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Culture - Rencontre

Jérôme Sans, ou l’art d’accompagner la création contemporaine

« La vie est un boomerang » s’exclame Jérôme Sans, en revenant sur son parcours de conservateur et critique d’art contemporain, ponctué de découvertes éclectiques et marqué du sceau de la cofondation, au début des années 2000, du Palais de Tokyo, à Paris.

Jérôme Sans et Tony Salameh devant une pièce de l’exposition à Jamhour : un Light Box de Doug Atken, réalisé en 2009 (116,8 x 335,3 x 20,3 cm).  (Photo Michel Sayegh)

À Beyrouth, à l’occasion de l’exposition* au Centre culturel de Jamhour d’«un fragment, d’une vingtaine d’œuvres tirées de la collection d’art contemporain de la fondation Aïshti», dont il est le curateur, Jérôme Sans y a aussi donné, hier, une conférence intitulée «The Time Is Now»: sorte d’immersion dans les États-Unis d’aujourd’hui à travers la présentation – en complémentarité avec l’accrochage – du travail des «New Americans», «cette génération d’artistes américains des années 2000, à l’instar de Dan Colen, Doug Atken, Aaron Young, ou Waleed Beshty (d’origine libanaise), qui ont inventé un nouveau vocabulaire pour poser des questions sur le monde et l’Amérique d’aujourd’hui», assure-t-il.

La création, un remix permanent
Le monsieur, passionné d’art depuis toujours et diplômé en histoire de l’art, accompagne depuis bientôt quatre décennies les mouvements artistiques de son temps. C’est donc en connaissance de cause qu’il soutient que «la création est une histoire de remix permanent de ce qui a été fait précédemment mais élaboré avec la cohérence du moment dans le monde dans lequel on est maintenant».
D’ailleurs, «c’est par passion, par désir de révéler la culture de mon époque, dit-il, que je me suis lancé dans le domaine de la création contemporaine».
L’aventure commence au début des années 80. Très jeune, sans argent et «sans vraiment savoir où j’allais» explique-t-il, Jérôme Sans expose, «dans des chambres de bonnes, des caves, des arrière-boutiques...», les travaux de jeunes talents nommés Jean-Michel Alberola, François Boisrond ou encore Patrick Tosani... Qui deviendront rapidement des artistes reconnus!
À l’âge de 23 ans, mû par sa seule passion de l’art, il monte une audacieuse exposition itinérante en Angleterre, dans 4 musées de 4 villes (dont le mythique River Side Studio de Londres) pour présenter la nouvelle génération d’artistes français dont les précédemment cités, ainsi que Jean-Charles Blais, Robert Combas... qu’il contribuera ainsi à internationaliser.
L’Angleterre lui servira de tremplin pour les États-Unis, d’où il se rendra ensuite au Japon, en Corée, en Amérique latine... Organisant ainsi, pendant presque une décennie, des expositions partout dans le monde, Sans va contribuer à démocratiser l’art contemporain, en le présentant dans ce qu’il appelle «des lieux du réel».

L’art dans la rue
Ce sera aussi bien un aéroport à Montréal, par exemple, que la rue à New York où, investissant les boutiques, la boulangerie et toutes sortes d’espaces de shopping dans le quartier de Soho, il va «amener tout d’un coup des milliers de personnes dans des endroits où ils ne vont jamais pour l’art contemporain».
Précurseur, créatif, innovateur dans ses méthodes et ses modes d’exposition – «n’ayant pas de background dans ce domaine. Il me fallait inventer mon monde», dit-il –, Jérôme Sans affinera, au cours de son parcours sillonnant d’autres territoires et d’autres cultures, son œil et sa connaissance de l’art contemporain.
Riche de cette expérience accumulée sous toutes les latitudes et, à la faveur d’une rencontre de hasard, à la fin des années 90, avec Nicolas Bourriaud – «connu pour ses positions indépendantistes en art» –, Jérôme Sans se dit qu’il serait peut-être temps de fonder avec ce dernier «un lieu d’un esprit nouveau et pluriel, qui donnerait l’image d’une France renouvelée, dynamique et ouverte au dialogue». Le désir du duo rencontre celui du ministère de la Culture d’ouvrir un centre d’art à Paris. Et, en 1999, ayant décroché le concours, les voilà qui se lancent dans l’aventure de la mise sur pied d’un «laboratoire entièrement dédié à la création actuelle. Prospectif, actif, souple, interdisciplinaire et convivial, planétaire et local, imaginatif et concret, un lieu de vie qui propose des rencontres entre arts plastiques, design, mode, littérature, musique, danse, vidéo et cinéma. Avec une programmation, à la manière d’un quotidien, c’est-à-dire en relation avec l’actualité et des horaires d’ouverture de midi à minuit mieux adaptés aux temps libres des visiteurs salariés», signale-t-il.
Le Palais de Tokyo
Ce sera le fameux Palais de Tokyo qui, depuis son ouverture officielle en 2002 jusqu’en 2006 – l’année où le duo cofondateur laisse les rênes de l’institution à un nouveau directeur –, «enregistrera un record d’affluence de plus d’un million de visiteurs et de médiamétrie internationale (présence dans les médias)», souligne, avec satisfaction, son concepteur.
Lui qui «invente des histoires avec un début et avec ma fin», il est surtout satisfait d’avoir réussi à montrer «qu’un lieu d’art n’est pas isolé sur lui-même. Et que la création est sans arrêt reliée à d’autres préoccupations en phase avec le monde dans lequel on vit».
Un monde sans frontières, où Jérôme Sans vogue entre son poste de conservateur adjoint de l’Institute of Visual Arts à Milwaukee aux États-Unis et l’Angleterre, où il assure la direction et le renouveau des programmes du Baltic Centre for Contemporary Arts à Gateshead. Sa mission terminée, il rencontre, en 2008, les Ullens, «un couple de Belges grands collectionneurs d’art chinois depuis 30 ans, qui voulaient ouvrir en Chine un lieu pour accueillir les projets de leurs amis artistes» et lui proposent de «prendre le gouvernail du navire», dit-il. Là aussi, il s’attellera à la mise sur pied d’un lieu d’une grande originalité, le Ullens Center for Contempory Art à Pékin, qu’il dirigera, également durant 4 ans, jusqu’à décembre 2011. «La vie est un boomerang» constate-t-il, soulignant que ce sont ses liens, «depuis 1985, avec des artistes chinois expatriés, devenus aujourd’hui de grands noms, comme Yan Pei Ming ou Chen Zhen...», qui l’ont mené là.
«Quoique je fasse, il s’agit toujours pour moi d’une aventure humaine, collective et artistique, précise-t-il. Je suis comme un cinéaste qui travaille 3 ou 4 ans sur un film, avant de passer au suivant.»
Et des projets, Jérôme Sans n’en manque jamais. «Sans forcer les choses. J’attends qu’elles viennent vers moi, sinon, c’est qu’elles n’étaient pas faites pour moi», affirme ce superstitieux serein.

L’essor des scènes émergentes
Toujours tourné vers de nouvelles aventures, le voilà donc qui prépare le lancement, pour fin mars, de L’Officiel Arts. «Un magazine d’une nouvelle génération qui sera essentiellement conçu (visuels et textes) par des artistes, avec des rencontres assez improbables et exceptionnelles entre eux. En parallèle, ce critique d’art travaille sur un nouvel ouvrage consacré à Janis Cornelis, un artiste de l’arte povera. Un ouvrage qui viendra s’ajouter à toute une série qu’il a signée. À l’instar d’un livre d’entretiens avec Daniel Buren et de nombreux autres consacrés au photographe japonais Araki, à Jean-Paul Goude, à Hedi Sleiman... Ainsi qu’un gros pavé (en fait trois volumes) de 1001 pages, élaboré avec le galeriste Enrico Navarra et consacré à la scène artistique arabe contemporaine. Et dans lequel il recense les Walid Raad, Akram Zaatari ou encore Bernard Khoury, entre autres artistes libanais, dont il apprécie particulièrement le travail.
Le regard aujourd’hui plus que jamais tourné, dit-il, vers les scènes émergentes en plein essor, «des pays arabes à l’Amérique latine, en passant par l’Inde et la Chine», Jérôme Sans s’enthousiasme particulièrement pour le renouveau arabe qu’il avait, souligne-t-il, fortement perçu dès 2008 dans les œuvres des artistes lors de la visite d’une foire à Dubaï. Comment voit-il alors l’avenir de l’art dans cette région? «Dans ce domaine, comme pour l’actualité, demain est une inconnue, demain est aujourd’hui», répond, énigmatique, ce monsieur qui maîtrise pourtant à merveille l’art d’accompagner la création contemporaine!

* L’exposition est ouverte au public aujourd’hui vendredi 3 février, de 18h à 22h.
À Beyrouth, à l’occasion de l’exposition* au Centre culturel de Jamhour d’«un fragment, d’une vingtaine d’œuvres tirées de la collection d’art contemporain de la fondation Aïshti», dont il est le curateur, Jérôme Sans y a aussi donné, hier, une conférence intitulée «The Time Is Now»: sorte d’immersion dans les États-Unis d’aujourd’hui à travers la...

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