Rechercher
Rechercher

Noyés dans « la prose », Sarkozy et Merkel face à « une ruse de l’histoire » - Paris-Berlin

Noyés dans « la prose », Sarkozy et Merkel face à « une ruse de l’histoire »

C’est sur un couple franco-allemand qui se bat, se débat et se rabat en plein tsunami que se penchent deux experts pour « L’Orient-Le Jour ».

Éric Fefeberg/AFP

Depuis l’acte fondateur qu’était le pacte de l’Élysée signé le 22 janvier 1963 par un Charles de Gaulle obstinément déterminé à émanciper l’Europe par rapport aux États-Unis et un Konrad Adenauer obsédé par la réconciliation franco-allemande, le couple Paris-Berlin est et reste, bon gré mal gré, même ouvert à cent et un virus, le cerveau, le cœur et les poumons de l’Union européenne. Un couple est en perpétuelle évolution, confronté à chaque fois à la personnalité des deux partenaires et à leur capacité, le cas échéant, à cohabiter avec plus ou moins d’intelligence, confronté aussi aux cadeaux et aux vicissitudes de l’histoire, empêtré dans des calculs et des équations à plusieurs inconnues, n’a pas cessé de faire fantasmer, de rassurer, d’irriter.
Georges Pompidou et Willy Brandt, tous deux certes occupés un peu ailleurs, ont relancé en 1969 la coopération économique et donné naissance à l’Airbus et au premier programme européen de satellites de télécommunications. Mais ce sont Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt qui ont véritablement décidé de faire du couple le moteur de la construction européenne en signant pratiquement un accord par semaine. Une logique poussée jusqu’au bout par deux grands, très grands complices, qu’étaient François Mitterrand et Helmut Kohl. L’image des deux hommes main dans la main en 1984 a fait le tour du monde et reste encore gluée sur des millions de rétines. La réunification ensuite, en 1990, va chambouler la donne, rétrécissant la marge de manœuvre française. Il n’empêche : Jacques Chirac et Gerhard Schröder vont faire de leur mieux. En 2003, le 40e anniversaire du traité de l’Élysée est même l’occasion, tout ce temps après, d’un nouveau bébé : le Pacte fondateur.
Jusqu’au couple d’enfants terribles : Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, embourbés depuis plusieurs mois dans cette crise de l’euro qui pourrait, bizarrement, leur servir à tous deux de véritable tremplin. C’est sur ce couple qui se bat, se débat et se rabat en plein tsunami que se sont penchés, pour L’Orient-Le Jour, Claire Demesmay, politologue à l’Institut allemand de politique étrangère, et Karim Émile Bitar, chercheur à l’Iris.

« Sans diktat », « sans essence »...
Paris et Berlin veulent-ils vraiment être les Zorro de l’Europe ? Et si oui, en ont-ils les moyens ? Quid des deux peuples ? Français et Allemands veulent-ils être les maîtres-citoyens du continent ?
Claire Demesmay juge qu’il « n’y a pas de volonté d’hégémonie de la part de Paris et Berlin. Mais dans le contexte de la crise de la dette souveraine, face à des enjeux énormes et à la nécessité de trouver des solutions dans l’urgence, les deux pays sont condamnés à s’entendre et à faire des propositions concrètes à leurs partenaires ». Une force motrice est donc indispensable, mais sans « diktats ». Un moteur, certes, mais « sans essence », déplore Karim Bitar, évoquant pêle-mêle « manque d’imagination, déficit démocratique de l’Europe, réorientation de l’Allemagne vers l’Est après l’intégration des nouveaux entrants... ». Sauf que ce moteur « doit néanmoins continuer de jouer un rôle décisif compte tenu de la crise économique et du décrochage de certains pays, gentiment appelés PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne), auxquels a ensuite été rajoutée l’Italie (PIIGS) », explique-t-il, relevant que l’interdépendance est telle que la France et l’Allemagne « n’ont guère d’autre choix que d’essayer d’assumer un leadership, mais elles cherchent en cela à se prémunir, beaucoup plus qu’à exercer une hégémonie sur le reste de l’Europe ».
Mais il y a le cas Londres, qui vient d’opposer son veto au changement de traité à 27... « Le refus du Royaume-Uni de réguler les services financiers, comme la France et l’Allemagne le souhaitent, montre bien que ce fonctionnement en deux temps ne marche pas toujours, avec le risque de développer une Europe à deux vitesses et donc de mettre en jeu la cohésion de l’Union à 27 », met en garde Claire Demesmay, pendant que Karim Bitar axe sa réflexion sur l’héritage thatchérien : « En disant non au nouveau traité, Cameron s’inscrit dans cette logique thatchérienne, dont il s’est toujours réclamé. On en est revenu à la logique eurosceptique de Margaret Thatcher, qui disait “I want my money back”. Elle voulait faire une comptabilité précise de ce que son pays donnait à l’Europe et de ce qu’il recevait en contrepartie. De surcroît, David Cameron cherche à protéger les intérêts de la City et estime que la crise de l’euro vient justifier a posteriori la décision britannique de ne pas rejoindre la monnaie unique. »

Thatchérisme is back...
Ce revival d’euroscepticisme explique la germanophobie qui ressuscite actuellement en Europe en général et en France en particulier ?
« La crise économique systémique s’accompagne d’une profonde crise identitaire. Les populismes ont le vent en poupe dans toute l’Europe. Les vieux instincts qu’on pensait refoulés reviennent à la surface et la réponse allemande à la crise financière suscite des récriminations parfois légitimes. L’Allemagne s’est raidie et accuse les autres de laxisme, ce qui provoque un backlash. Cela dit, nous n’en sommes qu’au stade de l’exaspération et des récriminations, nous sommes encore très loin de la véritable germanophobie d’autrefois. Et il faut signaler qu’il existe également un ressentiment allemand à l’encontre de la France. Et au niveau de l’opinion publique, les Allemands aussi bien que les Français acceptent difficilement l’aide à la Grèce. Ils estiment que c’est de l’argent jeté par la fenêtre. On le voit, l’Europe n’est pas encore une famille qui se soutient pour le meilleur et pour le pire », note M. Bitar.
Quant à Claire Demesmay, elle insiste sur la nécessité de « bien distinguer entre deux réactions. D’un côté, l’opposition à la politique de rigueur que sont contraints de mener les pays européens en difficulté pour recevoir l’aide internationale, en particulier européenne. C’est le cas de la Grèce, dont la population s’en prend au gouvernement allemand, qu’elle accuse d’imposer des réformes douloureuses, vécues comme injustes. De l’autre côté, la critique du leadership allemand, telle qu’on la trouve aujourd’hui en France. La crainte est ici que Paris et Berlin ne négocient pas sur un pied d’égalité, mais que la chancelière impose sa position au président français sans faire de concessions. Dans le contexte préélectoral, la critique vise d’ailleurs autant Nicolas Sarkozy, accusé d’être trop conciliant, qu’Angela Merkel pour son intransigeance », rappelle-t-elle.

Les films de De Funès...
Quid justement du binôme Sarkozy-Merkel par rapport aux précédents, et notamment aux Mitterrand-Köhl et Chirac-Schröder ?
« La particularité de ce couple est d’être confronté à une crise économique et financière sans précédent. Cela implique deux éléments nouveaux pour la coopération franco-allemande. D’abord, Merkel et Sarkozy sont soumis à une très forte contrainte extérieure : c’est la pression des marchés qui les oblige à travailler ensemble, ils ne peuvent faire autrement. Ensuite, parce qu’ils doivent apporter des réponses à la crise, ils doivent décider très rapidement et donc se voir très régulièrement. Un bel exemple de ruse de l’histoire. En fin de compte, il est probable que ces décisions prises sous la contrainte et dans l’urgence soient à l’origine d’un saut qualitatif dans l’intégration européenne », prévoit Mme Demesmay.
Karim Bitar est plus pessimiste : « Après le répertoire de leurs prédécesseurs, celui de l’émotion, de la construction, de la poésie, ils sont passés au registre de la prose. Ils ont été contraints de s’attaquer à des problématiques délicates et concrètes, alors même que le rêve européen cher à Jeremy Rifkin avait du plomb dans l’aile. Sarkozy et Merkel sont tous les deux nés après la Seconde Guerre mondiale, ils n’ont pas la même conscience du poids de l’histoire, ces deux conservateurs ne sont pas des visionnaires. En raison des différences de personnalité, ils ont d’abord eu du mal à travailler ensemble. Merkel était surprise par ce président français agité qui lui tapait dans le dos. Ils ont progressivement appris à s’apprécier et à collaborer. Le mari d’Angela Merkel lui a fait voir les films de Louis de Funès, dont les mimiques lui rappelaient à celles de Sarkozy. Aujourd’hui, la relation est stable et même cordiale. Ils cherchent à éviter l’éclatement de la zone euro. Mais il est peut-être déjà trop tard », regrette-t-il.
Ou pas ?

Z.M.
Depuis l’acte fondateur qu’était le pacte de l’Élysée signé le 22 janvier 1963 par un Charles de Gaulle obstinément déterminé à émanciper l’Europe par rapport aux États-Unis et un Konrad Adenauer obsédé par la réconciliation franco-allemande, le couple Paris-Berlin est et reste, bon gré mal gré, même ouvert à cent et un virus, le cerveau, le cœur et les poumons de...