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L’enjeu des législatives, préparer l’après-Ahmadinejad - Iran

L’enjeu des législatives, préparer l’après-Ahmadinejad

Le résultat du scrutin déterminera le poids du guide suprême dans le nouveau Parlement.

Le président Mahmoud Ahmadinejad et l’ayatollah Khamenei ont participé au scrutin législatif vendredi, premières élections depuis la présidentielle fortement contestée de 2009. Photos Reuters/AFP/Handout

Le vendredi 2 mars, les Iraniens ont participé aux élections législatives. Ce scrutin, le premier depuis l’élection présidentielle controversée de 2009 qui a reconduit Mahmoud Ahmadinejad au pouvoir, révèle toutefois les profondes divisions au sein du pouvoir.
3 444 candidats, 290 postes, près de 50 millions d’électeurs : si l’opposition, composée notamment de réformateurs et/ou proréformateurs, n’a pu réellement présenter de candidats solides, il n’en reste pas moins qu’au sein même du pouvoir, des luttes intestines séparent le président Mahmoud Ahmadinejad et le guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei depuis déjà plus de deux ans.
Alors que l’Iran est de plus en plus isolé par la communauté internationale en raison de son programme nucléaire controversé et que les sanctions économiques fragilisent le pays de manière croissante, les différentes factions au pouvoir sont plus que jamais divisées. Deux camps ressortent principalement : le Front de la persistance de la révolution islamique, coalition proche d’Ahmadinejad et qui s’oppose à l’autre camp principal, le Front uni des conservateurs, dominant au Majlis (Parlement) et fidèle au guide suprême. Plus encore, Ahmadinejad est vivement critiqué par ses détracteurs et même certains de ses alliés pour sa politique, notamment économique, et aussi pour avoir maintenu en place son directeur de cabinet Esfandiar Rahim Mashaie, défenseur virulent d’un islam ouvert.
La mise étant de taille pour chacun des deux camps, une première question que l’on pourrait se poser est donc la suivante : quel pourrait être l’enjeu de ce scrutin législatif au niveau local ?
Pour Thierry Coville, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la République islamique, l’enjeu véritable repose dans le bras de fer qui oppose les deux factions principales au pouvoir. Karim Pakzad, également chercheur à l’IRIS, estime quant à lui que les législatives iraniennes se déroulent dans un contexte inédit : « C’est pour la première fois dans l’histoire de la République islamique d’Iran qu’un courant politique, qu’on le qualifie de “gauche islamique” ou de réformateur, c’est-à-dire l’opposition actuelle, ne participe pas au scrutin. Ce courant politique composé de plusieurs partis et organisations politiques estime qu’après la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad en 2009, la répression contre les manifestants, l’emprisonnement de la plupart de ses leaders, les conditions ne sont plus réunies pour un scrutin libre et transparent en Iran. »
Pour Didier Billion, rédacteur en chef de la Revue internationale et stratégique et spécialiste du Moyen-Orient, « les Iraniens se trouvent dans une situation assez particulière parce que l’opposition n’a quasiment pas présenté de candidats ». En effet, les chefs de file des réformateurs, l’ex-président Mohammad Khatami, et les deux candidats contre Ahmadinejad, Mir Hussein Moussavi et Mehdi Karoubi, qui sont actuellement en résidence surveillée, ont boycotté les élections législatives, comme la totalité des partis réformateurs qui leur ont emboîté le pas. M. Billion explique donc que les enjeux des législatives sont faussés puisqu’une partie de l’électorat ne sera pas représentée.
De même, le spécialiste estime que, dans la partie qui se jouera entre le camp Ahmadinejad et celui de l’un de ses détracteurs les plus acharnés, le président du Majlis Ali Larijani, « nul ne peut suspecter qui va s’imposer à l’autre », d’autant plus que Khamenei, qui a un rôle « arbitral », semble pencher du côté de Larijani.
Nous nous retrouvons alors face à la question principale : et le guide suprême dans tout ça? Son influence restera-t-elle inchangée ou bien augmentera-t-elle ? M. Coville reste très nuancé, estimant que « si les deux camps au pouvoir se réclament officiellement de lui et qu’il ne prend pas, toujours officiellement, parti pour l’un ou l’autre, sa position se retrouve toutefois affaiblie car il n’a pas réussi à imposer sa volonté à Ahmadinejad », notamment lorsqu’il a demandé l’éviction de Mashaie, ce qui n’a pas été fait.
Et M. Billion rejoint son confrère sur ce point, confirmant que la position de l’ayatollah est « déjà affaiblie, étant donné qu’il n’a pas réussi à imposer un compromis, ce qu’il a toujours fait ». Il nuance toutefois ses propos en expliquant que « cet affaiblissement reste quelque peu relatif, même si l’on ne sait pas quel est son degré, car les grandes décisions, intérieures et extérieures, ne se font pas indépendamment de ce que l’on appelle la “maison du Guide” ».
En revanche, M. Pakzad ne partage pas ce point de vue. Selon lui « le guide est au centre du débat actuel. Si Ahmadinejad, qui était considéré à juste titre comme le protégé du guide, a pris, après sa réélection en 2009, quelques distances avec lui, Ali Larijani est fidèle au guide. De même, la seconde coalition conservatrice, le Front de la persistance de la révolution islamique, dirigée par un ayatollah radical et extrémiste, Mohammad Taqhi Mosbah Yazdi, et l’ancien guide spirituel d’Ahmadinejad, ne jure que par la fidélité au guide. Une victoire des partisans d’Ahmadinejad pourrait donc renforcer ce dernier, mais il est hors de question dans la situation actuelle que l’autorité du guide soit mise en question ». Et d’ajouter : « Dans un régime qui se militarise de jour en jour, le soutien des gardiens de la révolution et des milices islamiques est acquis au guide. À ceci s’ajoute le fait qu’après la disgrâce de l’ex-président Ali Akbar Hashémi Rafsandjani, les partisans du guide contrôlent désormais toutes les institutions religieuses du pays. »
Sur le plan régional, par contre, l’enjeu des élections n’aura pas un impact important. Pour M. Billion, « quel que soit le résultat du scrutin parlementaire, les différentes factions iraniennes sont plutôt unies lorsqu’il s’agit de politique extérieure », comme sur le nucléaire par exemple. Même les réformateurs semblent rejoindre le pouvoir en matière de diplomatie étrangère. Ainsi, nous ne pouvons trouver aucune divergence fondamentale sur le fond, sauf peut-être quelques nuances quant aux méthodes de chaque camp.
Même son de cloche chez Karim Pakzad, qui ne voit aucun changement dans la politique iranienne dans la région. « En matière de politique étrangère, comme celle de l’intérieur, le dernier mot revient au guide. Les dernières déclarations du guide ne laissent penser aucune ouverture ni sur la Syrie, ni sur la Palestine, ni sur l’Afghanistan ou l’Irak. »
Pour aller plus loin, il nous faut inévitablement spéculer sur l’élection présidentielle de l’an prochain et à laquelle Mahmoud Ahmadinejad ne peut se représenter, étant donné que la Constitution iranienne interdit un troisième mandat. Pour Didier Billion, et Thierry Coville le rejoint dans son opinion, « la grande question qui se pose est : l’un des proches d’Ahmadinejad pourra-t-il s’y présenter? ».
C’est le cas notamment de Mashaie qui serait le successeur idéal au président, et c’est d’autant plus intéressant de noter que Larijani compte se présenter à l’élection de 2013. Pour l’expert donc, « les législatives ne pourront qu’avoir un impact sur la présidentielle, même si, aujourd’hui, il est encore bien trop tôt et on ne peut en savoir beaucoup plus sur le sujet ».
Quant à M. Pakzad, il nous rappelle qu’Ahmadinejad a effectivement tenté de préparer sa succession en la personne de Rahim Mashaie, mais que « cette tentative a été écrasée dans l’œuf par le guide. Et même si les proches d’Ahmadinejad obtiennent du succès aux législatives, il est peu probable qu’il puisse jouer un rôle au prochain scrutin présidentiel qui verra certainement des candidats proches du guide, comme Ali Larijani ou Mohammad Khalibaf, maire de Téhéran, se rivaliser ».
Le vendredi 2 mars, les Iraniens ont participé aux élections législatives. Ce scrutin, le premier depuis l’élection présidentielle controversée de 2009 qui a reconduit Mahmoud Ahmadinejad au pouvoir, révèle toutefois les profondes divisions au sein du pouvoir.3 444 candidats, 290 postes, près de 50 millions d’électeurs : si l’opposition, composée notamment de réformateurs...