Un pays, comme un rêve interrompu
Que reste-t-il de cette fraternité qui régnait entre eux et qui symbolisait le Beyrouth d’avant? Un rêve interrompu? Un rendez-vous manqué? «Quelques réminiscences partagées et une nostalgie incurable pour le monde d’avant», répond le narrateur.
Les désorientés, ce sont ces Libanais de la guerre, ceux de la génération d’Amin Maalouf qui ont assez connu le «temps d’avant» pour en porter l’irrémédiable nostalgie. Cette nostalgie qui a sans doute poussé le nouvel académicien à revenir, pour la première fois dans un roman – le premier, du reste, où son nom est suivi de la mention «de l’Académie française» –, sur le Liban de sa jeunesse. Sur la «civilisation levantine» qu’il y a connue et qu’il avait, certes, déjà évoquée dans son roman familial Origines (publié en 2004 chez Grasset), mais avec la distance d’un écrivain-historien. Alors qu’à travers la fiction, traversée de passages au fort parfum de vécu des Désorientés, il raconte, avec la pudeur et la sensibilité qui le caractérisent, sa relation personnelle à sa terre natale, lève le voile sur les raisons de son exil et confie, comme dans un murmure, ses appréhensions pour l’avenir du pays du Cèdre «en sursis».
Mais c’est aussi en tant qu’historien et humaniste qu’Amin Maalouf fait partager à ses lecteurs, à travers les voix des différents personnages, ses idées et questionnements sur l’identité, la religion, l’intégrisme, la mémoire, les choix de vie, la finalité des guerres, la place du conflit moyen-oriental dans le dérèglement du monde ou encore celle de... l’amour dans une vie d’homme. Autant de facettes qui donnent à ce roman à la fois la densité d’un essai, d’un débat d’idées que l’attachante narration de destins à fort pouvoir identificateur.
Et malgré quelques répétitions, dues à la technique de double narration que l’auteur a privilégiée dans ce roman, on sort de la lecture de ce livre ébloui par la magnifique précision avec laquelle cet académicien, amoureux des mots, du juste mot, exprime sa pensée. Et absolument acquis à son mélancolique constat final!