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Dans l’attente d’une révolution culturelle hezbollahie

La tentative d’assassinat du leader des Forces libanaises Samir Geagea devrait induire une réflexion en profondeur visant à établir une évaluation des phases-clés qui ont marqué la révolution du Cèdre depuis le printemps 2005. Une lecture sereine, à partir d’une position de recul, de la ligne de conduite des principaux acteurs de la scène locale durant ces sept dernières années est, aujourd’hui, plus que jamais nécessaire dans le but de tirer les conclusions qui s’imposent et placer les jalons de l’étape future en termes de stratégie d’action et de comportement politique.


Le point de départ d’un tel bilan de l’étape passée doit se situer au niveau des préparatifs des élections législatives de 2005, au lendemain de l’événement fondateur de l’intifada de l’indépendance. L’opposition de l’époque – qui deviendra plus tard le 14 Mars – était alors en position de force et avait réussi à cristalliser, à la faveur des vastes rassemblements et manifestations ayant suivi l’assassinat de Rafic Hariri, un courant libaniste transcommunautaire, en tout point historique, le premier du genre au plan populaire depuis la création du Grand Liban en 1920.


Avec l’adhésion des masses sunnites et druzes à ce courant libaniste, parallèlement à l’adhésion naturelle chrétienne, il ne manquait plus à l’appel que la composante chiite. L’accord électoral quadripartite – très contesté – conclu en vue du scrutin de 2005 avec le tandem Amal-Hezbollah avait précisément entre autres objectifs, en plus des simples calculs électoraux, de tendre la main au duopole représentatif de la communauté chiite afin de l’inciter à rejoindre le projet souverainiste et à l’associer à l’entreprise d’édification d’un État central rassembleur, garant de toutes les collectivités communautaires. Et pour aller jusqu’au bout de cette politique de la main tendue, la nouvelle majorité née des premières élections de l’ère postsyrienne a respecté l’évidente légitimité populaire chiite en élisant le leader d’Amal à la présidence de la Chambre, au lieu de faire accéder à ce poste l’un des députés chiites issus de ses rangs. Et c’est sur base de cette même légitimité que le tandem chiite était associé au gouvernement de Fouad Siniora, en juin 2005.


À cette tentative de politique d’ouverture pratiquée par le 14 Mars, le Hezbollah, entraînant dans son sillage le mouvement Amal, a répondu en lançant rapidement une contre-révolution, en s’appuyant sur ses deux parrains régionaux, Damas et Téhéran.

 

Cette contre-révolution a pris au fil des mois et des années, et dès la formation du cabinet Siniora, plusieurs formes : attentats aux explosifs dans les zones résidentielles chrétiennes ; assassinats politiques en série ; boycottage du gouvernement ; tentatives de blocus de la capitale en fermant les principaux axes routiers aux entrées de Beyrouth ; occupation prolongée du centre-ville et siège du Grand Sérail ; fermeture totale du Parlement; déclenchement par le Hezbollah de la guerre destructrice de juillet 2006 contre Israël ; torpillage de l’élection présidentielle ; menaces de sédition pour imposer le principe de la démocratie consensuelle ; offensive milicienne hezbollahie du 7 mai 2008 contre Beyrouth-Ouest... Sans compter, en parallèle, la guerre de Nahr el-Bared, manifestement orchestrée par le régime syrien.


Cette diabolique stratégie de contre-révolution du Cèdre, mise en place dans le plus pur style stalinien et nazi, a abouti en 2008 à l’accord de Doha basé sur une série d’engagements fermes pris par le Hezbollah et le 8 Mars, sur base de garanties arabes et qataries : adoption du principe de la formation de gouvernements d’union nationale avec tiers de blocage à la condition que rien ne soit entrepris pour provoquer la chute de ce type de cabinet ; arrêt des campagnes médiatiques ; arrêt de l’usage de la force comme moyen d’action politique (ce qui implique implicitement le bannissement des assassinats politiques).
Après la nette victoire du 14 Mars aux élections de 2009, les termes de l’accord de Doha ont été reconfirmés, de sorte qu’un gouvernement d’union nationale avec tiers de blocage accordé au Hezbollah et ses alliés a été formé sous la conduite du leader du courant du Futur, Saad Hariri. Mais le Hezbollah a entrepris rapidement de renier tous ses engagements pris à Doha : il a repris ses accusations de traîtrise à l’adresse des pôles du 14 Mars ; il a provoqué la chute du cabinet Hariri ; il a eu recours au chantage milicien, aux menaces et à l’intimidation afin de renverser la majorité parlementaire et gommer de la sorte les résultats du scrutin législatif de 2009 ; et, comme conséquence logique, il a imposé un gouvernement monochrome en occultant le slogan de « démocratie consensuelle » dont il se faisait lui-même le porte-étendard.


La tentative d’assassinat de Samir Geagea a consacré en quelque sorte le sabotage de l’esprit et des termes de l’entente de Doha. Quelle que soit l’identité des commanditaires et des exécutants de cet attentat, force est de relever qu’une telle opération sert le projet du parti chiite pro-iranien, dans la mesure où, si elle avait réussi, elle aurait porté un coup très dur au courant souverainiste. Pour le Hezbollah, le Liban n’est en effet qu’un détail dans un projet idéologique transnational. Pour lui, le Liban n’est qu’un petit pion sur l’échiquier du nouvel empire perse au service d’une doctrine théocratique sectaire. Sa littérature politique élaborée au début des années 80 est sur ce plan on ne peut plus claire.


Rien d’étonnant, de ce fait, que le Hezbollah, non seulement ne se sente pas concerné par tout projet souverainiste, mais n’épargne aucun moyen, aucun effort, pour torpiller à la base toute approche libaniste. Il était donc illusoire, dès le départ, de songer qu’il pourrait s’associer d’une quelconque façon à l’édification d’un État central rassembleur, censé engager le pays sur la voie de la paix civile, de la stabilité et de la neutralité positive à l’égard des axes régionaux. Conséquence logique pour l’avenir proche : toute politique de la main tendue en direction du Hezbollah (et de ses alliés inconditionnels) ne pourrait être que stérile, tant que le parti chiite ne se livre pas à une révolution culturelle pour axer son action exclusivement sur l’espace libanais.


Dans l’attente de cette hypothétique révolution culturelle hezbollahie, les Libanais sont appelés une fois de plus – et seront appelés à la faveur des prochaines élections législatives de 2013 – à choisir entre deux projets politiques, deux projets de société, aux antipodes l’un de l’autre : l’ancrage à la République islamique et à l’axe Téhéran-Damas (du moins ce qui reste du volet syrien d’un tel axe), avec tout ce que cela entraîne comme édification d’une société guerrière, imposant aux Libanais d’être indéfiniment otages d’un climat de guerre permanent entretenu pour servir la raison d’État syro-iranienne ; ou, au contraire, l’adhésion au projet d’édification d’un État rassembleur, libaniste, souverainiste, garant des intérêts de toutes les communautés.


Dans un tel contexte, surtout à la lumière de la tentative d’assassinat de Samir Geagea et de la menace d’un retour au langage des assassinats politiques et du recours à la force comme moyen d’action politique, le 14 Mars se doit aujourd’hui plus que jamais de ressouder ses rangs autour d’un programme commun clair et exhaustif, nécessitant plus particulièrement la mise en place d’une structure de relève, capable de bétonner le 14 Mars pour mettre en échec les tentatives de le saboter manu militari. La concrétisation de l’ancien projet de Conseil national, donnant enfin un rôle fondamental aux indépendants et à la société civile, s’impose à cet égard. Car face à la relance du péril milicien, le 14 Mars n’a d’autre carte à jouer que sa restructuration en vue d’une mobilisation populaire généralisée avec un enjeu clair : redonner vie à la dynamique – et à l’esprit – du 14 mars 2005, en phase avec le printemps arabe, pour imposer le projet de l’État et déconnecter ainsi le pays du Cèdre des manœuvres régionales stériles. À défaut, les Libanais demeureront, indéfiniment, otages d’une société guerrière encadrée et instrumentalisée par des forces agissant dans l’ombre bien au-delà des frontières.

La tentative d’assassinat du leader des Forces libanaises Samir Geagea devrait induire une réflexion en profondeur visant à établir une évaluation des phases-clés qui ont marqué la révolution du Cèdre depuis le printemps 2005. Une lecture sereine, à partir d’une position de recul, de la ligne de conduite des principaux acteurs de la scène locale durant ces sept dernières...

commentaires (9)

Il suffit pour le HEZB, comme commencement, qu'il induise quelques amendements à ses statuts de parti, en enlevant les clauses relatives à l'imposition d'une Wilayet Al Fakih au Liban, suivi de quelques francs et réels gestes patriotiques, pour que l'opinion populaire Libanaise commence à avoir confiance en lui et se renverse à son avantage. Attirer les foudres sur le pays n'en ferait que le contraire.

SAKR LEBNAN

12 h 46, le 11 avril 2012

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Commentaires (9)

  • Il suffit pour le HEZB, comme commencement, qu'il induise quelques amendements à ses statuts de parti, en enlevant les clauses relatives à l'imposition d'une Wilayet Al Fakih au Liban, suivi de quelques francs et réels gestes patriotiques, pour que l'opinion populaire Libanaise commence à avoir confiance en lui et se renverse à son avantage. Attirer les foudres sur le pays n'en ferait que le contraire.

    SAKR LEBNAN

    12 h 46, le 11 avril 2012

  • Pas une révolution culturelle...une Libanisation à laquelle je suis certain qu'aspirent la grande majorité des membres et sympathisants de ce parti...compte tenu de la très remarquable absence de l"Etat libanis"(sans rire),pendant des lustres à l'égard des chiites,qui peut sérieusement leur reprocher d'avoir cherché des structures ailleurs?Mais aujourd'hui,la situation est différente...le Hezb gouverne,de facto le Liban...ou du moins a la capacité de nuisance nécessaire et suffisante pour qu'il ne soit gouverné que selon ses désidératas...c'est un fait...c'est le moment ou jamais pour le Hezb de secouer ses tutelles et de sortir de ce projet dément de wilayat el fakih... de redevenir stictement Libanais en tout et pour tout...il n'en recueillera que des lauriers,et se laïcisant,permettra de contrebattre efficacement la montée du salafismo-ekhwanisme libanais...mais en aura -t-il le courage,en aura-t-il la volonté?yalla ,ya Hezb,Lebnéne wou bass...

    GEDEON Christian

    08 h 52, le 10 avril 2012

  • Le CPL n'est pas mentionné cher Jabbour pour la seule raison qu'il n'existe plus. Ce qu'il en reste, les miettes, ne sont que des Aounistes suppôt du Hezbollah et des partis nationaux Syriens. En bref rien de ce qu'aurait pu être le dit CPL. Il a perdu sa lumière (Au sens propre comme au figuré), n'a plus rien de patriotique puisqu'il défend des partis aux idéologies toutes opposées a l'existence même du Liban, et depuis son affiliation au Hezbollah et sa transformation en parti du culte de la personne, a perdu toute notion de liberté puisqu'assujetti au desiderata des millions Iraniens. Il semble que même les journalistes ne peuvent se permettre de perdre plus de temps.

    Pierre Hadjigeorgiou

    08 h 41, le 10 avril 2012

  • On a beau les traiter "d'escrocs", le métier de "résistant" est un sacerdoce qui ne rapporte plus gros, "c'est Collabo" qui rapporte un max ! Aussi, le "syndicat ?" auquel ils adhèrent, a-t-il eu l'idée de proposer un joli Calendrier pour pas cher ! Les personnes âgées y sont très sensibles parce que le treillis met en confiance. Ils savent que c'est interdit et c'est malhonnête, mais bon, faut bien qu’ils vivent aussi ! Y'a pas de raison pour que seuls les boutiquiers-épiciers, avocats, médecins-dentistes "(h)Amers-orangés" et pâmés etc., soient malhonnêtes ; eux aussi ils veulent leur part du baklava ! Cette année, les puinés, leur Calendrier s'est très mal vendu et ils ne comprennent plus pourquoi ! Ils avaient même voté à main levée, afin de choisir de belles illustrations symbolisant leur profession… de "résistants!". Les photos, n'auront sans doute pas plu. On ne sait pas pourquoi. Mystère du marketing Perse exotique ! A moins que les indigènes "fakîdiots" n'aiment plus les photos "de créatures" forestières. Si quelqu’un en veut quand bien même, ils sont à vendre pour seulement cent toumânes ou piastres, payables en petites coupures usagées… juste pour le "blanchiment" ! L'an prochain, c’est promis, ils remettront des photos de petits chiots rabiques dans des paniers en osier avec des petites "tchadorisées", ou bien des petites "tchadorisées" dans des paniers en osier avec des petits klebs enragés ! Ça marche toujours ça.

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    05 h 26, le 10 avril 2012

  • Analyse objective ou on voit clairement le chiisme politique tantôt triompher et tantôt le sunnisme politique et le rôle du bloc chrétien s’éclipser de plus en plus pour un suivisme aveugle. Quand à l’Iran et l ’Arabie Saoudite comme dans une vente aux enchères se préparer et qui payera le plus gagnera les législatives de 2013. Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    05 h 15, le 10 avril 2012

  • Monsieur Michel Touma, votre analyse est très objective. On ne peut rien y ajouter, sinon ce qui manque : objectif : Mainmise définitive sur le Pays !

    SAKR LEBNAN

    02 h 38, le 10 avril 2012

  • Cet article de Mr Touma est d'une clarté lumineuse. C'est un excellent résumé des sept années de combat qui viennent de s'écouler.

    Saleh Issal

    01 h 41, le 10 avril 2012

  • - - Nous voilà avec cet article en pleine campagne électorale comme si les élections allaient avoir lieu dans une semaine ! Le même slogan électoral est utilisé , à défaut d'un nouveau par manque de recherche , celui de choisir quel état vous voulez , l'Irano-Syrien ou la grande démocratie Salafo-Wahabite qui gagne du terrain dans les pays Arabes " libérés " !! Il est intéressant de noter que le CPL n'est pas mentionné dans cet article comme s'il ne faisait pas partie du paysage politique Libanais , comme s'il n'existait pas avec ses 27 députés et ses 10 ministres , même s'il est le leader de l'actuelle majorité .. Un seul petit passage péjoratif entre parenthèse le citant comme ( Les alliés inconditionnels ) du Hezb .. Je laisse l'opinion publique juge et surtout les électeurs Chrétiens puisque c'est bien eux qui sont visés !!

    JABBOUR André

    01 h 23, le 10 avril 2012

  • "Notre projet, sans aucun autre choix de par notre idéologie, est le projet de l'Etat islamique, le gouvernement de l'islam et que le Liban soit non "une" république islamqiue, mais une partie intégrante de la grande République islamique, gouvernée par le maître du temps et son adjoint en vérité, al-wali al-faqih, l'imam al-Khomeiny". Telle est le "projet idéologique transnational" du Hezbollah, dont parle M Touma et qui est défini par sayyed Hassan Nasrallah même (video YOUTUBE - link : youtube/0VO44iU27kw). Dans le contexte de ce projet, "le Liban n'est qu'un petit pion sur l'échiquier du nouvel empire perse au service d'une doctrine théocratique sectaire", comme dit bien cet article. La conclusion qui s'impoe, de par ces données idéologiques déterminantes, est qu'il est strictement impossible que le Hezbollah "se livre à une révolution culturelle pour axer son action exclusive sur l'espace libanais". Une telle révolution culturelle ne peut être évoquée qu'ayant lieu, par pure hypothèse, à l'origine, soit dans la République islamique iranienne. Dit en grandes sincérité et amertume, c'est à ce "projet idéologique transnational", dont il n'a pas pu changer une virgule, que le général Aoun a donné et continue de donner sa couverture. Hors de cette vue globale, on passe toujours à côté de la réalité politique au Liban.

    Halim Abou Chacra

    21 h 51, le 09 avril 2012

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