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Troisième phase du projet de Coopération de journalisme scientifique à Dakar - Société

Les femmes manquent d’autonomie pour gérer leur destin

Les femmes au Sénégal constituent plus de la moitié de la population. Leur situation est toutefois « préoccupante » d’après de nombreux chercheurs, qui déplorent leur manque d’autonomie et leur incapacité à prendre en charge leur destin.

Ramata Molo Aw Thioune : « L’autonomisation de la femme sénégalaise restera problématique tant que celle-ci reste victime de différentes formes de violence. »

«Vous êtes des femmes... comme moi. Par solidarité, achetez mes produits. » Dans les rues grouillantes de Dakar, une femme aborde un groupe de touristes, les pressant de se diriger vers son stand sur lequel sont exposés une grande variété de bibelots et de colifichets en bois. Malgré son âge, la cinquantaine, et la fatigue qui lui creuse le visage, cette femme au sourire ineffaçable s’affaire à servir ses clientes, n’hésitant pas à parcourir des centaines de mètres pour renflouer son mince stock.


Astou fait partie des millions de femmes sénégalaises qui ignorent toujours leurs droits et qui n’ont ni les moyens ni la capacité culturelle et financière de changer leur situation.


«La situation de la femme au Sénégal est toujours préoccupante, malgré les efforts déployés pour l’améliorer», constate Ramata Molo Aw Thioune, chargée de projets dans le cadre du programme Gouvernance, Sécurité et Justice au Centre de recherche pour le développement international (CRDI), une institution canadienne qui œuvre pour le développement dans les pays du Sud.


«Le Sénégal a déjà voté, à titre d’exemple, la loi de la parité, mais celle-ci devra encore être mise en application, poursuit-elle. Nous avons aussi des projets qui ciblent les femmes, notamment dans le secteur économique. Il n’en reste pas moins que l’effet de ces programmes est limité, dans le sens où ceux-ci ne les touchent pas toutes.»
Pour Ramata Molo Aw Thioune, un important travail doit se faire pour que «les femmes se prennent en charge». «C’est à ce niveau-là que se posent les problèmes, puisqu’au Sénégal, les femmes n’ont pas encore cette autonomie pour prendre réellement en charge leur destin, fait-elle remarquer. Jusqu’à présent, la femme a un rôle de figurant.»


Quelles sont les démarches entreprises pour renforcer l’autonomie de la femme? «Vous savez qu’au niveau du CRDI, nous finançons la recherche pour le développement, répond Ramata Molo Aw Thioune. Nous pensons que les femmes sont les actrices-clés du développement. De ce point de vue, nous appuyons certaines organisations de la société civile, notamment celles qui œuvrent en faveur des femmes, à mettre en œuvre des arguments solides pour élaborer leurs programmes. Il s’agit de produire des connaissances réelles, au lieu de se baser sur des a priori. C’est là où la recherche peut aider. Le CRDI a un service qui œuvre dans ce sens. Nous aidons ces ONG à comprendre quels sont les mécanismes les plus porteurs pour apporter ces changements et les mettre en œuvre pour que la situation de la femme s’améliore.»

Lutte contre la violence
Ramata Molo Aw Thioune estime toutefois que «l’autonomisation de la femme restera problématique tant que celle-ci reste victime de différentes formes de violence». «Les cas de violence les plus rapportés par la presse sont ceux liés à la violence domestique et sexuelle, comme les viols, souligne-t-elle. Cette forme de violence est tangible. Il existe toutefois d’autres formes de violence qui sont beaucoup plus subtiles et insidieuses, à savoir la violence psychologique et verbale, qui atteint la dignité de la femme. C’est un sérieux problème qui interpelle les chercheurs et les organisations de femmes au Sénégal. À mon avis, il s’agit de la forme de violence la plus fréquente. Néanmoins, elle n’est pas visible. Il est important de lutter contre ces violences, d’autant qu’elles anéantissent la femme, dans le sens où son autonomisation va être problématique, puisqu’elle n’aura pas la force, le courage et le moral pour essayer de sortir de cette situation.»


Les femmes constituent 52% de la population au Sénégal. «Une loi a été promulguée pour les protéger de la violence, explique Ramata Molo Aw Thioune. Des programmes ont même été élaborés dans ce sens et plusieurs ONG sont actives à ce niveau. Il y a donc un recours à la protection, mais le problème reste l’accessibilité aux lois, qui sont souvent élaborées en français. Or la majorité des femmes sénégalaises sont analphabètes. On estime à 2% le taux d’entre elles qui savent lire le français. À cela s’ajoute le fait que les femmes sont dominées par des valeurs culturelles qui les empêchent de prendre l’initiative et de s’assumer. Elles pensent, à titre d’exemple, que le fait de rapporter une violence commise par l’époux peut avoir des conséquences sur leurs enfants. De telles valeurs sont handicapantes. Un grand travail de fond est nécessaire pour réussir à opérer des changements.»


Commentant le rôle du ministère sénégalais de la Femme, Ramata Molo Aw Thioune note que celui-ci « encourage les programmes de développement et les projets ». Selon la responsable du CRDI, il s’agit plus de projets «à la durée de vie limitée que des projets susceptibles de faire des changements d’ordre systématique et en profondeur en renforçant les capacités des femmes à se prendre en charge. Tel est le grand défi qu’il faudrait relever. Il faudrait essayer de donner aux femmes la possibilité de revendiquer elles-mêmes leurs propres droits. Certaines d’entre elles ont hérité ou ont travaillé pour avoir quelques revenus, mais le contrôle de ces ressources pose un problème très sérieux. Cela est lié à leur manque de pouvoirs et d’autonomie qui leur permet de gérer leur vie comme elles le souhaitent.»


Comment la science et les recherches vont-elles aider à changer la situation de la femme sénégalaise? «D’une manière indirecte, indique Ramata Molo Aw Thioune. La science et la recherche rigoureuse sous-entendent la production de connaissances. Elles aident donc à mieux comprendre un phénomène et par conséquent à imaginer des solutions qui sont à même de régler ces problèmes. Cela est extrêmement important, puisqu’on ne peut pas baser les changements pour le développement sur des a priori.»

«Vous êtes des femmes... comme moi. Par solidarité, achetez mes produits. » Dans les rues grouillantes de Dakar, une femme aborde un groupe de touristes, les pressant de se diriger vers son stand sur lequel sont exposés une grande variété de bibelots et de colifichets en bois. Malgré son âge, la cinquantaine, et la fatigue qui lui creuse le visage, cette femme au sourire ineffaçable...