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À La Une - Route culinaire

La « seniora », ou quand une célèbre famille de Saïda crée une déflagration sucrée

Cet été, « L’Orient-Le Jour » vous emmène à travers le Liban à la découverte des spécialités culinaires des villes et des villages.

Sami Siniora dans la pâtisserie familiale à Saïda.

Certaines pâtisseries sont baptisées en référence à leur ville d’origine (la dacquoise, de Dax). D’autres porteraient le nom d’une jeune soubrette de Commercy (la madeleine). D’autres encore celui d’une course cycliste (le Paris-Brest). Et il y a les pâtisseries qui portent tout simplement le patronyme de leur créateur, à l’instar de la « seniora » (ou siniora, comme l’on a coutume d’écrire le nom de la célèbre famille libanaise).


Si aujourd’hui le nom Siniora évoque plutôt Fouad, ancien Premier ministre libanais, il fut un temps, vers 1859 pour être précis, où Siniora évoquait surtout une douceur dont le parfum sucré se répandait, chaque matin, dans la rue du Motran  de Saïda, grande ville du Liban-Sud.


Ironie de l’histoire, le créateur de cette douceur, un petit losange jaune pâle et croquant qui, une fois en bouche, se transforme en déflagration sucrée, ne s’appelait pas, à l’origine, Siniora, mais cheikh Ali al-Ghalayini. Ce cheikh Ali était le fils d’une très belle femme, que l’on avait coutume d’appeler la « Siniora » (de l’espagnol Señora), explique Sami Siniora, frère de Fouad Siniora. Ali al-Ghalayini fut dès lors rapidement rebaptisé Ibn el-Siniora (le fils de la Siniora). Avec le temps, son nom devint Ali Siniora, un patronyme qui fut repris par les descendants de la famille.


Quant au biscuit, lui non plus ne s’appelait pas, à l’origine, la seniora, mais la « Ghraybé » (l’étrangère). Cette pâtisserie, cheikh Ali (l’arrière-grand-père de Sami et Fouad Siniora), avait l’habitude de l’offrir aux visiteurs et amis de passage. Rapidement, le biscuit fut rebaptisé « le biscuit de Siniora », pour finir, en version abrégée, par la « seniora ».


« Au fil des années, le gâteau est devenu de plus en plus convoité et les proches de mon arrière-grand-père lui ont suggéré d’ouvrir une pâtisserie et d’y vendre la seniora », explique Sami Siniora, actuel propriétaire de la pâtisserie Seniora à Saïda.


Le succès fut au rendez-vous, puisque la famille a ouvert des magasins à Beyrouth, à Haïfa (en territoire palestinien à l’époque), à Alexandrie et à Damas. « Beaucoup d’hommes politiques européens et arabes sont venus déguster ce gâteau ici même, à Saïda », affirme-t-il.


Aujourd’hui, quand il se trouve dans la pâtisserie familiale qu’il dirige en sus de ses activités politiques, M. Siniora invite, lui aussi, les clients à goûter la spécialité familiale. « La générosité dans ce domaine est extrêmement importante »,
souligne-t-il.

 

« Ahlan wa Sahlan (bienvenue), vous êtes ici chez vous », lance-t-il aux clients devant les grands plateaux couverts de douceurs et sous les photos des ancêtres et de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, un grand ami de la famille.

 

 

Les senioras.

 

Transmise de génération en génération, la recette n’a pas vraiment changé. « Mes grands-pères ont ajouté quelques ingrédients et créé des variations à partir de la recette originale (sucre glace, farine et beurre) en fourrant le biscuit de pistaches ou de noix, par exemple », poursuit Sami Siniora.

« Aujourd’hui, c’est le nom qui fait survivre notre pâtisserie, car la famille n’est plus aussi impliquée dans ce domaine », reconnaît-il.


La pâtisserie n’est peut-être plus aussi populaire qu’elle le fut, mais elle a essaimé. « La plupart des grands pâtissiers du Liban ont travaillé chez nous avant de fonder leur propre pâtisserie », assure-t-il.


Mohammad Bachir al-Baba, fondateur de la grande pâtisserie saïdiote du même nom, est l’un de ces « disciples ». M. al-Baba a travaillé pendant 20 ans chez les Siniora, a épousé une de leurs filles puis a fondé sa propre pâtisserie.
«Tout se faisait manuellement dans le temps. On cuisait les senioras dans un four qui se trouvait hors de la ville. Ce n’est qu’en 1950 qu’un four électrique a été introduit. J’ai appris à façonner la seniora en observant », se souvient cet homme, aujourd’hui âgé de 90 ans et qui estime que la seniora fait partie du patrimoine de Saïda. Un peu au même titre que le château de la mer et la fabrication de savons.


Aujourd’hui, c’est son fils, Bachir al-Baba, qui gère la grande usine de la famille. « L’usine al-Baba est dotée d’équipements sophistiqués, notamment parce que la pâte doit être cuite à très haute température », explique-t-il. Via al-Baba, les senioras sont désormais exportées un peu partout dans le monde.

 


La préparation de la seniora
Les proportions exactes des ingrédients requis pour confectionner la séniora semblent tenir du secret d’État.
A priori, il faudrait commencer par mélanger la farine et le beurre. Le sucre glace serait ensuite ajouté dans des proportions bien précises mais non divulguées. La pâte doit alors être mélangée longtemps, afin que le sucre fonde complètement.
Puis, elle doit reposer toute une nuit, avant d’être roulée en longs boudins, et découpée en losanges. Les senioras cuisent une dizaine de minutes à four très chaud.

 

 

Les étapes précédentes de notre route culinaire : 

 

La moujaddara de fassoulia, spécialité roborative de Hammana


La kebbé, fierté zghortiote

 

À Nabatiyeh, variations parfumées autour de la viande crue


La moujadara hamra, délice terrien du Liban-Sud


La sfiha, bouchée gourmande de Baalbeck


La mouwaraka, spirale douce et croustillante de Amchit

 

Le « qerban », pain de communion et spécialité de Khenchara
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