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À Tunis, on savoure désormais le goût de la liberté - Transition

À Tunis, on savoure désormais le goût de la liberté

En Tunisie, l’homme de la rue parle désormais politique, donne son avis, critique le gouvernement, évoque ses craintes et ses espoirs. C’est ça la liberté, et elle n’a pas de prix.

Elyes Fakhfekh, ministre tunisien du Tourisme, à « L’Orient-Le Jour » : « C’est vrai que nous n’avons pas l’expérience démocratique de la Turquie, mais notre islam a été, de par son histoire, très modéré. »

TUNIS, de Patricia KHODER

Au vieux souk de Tunis, avec ses odeurs d’épices, ses faux coraux que l’on vend aux touristes et ses serpents et scorpions piqués au formol pour être préservés, les marchands n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent.
C’est vrai que la situation n’est pas facile après la révolution. Le chômage a augmenté. De 600 000 personnes sans emploi en 2010, le chiffre s’élève désormais à 800 000.
Le prix des biens de consommation, notamment celui des produits alimentaires, est monté en flèche.
Et pourtant, les Tunisiens ne déchantent pas. Ils restent patients. Dans le souk de Tunis, plus d’un, marchands de porcelaine, d’essences de parfum et d’autres produits traditionnels, font remarquer qu’ils ont fait la révolution pour eux et pour leurs enfants.
« Je fais partie de la génération perdue. Je ne verrai pas les fruits de la révolution. Ce sont mes enfants et mes petits-enfants qui en profiteront », indique un marchand de porcelaine qui a voté pour l’actuel chef du gouvernement, Hamadi Jebali, lors des élections de l’Assemblée constituante tenues en octobre dernier et qui, comme toutes les autres personnes interrogées, « continuera à aller aux urnes pour sanctionner les personnes au pouvoir si leurs projets n’aboutissent pas ».
Les Tunisiens affirment qu’ils ne voteront jamais pour une personne qui était proche de l’ancien président Zein el-Abidine Ben Ali ou qui était membre de son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique, même si elle est compétente et patriotique, et cela de peur que l’ancien régime ne revienne au pouvoir.
Au marché de Tunis, rares sont les hommes qui craignent les fondamentalistes. « Ils ne sont pas très nombreux comme la presse veut le montrer. D’ailleurs notre islam a toujours été tolérant », explique un homme.
« La différence entre les fondamentalistes et les autres croyants est que les premiers ont une façon différente de prier et d’évaluer les choses. Quand des problèmes éclatent, ce ne sont pas les islamistes radicaux qui sont impliqués, mais surtout des repris de justice ou des membres de l’ancien régime qui veulent semer la discorde dans le pays et qui se présentent sous le label de l’islam fondamentaliste », note un marchand d’épices.
D’autres affirment que le soufisme ancré dans la culture tunisienne, notamment au sud du pays, a aidé à la création de cet islam historiquement tolérant.

Les expériences turque et tunisienne
Quand ils sont interrogés sur l’islamisme au pouvoir, les hommes politiques, notamment les ministres des Affaires étrangères et du Tourisme, respectivement Rafik Abdelsalem et Elyes Fakhfekh, se plaisent à comparer leur situation à celle de l’AKP en Turquie.
« C’est vrai que nous n’avons pas l’expérience démocratique de la Turquie, mais notre islam a été, de par son histoire, très modéré », indique M. Fakhfekh à L’Orient-Le Jour, soulignant qu’il faut également prendre en compte les premières années de la République instaurée par Habib Bourguiba.
Quand on se promène à Tunis, on croise de plus en plus de femmes entièrement voilées, portant le niqab noir du fondamentalisme sunnite, pratique quasi interdite sous l’ancien régime. Personne ne sait où et comment elles vivaient sous Ben Ali. Probablement qu’elles sortaient à peine ou qu’elles arboraient le voile, au lieu du niqab, hors de chez elles.
Les femmes tunisiennes, pionnières de la liberté dans le monde arabe, ne voient pas ce phénomène d’un bon œil et craignent que les choses, sur le plan des lois acquises, ne se détériorent à l’avenir.

La presse et les ONG
Les Tunisiens n’aiment pas se plaindre ou se lamenter, ils préfèrent voir la partie pleine du verre. Ils évoquent les touristes qui reviennent et les boîtes de nuit qui se remettent à recevoir des DJ et des chanteurs étrangers, comme les Libanais Nancy Ajram et Waël Kfoury.
« Nous nous sommes appauvris, les touristes sont rares, et beaucoup est à faire, mais au moins je n’ai plus peur de dire ce que je pense quand je veux et devant qui je veux », s’exclame un homme.
Cette nouvelle liberté acquise se traduit aussi dans la presse qui opte pour des titres politiques osés, voire choquants, et qui monte en épingle les dissensions au sein du gouvernement de coalition.
De plus, les associations, qui étaient interdites sous Ben Ali, commencent à prendre de l’envergure. Elles sont présentes notamment dans le domaine des droits de l’homme, du développement et de l’aide aux plus démunis.
« D’ailleurs pour le gouvernement actuel, la tâche la plus difficile est de résorber le chômage et d’entamer un développement équilibré, notamment dans les régions les plus pauvres », indique le ministre du Tourisme, notant que « la population a besoin de réformes et de changement, le peuple ne peut pas attendre éternellement ».
En Tunisie, tout le monde a fait la révolution, en janvier 2011, des hommes, des femmes et des enfants, de toutes les classes sociales, étaient decendus dans la rue.
Ferid Fetni, directeur général de la promotion au ministère du Tourisme, se souvient du 14 janvier 2011. « J’étais arrivé le matin au travail comme à l’accoutumée. Je m’étais réuni avec le ministre. Puis je l’ai vu ranger ses affaires. J’ai su qu’il s’apprêtait à partir pour de bon. Il ne m’avait rien dit pourtant. Quelques heures plus tard, j’ai regardé par la fenêtre, l’avenue Bourguiba était noire de monde. Les télévisions du monde entier étaient là. Ben Ali est parti. C’était comme dans un rêve », raconte-t-il.
Cet homme est resté à son poste après la révolution. Il se rend tous les matins à son ministère. Il ne s’est jamais senti menacé. « Je n’ai jamais été proche des responsables au pouvoir, je n’appartenais pas au parti. J’ai fait mon métier et j’ai servi mon pays », explique-t-il.
Il n’est pas le seul à être dans ce cas. En Tunisie, seules les personnes qui ont été proches de Ben Ali et qui ont tiré parti de cette situation ont été éloignées. Certaines d’entre elles attendent d’être jugées alors qu’elles sont en résidence surveillée ou en prison, d’autres ont quitté le pays ou encore sont restées sur place en menant une vie très discrète.
Dans ce pays du Maghreb donc, précurseur de la révolution, tout n’est pas à refaire, comme c’est le cas notamment en Libye. À Tunis, les institutions de l’État poursuivent leur travail avec une majorité d’anciens fonctionnaires. C’est pour cela qu’il y a beaucoup plus de chances qu’ailleurs que la Tunisie réussisse avec de moindres dégâts son passage à la démocratie.
TUNIS, de Patricia KHODER Au vieux souk de Tunis, avec ses odeurs d’épices, ses faux coraux que l’on vend aux touristes et ses serpents et scorpions piqués au formol pour être préservés, les marchands n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent. C’est vrai que la situation n’est pas facile après la révolution. Le chômage a augmenté. De 600 000 personnes sans emploi...