devant tenir compte de cette nouvelle donne en raison de leur dépendance énergétique et de leur vulnérabilité à tout choc pétrolier ou gazier, se retrouvent dans une situation délicate ; « reproche par les uns du soutien des despotes, par les autres de lâchage des amis ». En revanche, la Chine « dispose plutôt d’une bonne image dans les pays arabes ».
 
Pour conclure, Bauchard anticipe quatre scénarios possibles en ce qui concerne l’avenir des pays du printemps arabe : celui de l’avènement progressif de la démocratie ; celui du chaos ; celui du maintien de l’ordre ancien par des voies répressives ; celui de l’ordre islamiste. Avec le conflit sunnite-chiite en filigrane et d’importants défis économiques et sociaux à relever, l’évolution de ces pays sera sans doute « très diversifiée en fonction des contextes locaux ». Si l’auteur assure que les perspectives demeurent « très incertaines et le jeu très ouvert », il observe bel et bien que « les processus démocratiques semblent menacés ». Le printemps arabe serait-il en train d’entrer dans un hiver des plus rigoureux ?
 
Cet ouvrage présente le double avantage d’offrir une analyse des plus pertinentes, tout en demeurant à la portée du grand public. 
 
BIBLIOGRAPHIE
Le Nouveau monde arabe de Denis Bauchard, André Versaille éditeur, mai 2012, 250 p.
 
 
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Ancien diplomate, Denis Bauchard est spécialiste du monde arabe depuis 1960. Il commence par relever le fait qu’en 2011, « aucun pays arabe ne pouvait être qualifié de démocratique » ; par analyser les causes de cette quasi-absence de démocratie et de la faiblesse des oppositions. S’il passe un peu rapidement sur le déclenchement et le déroulement des révolutions arabes, il...

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