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Culture - Événement

Jeunesse et diversité au XXXIe Salon d’automne*

C’est sous le chapiteau du Beirut Exhibition Center, face au vent et à la mer, et non au musée Nicolas Sursock (toujours en restauration et réaménagement, mais quand finiront-ils donc ces travaux ?) que se tient le XXXIe Salon d’automne. Mille mètres carrés blancs comme neige pour un événement incontournable, marqué, en ce grincheux mois de février, par un dynamique esprit de jeunesse. Mais aussi, outre certaines redondances ou facilités, par la diversité et la tonicité. En bref, par ces temps de crise, la pulsion artistique est encore d’un bon cru...

La sculpture de Raffi Tokatlian, Prix du musée Sursock. Photo Michel Sayegh

Après quatre tournées de sélection sur 465 œuvres de 229 artistes, 120 œuvres de 98 artistes ont été retenues. Riche palette pour la touche finale, avec, en marge du chevalet, quelque hommage « in memoriam » dont Isis Nassar, Mario Saba et Toros Der Hagopian, tous récemment disparus du paysage pictural libanais. Mais aux œuvres, exposées ici, plus emblématiques de souvenir que ce qui a été le meilleur de leur parcours.
Si l’on a toujours dit que le Salon d’automne est un événement capital, ce n’est pas seulement à cause des ténors du pinceau ou du burin qu’il remet sous la lumière, en toute vigilance, mais c’est surtout parce qu’il est un podium qui révèle des talents souvent inconnus. Donnant ainsi, par-delà toute notion d’inégalité, surtout aux jeunes, l’occasion de sortir du rang. Pour afficher un talent qui, souvent, rivalise, en parfait pair, avec celui de leurs aînés...
Pour cette tournée de tous crins, la ligne de démarcation est la présence d’un sang neuf, avec plus de vingt-cinq nouveaux noms, tous jeunes loups aux dents longues et brillantes.
Accueil avec une pointe d’humour dès le hall d’entrée avec la bicyclette dorée et la moto de livreur de « nara » de narguilé de Raouf Rifaï, un ex-lauréat des lieux.
Au fond, face aux vitres qui donnent sur la montagne et juste au milieu des ouvertures latérales de la salle, tout en panache, est posée sur le mur l’immense toile La Belle et le jaguar de Théo Mansour. Contours fauvistes et teintes éruptives pour une franche invitation à une promenade festive, sensuelle, libre, capiteuse, sans frontières.
Une invitation à un rêve moderne, un peu disjoncté, reflet d’une réalité perturbée et perturbante, comme seule Beyrouth sait en proposer.
Mélange de réflexion, de ludisme, de traumatisme de guerre, de force de vie, de reconstruction de soi, d’énergie décapante et beaucoup de préoccupations sociales et esthétiques !
Huiles, mixed média, acrylique, collages, quelques gravures, fusain, arrangements en pseudo-installation (bien désinvolte, cynique et réductrice est cette idée de masse de cigarettes jetées en vrac sur le sol et que n’a pu fumer feu Mario Saba, signée Nada Sehnaoui), céramiques, papier mâché, bois travaillé, sculptures et pas mal de photographies. La photographie, un art et une technique qui ont ici le vent en poupe.
Dans cette flânerie impromptue, on commence justement par les clichés des dix-huit photographes en lice. Irrévérence des langues tirées par Gilbert Hage et Alia Haju, mobilité des jeux d’eau avec Bassam Lahoud, mélancolie d’un arbre rachitique d’Yves Atalla et Beyrouth, grâce à Joe Kesrouani (Prix du jury), prise par un ciel plombé sous un dais de lumière. Une ville qu’on croirait paisible – hélas ce n’est pas vrai et c’est là l’astuce –, une ville qu’on croirait, en toute innocence, d’une séraphique sérénité.
Côté céramique, force est de constater le ton véhément et passionné d’une kyrielle de petits obélisques en pointes fines de May Abboud (mention spéciale du jury) comme un chœur antique demandant grâce et liberté. Potiches décoratives aux motifs délicats, aux teintes laiteuses et aux courbes à caresser de Samir Muller, toujours maître de son art et de ses fours. Ainsi que l’habile mixage de porcelaine, terre noire et bois de Samar Mogharbel pour une hypothétique partie d’échecs sur un gigantesque damier.

Une créativité tous azimuts
 La sculpture est bien représentée, puisque le Prix du musée Sursock 2012 est octroyé à la puissante Masse volcanique de Raffi Tokatlian, sculpteur émergent, où le mariage du bronze sombre et du blanc acidifié fait un détonnant pas de deux fusionnel entre vie et mort. Tout aussi forte et troublante est l’œuvre en noir, habillée de désarroi et de solitude (en papier mâché et bois), signée Zena Assi et Amandine Brenas. Tandis que la brochette de baigneuses de Nicole Berjon Bouldoukian, sagement rangées pour le hammam, sont délicieusement lisses et dodues. Zaven Hadichian reste un maître de l’élégance des formes et des mouvements en insufflant au marbre noir mystère, légèreté et éloquence. Le couple « édenique » d’Adam et d’Ève, noir luisant de résine, est élancé et aérien comme danseurs sur chaussons, mais manque d’âme. Ce couple hautain et à la taille de guêpe est trop « chic » et « fashion » pour être les premiers parents damnés de l’humanité... La mère éplorée de Bassam Kyrillos (mixed média), de loin la moins accomplie de ses créatures, est plus masse trapue et ballot informe que vecteur d’émotions.
Le dessin, coup de baguette magique pour dévoiler tout miroir de la réalité et de l’âme, entre en trombe et en toute autorité dans le fusain sur toile de Raya Mazigi. Un visage à la spiritualité éclatante (comme ce lumineux autoportrait de Dürer) vous darde sans coup férir de son regard magnétique. Une intrépide percée au cœur de l’être. Un être d’une essence des personnages « gibraniens », et bien sûr on pense à l’« al-Mustapha » du Prophète (Prix des jeunes talents).
Pour la ronde des couleurs, des profondeurs et des perspectives, la peinture a une part irréductiblement léonine. Espace éthéré pour un nuage presque « pollockien » de couleurs superposées avec Charbel Samuel Aoun et vertigineux de minutie est ce Sanctuaire des vanités de Charles Andraos. Gérard Avédissian, en toute théâtralité, reprend le tragique arménien à son compte avec un triptyque entre collages d’étoffes (choix d’un costumier inspiré) et une foule de visages graves peints sous un dôme d’église avec dorure, firmament étoilé et angelots trop criards par rapport à l’ensemble d’une veillée funèbre tendue. Les mannequins tronqués de Joseph Harb, vagues ombres des statuaires de Chirico, perpétuent le sillage des crimes impunis des génocides. Le pinceau d’Oussama Baalbacki, nerveux et grinçant, est toujours d’une imparable et hallucinante précision.

Anciens et nouveaux se côtoient
Sur les traces d’une approche presque expérimentale, l’atmosphère clinique, coton et ouate, d’Adita Stephan reste un moment de curiosité. Telle une toile d’araignée poussiéreuse et blanchie qui ronge et envahit l’espace pictural...
Irruption d’un nouveau venu : le talent hyperréaliste de l’autodidacte Karim Bou Gebraël. Tout simplement un visage sur une toile. Et une expression. Par-delà spleen, cheveux au vent et joues poilues, un regard hagard à retenir car il peut aller très loin. Charles Khoury, habile coloriste, joue le va-tout des équilibristes sur une boule rouge-orange phosphorescente. Instantané du mouvement grâce à Ahmed Kleige qui capte en toute dextérité le déhanchement d’un jeune homme. Surprenant Jamil Molaeb qui troque ses sages natures mortes contre une jeune fille nue. Alia Mahdi, la scandaleuse et vivante icône égyptienne, en nu intégral, du printemps arabe. Des remous du monde arabe, encore quelques autres petits échos. Quelques feuilles mortes dorées avec Vazken et un fiévreux érotisme avec Fayçal Sultan.
Bribes de vie citadine avec Élissa Raad qui signe avec brio un tronçon d’autoroute à la Edward Hopper. Et c’est avec plaisir qu’on retrouve le monde déconstruit-reconstruit, en une limpide netteté, de Mohammad Rawass, mélange de présent et de passé, avec une architecture finement enjolivée d’objets et de jouets insolites.
Pour conclure, sur une utopie politique, plus amusante que vraie ou possible : la réconciliation entre tous les acteurs du théâtre politique libanais. Mohammad Saad (Prix du jury) groupe dans la liesse, autour d’une table, comme pour d’improbables agapes, tous ceux qui se crêpent les cheveux (pour ce qu’il leur en reste !) et s’étripent sans vergogne. Un tableau à méditer (ou en sourire) plus valable pour son incongruité de situation que sa teneur picturale mais qui, en fait, n’est guère de mauvais aloi.
Un trente et unième Salon d’automne où voisinent artistes confirmés et nombreux talents en herbe. Une inspiration qui ne s’arrête pas au pays du Cèdre, mais qui a le regard aussi bien sur la mer, les pays avoisinants, les crises politiques, les systèmes tortionnaires, le sens de l’élévation, le besoin d’indépendance et les technologies de pointe. Un mélange tonique à l’écoute de la pulsation et de la vibration du monde.
Et tout cela est dit, par-delà toute notion de pérennité, de pudibonderie ou de contrainte mercantile, avec toute l’éloquence d’un art d’une audacieuse modernité. Le XXXIe Salon d’automne, fidèle à son histoire et à son label : recherche diversité, assidûment...

* Le XXXIe Salon d’automne se tient au Beirut Exhibition Center jusqu’au 17 février.
Après quatre tournées de sélection sur 465 œuvres de 229 artistes, 120 œuvres de 98 artistes ont été retenues. Riche palette pour la touche finale, avec, en marge du chevalet, quelque hommage « in memoriam » dont Isis Nassar, Mario Saba et Toros Der Hagopian, tous récemment disparus du paysage pictural libanais. Mais aux œuvres, exposées ici, plus emblématiques de...

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