I.-Le premier paragraphe de l’article 24 de la Constitution dispose : « La Chambre des députés est composée de membres élus dont le nombre et les modalités d’élection seront déterminés par les lois électorales en vigueur. »
Ce paragraphe statue que les « modalités » de choix des députés se déroule conformément aux « lois électorales en vigueur » et il revient à la Chambre des députés d’établir une loi électorale conforme aux dispositions de la Constitution et à celles de l’article 24 de la Constitution modifié le 21 septembre 1990.
II.- La Constitution a adopté « la suppression du confessionnalisme politique » en suivant « un plan par étapes » dans l’alinéa «H» du préambule de la Constitution qui dispose : « La suppression du confessionnalisme politique constitue un but national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire d’œuvrer suivant un plan par étapes. »
Il apparaît de cet alinéa « H » que la Constitution s’est abstenue de fixer un délai déterminé pour établir « un plan par étapes » et pour l’exécuter, le laissant tacitement jusqu’au jour où la situation politique, sociale et culturelle au Liban aurait suffisamment mûri pour réaliser cette démarche « essentielle ». Le temps imparti pour ce délai peut durer des années, et peut-être cent ans ou davantage, et ceci jusqu’après la réalisation d’une condition sine qua non, qui est la « suppression du confessionnalisme » dans l’absolu, conformément au deuxième paragraphe de l’article 95 de la Constitution, pour pouvoir par la suite supprimer le « confessionnalisme politique » tel que prévu par le paragraphe « H » du préambule de la Constitution.
III.- Durant « la période intermédiaire » qui s’étend de la modification constitutionnelle du 21 septembre 1990 jusqu’à « l’élaboration par la Chambre d’une loi électorale sans contrainte confessionnelle », les sièges parlementaires seront répartis « à égalité entre chrétiens et musulmans », c’est-à-dire une égalité réelle et effective, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 24 de la Constitution lequel dispose : « En attendant l’élaboration par la Chambre des députés d’une loi électorale sans contrainte confessionnelle, les sièges parlementaires seront répartis conformément aux règles suivantes :
a. à égalité entre chrétiens et musulmans ;
b. proportionnellement entre les communautés de chacune de ces deux catégories ;
c. proportionnellement entre les régions. »
L’adoption par le constituant de la répartition égalitaire réelle et effective du nombre des députés chrétiens et musulmans, interprétée constitutionnellement, signifie cinq faits essentiels :
1.- qu’un nouveau pacte national constitutionnel a été conclu à Taëf entre les chrétiens et les musulmans par lequel les deux parties ont convenu d’adopter la distribution égalitaire réelle et effective des sièges parlementaires entre les deux parties, ce qui veut dire que la Chambre des députés sera constituée de députés chrétiens dont le nombre réel et effectif (non théorique) est égal au nombre réel et effectif des députés musulmans, et ce principe d’égalité réelle et effective a été consacré dans l’article 24 de la Constitution susmentionné ;
2.- que pour pouvoir adopter la répartition égalitaire réelle et effective des députés entre chrétiens et musulmans, le constituant libanais a écarté totalement, quoique pour une « période intérimaire », « la démocratie du nombre », la remplaçant par « la démocratie consensuelle », démocratie de « l’égalité et de l’équilibre communautaire » ;
3.- que l’égalité réelle et effective du nombre des députés chrétiens et musulmans ordonnée par le paragraphe 2 de l’article 24 de la Constitution constitue à ce titre un droit de pacte et constitutionnel à chacune des deux parties susindiquées, auquel personne ne peut contrevenir ni braver, à moins qu’un nouveau pacte constitutionnel soit de nouveau établi entre les Libanais par une nouvelle modification de la Constitution qui autorise la reprise de la démocratie numérique et qui écarte expressément le principe de l’égalité réelle et effective du nombre de députés chrétiens et musulmans ;
4.- que la Chambre des députés est constitutionnellement dans l’obligation d’établir une nouvelle loi électorale qui consacre expressément l’égalité réelle et effective du nombre de députés chrétiens et musulmans ;
5.- que toute nouvelle loi électorale qui rétablit la démocratie du nombre et déroge au principe de l’égalité réelle et effective du nombre de députés chrétiens et musulmans – même si c’est pour un seul député – est une loi contraire au nouveau pacte national constitutionnel adopté à Taëf et viole le paragraphe 2 de l’article 24 de la Constitution, ainsi que le « pacte de vie commune » consacré dans l’alinéa « J » du préambule de la Constitution, et doit être totalement exclue ;
IV.- Le paragraphe premier de l’article 95 de la Constitution dispose : « La Chambre des députés élue sur une base égalitaire entre les musulmans et les chrétiens doit prendre les dispositions adéquates en vue d’assurer la suppression du confessionnalisme politique, suivant un plan par étapes. Un comité national sera constitué et présidé par le président de la République, comprenant, en plus du président de la Chambre des députés et du président du Conseil des ministres, des personnalités politiques, intellectuelles et sociales. »
Ce paragraphe signifie que la Constitution a mis à la charge de la Chambre des députés, « élue sur une base égalitaire du nombre des députés entre les musulmans et les chrétiens » (égalité réelle et effective), de « prendre les dispositions adéquates » en vue d’assurer « la suppression du confessionnalisme politique suivant un plan par étapes... ». Ce qui veut bien dire que le délai imparti pour « prendre les dispositions adéquates » pour « supprimer le confessionnalisme politique » ne commence qu’à partir du jour de l’élection d’une Chambre de députés sur la base de l’égalité réelle et effective (et non seulement théorique) du nombre des députés chrétiens et musulmans, la Constitution n’ayant pas fixé de délai pour finir l’exécution du « plan par étapes » que doit établir le « comité national » prévu dans le paragraphe premier de l’article 95 de la Constitution susindiqué. De toute manière, jusqu’à aujourd’hui, le délai constitutionnel pour établir le « plan par étapes » n’a pas démarré parce que les Chambres des députés élues après la modification constitutionnelle du 21 septembre 1990 l’ont toutes été sur la base de la démocratie du nombre qui n’a jamais réalisé l’égalité réelle et effective du nombre des députés chrétiens et musulmans. C’est pour cela que depuis le 21 septembre 1990, les résultats de ces élections parlementaires ont constitué une violation flagrante de l’article 24 de la Constitution et du « pacte de vie commune » consacré dans l’alinéa « J » du préambule de la Constitution. Pour illustrer ce qui a précédé, prenons les résultats des élections de la Chambre des députés actuelle ayant eu lieu en 2009. Nous constatons que seulement 33 députés chrétiens sur 64 députés chrétiens sont élus par des électeurs chrétiens (voir le livre arabe de Charles Saba An-nizam al-intikhabi al-loubnani – éditions Centre Issam Farès 2011, p. 25) et représentent réellement leurs communautés, alors que les 31 autres députés chrétiens ont été élus par des électeurs musulmans et ne représentent pas leurs communautés ou ne les représentent pas suffisamment, avec ceci que le déséquilibre égalitaire entre députés chrétiens et députés musulmans s’est soldé en faveur du nombre des députés musulmans au détriment du nombre des députés chrétiens, ce qui pratiquement élève l’efficacité parlementaire du nombre des députés musulmans au niveau de 95 députés au lieu de 64 seulement.
(à suivre)
Joy TABET
Ambassadeur du Liban
Professeur de droit
constitutionnel