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Liban

Beyrouth-Sarajevo : les deux populations gèrent différemment la vie après la guerre

Dans la capitale bosniaque, une maison criblée de balles constituant l’entrée d’un tunnel transformé en musée de la mémoire.

Beyrouth et Sarajevo sont deux villes qui ont vécu la guerre civile et leurs populations ont survécu au pire. Le Liban et la Bosnie-Herzégovine sont deux pays qui présentent une mosaïque de communautés, obligées à vivre ensemble malgré les atrocités et les violences commises.
La comparaison pourrait s’arrêter là : Beyrouth est une ville qui respire la vie, contrairement à Sarajevo qui ne s’est pas encore remise à vivre, quinze ans après la fin du conflit, remuant toujours les blessures du passé, ne voulant rien oublier.
À Sarajevo, la tristesse vous prend à la gorge dès votre arrivée en ville. Mise à part la majorité des bâtiments du centre, les murs de la quasi-totalité des immeubles criblés de balles lors de la guerre n’ont pas été correctement restaurés. Les trous créés par les impacts d’obus et de balles ont été colmatés au béton sans pour autant qu’ils soient repeints.
Au Liban, il a certes fallu Solidere pour reconstruire le centre-ville de Beyrouth, mais il ne faut pas oublier l’initiative personnelle des Libanais qui réparaient leurs maisons, remplaçant vitres et rebâtissant murs et plafonds effondrés après chaque cessez-le-feu.
Si vous êtes un étranger et que vous arrivez pour la première fois à Beyrouth, les Libanais, en dépit de la guerre qu’ils ont vécue et quelle que soit leur opinion politique, vous montreront avec fierté la renaissance de leur capitale, vous proposeront de déjeuner dans un bon restaurant, ne vous parleront pas spontanément des accrochages ou des francs-tireurs à moins que vous ne posiez la question. Pas les Bosniaques.
Quand vous vous promenez dans leur ville située dans une plaine, les habitants de Sarajevo vous montrent en premier les collines « d’où les snipers nous ajustaient ». Ils oublient de vous raconter que ce sont ces montagnes qui avaient accueilli certaines épreuves des Jeux olympiques d’hiver de 1984.
Les Libanais, eux, passent aujourd’hui tous les jours sur le ring Fouad Chéhab, à Sodeco et dans le secteur du Musée. S’ils devaient encore penser aux francs-tireurs qui paralysaient la ville au temps de la guerre, ils s’empêcheraient de vivre et de regarder vers l’avenir. C’est sur l’ancienne ligne de démarcation, c’est-à-dire à la rue Monnot, que les restaurants et les boîtes de nuit à la mode ont poussé comme des champignons, quelques années après la fin des combats, comme pour marquer une renaissance.
À Beyrouth, secteur de la Quarantaine, une boîte de nuit a été bâtie à l’emplacement même d’un ancien charnier. À l’intérieur, les fauteuils et les tables ont la forme de cercueils. C’est ici que beaucoup viennent faire la fête.

Des images qu’on repasse en boucle
Il y a le musée de la Shoah à Paris où l’on ne peut pas s’empêcher de penser au sort réservé aux Juifs de France durant la Seconde Guerre mondiale et cela quel que soit le background politique auquel on appartient.
Les Bosniaques – qui ont connu la guerre de 1992 à 1996, avec ses 100 000 morts, ses pires atrocités allant des viols à la purification
ethnique, en passant par les camps de concentration – ont aussi leur musée de la mémoire. C’est un tunnel qui a été durant trois ans le poumon de Sarajevo. Creusé par l’armée, il servait à évacuer les blessés hors de la ville et à y faire entrer des vivres loin des fusils des snipers. C’est grâce à ce tunnel que Sarajevo a réussi à tenir sous le siège. Aujourd’hui, dans ce tunnel, on peut voir brouettes, brancards, tenues militaires, obus évidés, mitrailleuses... Tout au long de la visite, on passe en boucle sur des écrans des images de la ville qu’on détruit, des films de bombardement sur fond de projectiles qui explosent.
C’est comme si les Libanais décidaient de se rassembler dans une salle pour voir à longueur de journée de vieilles images de la guerre des hôtels ou du siège d’Achrafieh et beaucoup d’autres événements... Le meilleur moyen de replonger dans la haine.
Même si l’on pense, à juste titre, que les Libanais peuvent mieux faire en matière de réconciliation et de pardon, ils ont quand même réussi à entreprendre plusieurs initiatives encourageant la tolérance et l’acceptation de l’autre. Il y a certes les initiatives personnelles, le travail effectué par plusieurs ONG, le comité du dialogue islamo-chrétien et surtout la réconciliation druzo-chrétienne entreprise par le patriarche maronite Nasrallah Sfeir et le chef druze Walid Joumblatt. Les Libanais sont aussi restés, malgré tout, curieux les uns des autres.
À Sarajevo, une guide touristique a présenté la ville comme « la seconde Jérusalem », car églises, mosquées et synagogues sont à proximité les unes des autres. Après avoir laissé visiter l’intérieur des lieux de culte musulman et juif, elle a empêché une touriste d’entrer dans la plus vieille église orthodoxe de la ville, qu’elle montrait de l’extérieur. « On n’a pas le temps », a-t-elle tranché.
Dans la capitale bosniaque, le jour de Pâques, la cathédrale catholique de la ville était fermée, même si on entendait par intermittence le carillon des cloches : les catholiques qui célébraient la fête avaient assisté à la messe le matin puis fermé leur église, située en plein centre-ville, avant de quitter les lieux.

L’autre version des faits
Sur le plan des médias, beaucoup reste à faire, à Sarajevo comme à Beyrouth. Mais au Liban, même si les bulletins d’informations ressemblent parfois à des appels à la guerre et à la haine, documentaires et reportages écrits et télévisés ont été publiés et montrés dès la fin du conflit sur les francs-tireurs, les anciens miliciens, les disparus, les mères de combattants tués... Le travail a été effectué par des journalistes de tous bords et auprès de tous ceux qui avaient porté les armes. Chacun a pu raconter sa version des faits, chacun a eu droit à une petite phrase dans un journal ou quelques secondes à l’écran, montrant son côté humain malgré tout ce qu’il avait entrepris.
À Sarajevo cela ne se fera pas de sitôt. Une importante journaliste bosniaque s’est posé des questions sur l’utilité de ce genre de travail, expliquant que « cela ne servirait à rien, car les Serbes ne reconnaîtront jamais leurs erreurs ».
Des gens du métier et des responsables d’ONG bosniaques réclament jusqu’à présent que les journalistes ayant servi la propagande durant la guerre soient traduits en justice.
Un ancien milicien bosniaque, qui guerroyait entre Sarajevo et d’autres régions de la Bosnie-Herzégovine, reconnaît que sa ville est triste. Il confie qu’il déteste la guerre et rêve de revivre comme avant 1992. Il raconte aussi que sa famille compte des Croates et des Serbes par alliance et qu’ils vivent tous ensemble en parfaite harmonie. Et pourtant, il admet qu’il ne pardonnera jamais « aux Serbes qui ont tué des femmes et des enfants. À la guerre, seuls les hommes doivent mourir », assène-t-il. Il en veut à « l’Europe chrétienne qui n’a pas aidé les Bosniaques au début du conflit et qui voulait simplement les chasser de leur pays ou encore les laisser tous mourir. Elle a toujours été du côté des Serbes » et cela même si l’OTAN devait bombarder ultérieurement la Serbie.

L’amour de la vie malgré tout
Pour célébrer le vingtième anniversaire du siège de Sarajevo, la ville a organisé un concert devant des chaises vides. Dans l’avenue principale, celle du Maréchal-Tito, 11 541 chaises représentant le nombre de personnes tuées sous le siège ont été placées sur quelque 800 mètres. Une chorale accompagnée d’un orchestre symphonique a chanté Pourquoi n’es-tu pas là ?
À Beyrouth, pour commémorer le 13 avril, il y a quelques années, les Libanais ont organisé une sorte de kermesse à l’hippodrome posant devant le vieux bus de Aïn Remmaneh et distribué des fleurs sous le slogan « J’aime la vie » et « Plus jamais ça ».
Contrairement aux villes européennes, où l’on se souvient des morts pour la patrie en leur consacrant des plaques portant leurs noms à l’endroit où ils sont tombés, à Sarajevo, même si quelques inscriptions figurent sur les murs, on a choisi une autre option : du béton peint en rouge marque la chaussée, rappelant les gouttes de sang, à l’endroit même où des personnes avaient été fauchées par les balles des snipers ou les éclats d’obus.
Les Libanais n’ont pas encore leur musée de la mémoire. Celui-ci est prévu dans les années à venir à Beit Barakat, l’immeuble jaune criblé de balles situé au carrefour de Sodeco. Certes, les Libanais qui ont perdu quelque 200 000 morts dans une guerre qui a duré 17 ans ont encore beaucoup de travail à faire pour parvenir à une véritable réconciliation et à construire un État de droit.
Mais grâce à leur instinct de survie, à l’amour qu’ils portent à la vie, ils ont réussi à dépasser la guerre. Ils sont aujourd’hui aussi tolérants et bon vivants qu’ils étaient naguère violents et sanguinaires. Peut-être forment-ils une sorte de peuple fou pour survivre à un conflit aussi violent et atroce que celui qui a secoué le Liban.

Pat. K.
Beyrouth et Sarajevo sont deux villes qui ont vécu la guerre civile et leurs populations ont survécu au pire. Le Liban et la Bosnie-Herzégovine sont deux pays qui présentent une mosaïque de communautés, obligées à vivre ensemble malgré les atrocités et les violences commises. La comparaison pourrait s’arrêter là : Beyrouth est une ville qui respire la vie, contrairement...

commentaires (1)

oui, mais en Bosnie, on force les gens à vivre ensemble, car il y a 3 communautés : serbe/orthodoxe, croate/catholique et bosniaque/musulman. Certains partis voudraient quitter la fédération, mais c'est interdit, c'est cela la démocratie, on vous impose un pays que vous reconnaissez pas, seul choix s'assimiler, ou partir. Bientôt, le choix des chrétiens au Moyen-Orient

Talaat Dominique

05 h 51, le 23 avril 2012

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Commentaires (1)

  • oui, mais en Bosnie, on force les gens à vivre ensemble, car il y a 3 communautés : serbe/orthodoxe, croate/catholique et bosniaque/musulman. Certains partis voudraient quitter la fédération, mais c'est interdit, c'est cela la démocratie, on vous impose un pays que vous reconnaissez pas, seul choix s'assimiler, ou partir. Bientôt, le choix des chrétiens au Moyen-Orient

    Talaat Dominique

    05 h 51, le 23 avril 2012

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