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Liban

Un système politique à l’agonie

Depuis le début du printemps arabe, et surtout depuis le déclenchement de la révolution du peuple syrien contre le despotisme, le Liban semble de plus en plus paralysé politiquement. Noyé dans des disputes et conflits, il s’éloigne chaque jour de la possibilité de rejoindre la nouvelle dynamique de changement qui émerge dans la région.
Si les clivages politico-confessionnels ainsi que le dilemme des armes du Hezbollah sont en partie responsables de sa paralysie, et si la majorité des membres de sa classe dirigeante fait preuve d’une médiocrité, ou du moins, d’un manque de subtilité politique, il est néanmoins clair que son système institutionnel basé sur le « consociativisme » agonise. Et cela limite toute initiative de réforme et de changement.
La synthèse suivante essaye d’apporter un éclairage sur cette crise du « consociativisme » libanais.

Le rôle des élites politiques
La relation entre les caractéristiques des élites politiques et leurs alliances, d’une part, et, d’autre part, le succès de l’expérience consociative (à travers l’histoire moderne du Liban) ont été décisifs. Cela nous amène au rôle que les élites jouent dans des expériences consociatives et leur capacité à trouver des compromis de manière à conduire leurs bases de soutien respectives dans le sens de la résolution des conflits. Il est évident au Liban que les élites ont souvent essayé de jouer ce rôle jusqu’en 1975. La guerre et ses milices, l’ère syrienne et l’émergence du Hezbollah ont mis fin à cette tradition et ouvert la voie à une élite militante prête à lutter pour imposer son choix ou tout au moins à entraver le fonctionnement des institutions si son choix n’est pas accepté.

Unité de représentation au sein des communautés et « hégémonie »
Depuis le début des années 1970, les communautés se croyant visées ont cherché, chacune de son côté, une identité fondée sur la loyauté et l’union autour d’une force politique/paramilitaire. Cela a conduit à la construction d’institutions et de discours politiques dominants au sein de chaque communauté. Ces institutions et ces discours sont représentés par un réseau d’organismes, de relations et d’idées comprenant souvent les institutions religieuses que les forces hégémoniques contrôlent ou du moins essayent de contrôler, pour obtenir une couverture « morale » et une dimension symbolique. Les institutions religieuses organisent un aspect important des relations sociales dans un pays où toutes les lois de l’état civil sont gérées par les instances confessionnelles et les tribunaux religieux. De plus, elles gèrent des établissements éducatifs, les associations de scouts, les loisirs, des services médicaux et des espaces associatifs.
Sur le plan du langage, de la terminologie et de la rhétorique politique, toutes les forces en quête d’hégémonie communautaire ont créé des médias, à commencer par les journaux et en passant par les stations de radio, la télévision et les films de propagande (ainsi que les sites Internet). Tous ces médias ont créé un langage et une conscience communs, évoquant leurs versions des événements et construisant une certaine image de l’ennemi.
La division selon des lignes communautaires dans plusieurs régions libanaises en raison de la guerre, les souvenirs qui y sont inhérents et les lignes de démarcation ont facilité l’hégémonie politique et culturelle au sein des différentes communautés religieuses. Les similitudes se sont renforcées en raison de la proximité géographique et du regroupement dans le même cadre communautaire où les coutumes et les traditions se ressemblent et où les mêmes slogans sont régulièrement utilisés. La culture du parti communautaire dominant peut être visible à travers des statues, des photos des martyrs, des slogans religieux, les noms des restaurants et boutiques, et d’autres signes d’appartenance ou de soutien à un groupe donné.
On peut affirmer que dans le cas du Hezbollah, toutes ces questions ont pris une dimension inédite dans la vie politique et confessionnelle au Liban. En effet, le parti a transcendé toutes les barrières et les limites qui entravaient les autres forces sectaires auparavant en termes d’institutionnalisation, de rhétorique, de capacité de mobilisation, de capacités financières, de relations étrangères, d’armes et de médias.

Parties et facteurs étrangers
Les parties externes ont toujours été un élément influent dans les équations libanaises. Depuis l’indépendance, le consensus national libanais a été fragile sur ce plan. Par ailleurs, le pluralisme politique et confessionnel a encouragé les forces étrangères à se livrer à une chasse aux alliés en vue de transmettre des messages, de créer des lieux de confrontation, compte tenu de l’emplacement stratégique du Liban.
Le conflit direct « étatique » entre les Arabes et Israël ayant pris fin, il s’est transformé en conflit entre organisations militaires (acteurs non étatiques) soutenues par des États officiellement hors du conflit (la Syrie) ou situés à distance de celui-ci (l’Iran depuis les années 1990) d’un côté, et l’État israélien, de l’autre. Ce qui a créé une arène où ce conflit pourrait se développer : le Liban. Les Libanais, divisés sur cette question et ses implications, ont vu leur système politique incapable de fonctionner correctement dès 1969. Les différends entre eux l’avaient paralysé.
Les parties étrangères se sont ainsi transformées en un élément de pression sur la formule libanaise. Le consociativisme avec son lot complexe de règles est devenu difficile à réaliser et a influé négativement sur l’efficacité du pouvoir, puisque les Libanais n’ont pas respecté l’exigence théorique de la neutralité inhérente au consociativisme.

Un système gelé et une société en évolution
Le consociativisme dans le système politique libanais semble être une formule inerte qui s’est avérée incapable de faire face aux transformations qui se produisent dans la société libanaise. L’équilibre démographique s’est déplacé à partir de la fin des années 1950 en faveur des musulmans, ce qui a conduit à une demande d’une plus grande participation dans la gestion des institutions. Se posaient également des difficultés causées par les mécanismes nécessaires pour amender la Constitution, l’élection du président et la prise de décision d’ordre stratégique, sans compter la nécessité de traiter les développements étrangers.
Chaque crise au Liban faisait appel à un arbitrage étranger pour imposer des solutions, même si au final aucun règlement sérieux n’était avancé et l’explosion était simplement retardée temporairement. Ainsi, l’accord entre l’Égypte et les États-Unis en 1958 a été une passerelle pour un règlement interne. De même, la commission Arabie saoudite-États-Unis a accordé au régime syrien des prérogatives pour gérer le « dossier libanais » suite à l’accord de Taëf de 1989. La guerre du Golfe de 1990-1991 a servi de passerelle pour imposer la stabilité politique, même si elle était dépourvue de toute démocratie ou de « consociation » parmi les communautés concernant sa forme et ses équilibres. Ce qui n’a fait, par la suite, que contribuer à aggraver la situation. L’accord de Doha de 2008 s’est également efforcé de parvenir à une formule de participation au pouvoir convenable pour toutes les parties, même si elle n’a pas abordé la question de la Constitution ou des solutions durables aux questions conflictuelles.
Par conséquent, le système libanais, avec toutes ses formules gelées, semble parfois étrangement dissocié d’une société qui bouge, évolue et conduit à un changement au sein des élites. Pourtant, personne n’a été capable de le changer ou d’introduire des amendements au-delà de la simple distribution des parts de pouvoir et des compétences.
Cela nous ramène à l’idée que la démocratie consociative peut être incapable d’éviter les crises et gérer le pouvoir d’une manière efficace. Toutefois, elle rend également impossible l’idée de s’en éloigner en temps de crise. De fait, il est impossible d’exclure totalement un groupe de la participation à l’exercice du pouvoir, indépendamment de la logique de la majorité et de la minorité qui caractérise les démocraties classiques.

Les événements de ces dernières années et le recul de l’immunité consociative
Il est difficile d’appréhender les années qui ont suivi le retrait syrien du Liban en avril 2005 et les crises intermédiaires sans noter le changement majeur intervenu dans la société politique libanaise (un changement qui avait déjà été initié quelques années auparavant).
Premièrement, les divisions verticales se sont profondément enracinées et la polarisation s’est exacerbée comme jamais dans l’histoire du Liban, notamment entre sunnites et chiites. Cela n’a rien à voir avec le fait que les deux principales alliances politiques, les coalitions du 14 Mars et du 8 Mars, englobent diverses forces politiques et confessionnelles.
Deuxièmement, les relations entre les parties étrangères et locales ont été consolidées, et le Liban est devenu totalement exposé aux conflits du Moyen-Orient. Contrairement à l’époque de la guerre, lorsque les organisations militaires étaient utilisées comme moyens ou outils, le rôle cette fois a plutôt été endossé par l’ensemble des blocs communautaires et leurs forces hégémoniques. Ce qui a conduit les conflits régionaux à menacer la paix au Liban et à dresser les communautés religieuses les unes contre les autres. Le développement le plus notable dans ce contexte est, bien entendu, le facteur iranien.
Troisièmement, la scène libanaise a assisté à l’émergence d’une force caractérisée par un excès de puissance sans précédent au niveau des partis, au niveau communautaire et politique : le Hezbollah.
La force excessive du parti de Dieu, en raison de ses structures organisationnelles, et en particulier à cause de son appareil militaire, a plusieurs effets : elle permet effectivement de saper la démocratie consociative (sans la rejeter ouvertement).
En raison de tous ces développements récents, la démocratie consociative au Liban est en déclin et la vie politique l’est également. Ce qui permet l’intervention étrangère dans les détails libanais, résultant soit à des tensions, soit à des accalmies. C’est pour cela que, malgré le printemps ou le réveil arabe à travers la région, la lutte pour les réformes et le changement chez nous reste difficile, même si elle est de plus en plus nécessaire. Le débat à cet égard est ouvert...

Ziad MAJED
Depuis le début du printemps arabe, et surtout depuis le déclenchement de la révolution du peuple syrien contre le despotisme, le Liban semble de plus en plus paralysé politiquement. Noyé dans des disputes et conflits, il s’éloigne chaque jour de la possibilité de rejoindre la nouvelle dynamique de changement qui émerge dans la région.Si les clivages politico-confessionnels ainsi que...

commentaires (2)

Le Liban est un pays presque impossible à faire vu la diversité sans limite qui le caractérise et qui en fait tout naturellement une Tour de Babel. J'aurais souhaité que le brillant politologue Ziad Majed abordât l'incidence et l'impact, en plus, sur ce contexte, d'idéologies politiques importées, qui éliminent tout court le "presque" et consolident énormément "l'impossible". Il est évident que l'on pense en tout premier lieu à l'idéologie politique de "wilayet el-faqih" qui, pour le Hezbollah, premier acteur politique absolu, équivaut aux quatre points cardinaux.

Halim Abou Chacra

12 h 55, le 20 décembre 2011

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Commentaires (2)

  • Le Liban est un pays presque impossible à faire vu la diversité sans limite qui le caractérise et qui en fait tout naturellement une Tour de Babel. J'aurais souhaité que le brillant politologue Ziad Majed abordât l'incidence et l'impact, en plus, sur ce contexte, d'idéologies politiques importées, qui éliminent tout court le "presque" et consolident énormément "l'impossible". Il est évident que l'on pense en tout premier lieu à l'idéologie politique de "wilayet el-faqih" qui, pour le Hezbollah, premier acteur politique absolu, équivaut aux quatre points cardinaux.

    Halim Abou Chacra

    12 h 55, le 20 décembre 2011

  • Passionnant,vraiment et d'une belle clarté...mais voilà,il y a un problème fondamental...c'est ce lui de "monde arabe"...concept tenu pour réel,par hypothèse.Je pense vraiment que là réside le noeud du problème...y-a-t'il un monde arabe?Pour ma part,je crois que non...et que cette illusion de "monde arabe" a été pour beaucoup dans les déboires qu'ont connu les peuples de l'arc courant du Maghreb au Machrek.Il serait illusoire de penser que le marocain a les mêmes préoccupations que le syrien,et le même background culturel...ce qui les relie est le fait religieux,la fantasmagorique oumma.Le rêve évanoui d'un "empire" essentiellement abbassidequi a duré ce que durent les roses,l'espace de rien...de ce point de vue,l'enseignement d'un rêve évanoui en lieu et place de la vérité historique est un véritable crèvecoeur...on ne bâtit pas un avenir sur une réalité qui n'a jamais vraiment existé...le rêve andalou est à cet égard des plus significatifs...exit les destructions desAlmohades(almouwahhidoun)..exit le massacre de madinat el Zahara....exit les royaumes des Taïfas dont le nom veut bien dire ce qu'il veut dire...suite au prochain épisode.

    GEDEON Christian

    05 h 36, le 20 décembre 2011

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