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Culture - Exposition

Les dessins au pinceau de Matisse, une aventure spirituelle

Rien de tel, pour inviter au dessin, qu’une exposition de l’œuvre dessinée au pinceau de Matisse, depuis les premiers dessins au pinceau réalisés avec Albert Marquet dans les rues de Paris en 1900, jusqu’à l’accomplissement final dans la chapelle de Vence où Matisse trouve l’accord entre les dessins monumentaux et les couleurs découpées « à vif » des vitraux.

« Le Platane » de Matisse dans la salle à manger de Tériade, villa Natacha à Saint-Jean-Cap-Ferrat

PARIS, de Carole DAGHER

C’est dans le cadre enchanteur du musée départemental Matisse, dans la ville du peintre au Cateau-Cambrésis, que cette œuvre exceptionnelle est rassemblée pour la première fois, s’inscrivant dans un important programme «Eurorégional », mené par l’Association des conservateurs des musées du Nord-Pas-de-Calais, intitulé «Dessiner-Tracer» et regroupant 28 musées autour du thème du dessin, parmi lesquels des établissements de la Picardie et de la Belgique. L’exposition, qui rassemble des œuvres prêtées par différents musées (New York, Baltimore, Espagne, Paris, Nice, Grenoble) et des donations de la famille Matisse, est un véritable parcours d’initiation au dessin. Les explications enthousiastes de la conservatrice du musée introduisent à la technique de Matisse, si particulière et reconnaissable dans le jeu de l’épaisseur du trait qui va moduler le volume du visage. «Avec quelques lignes, il suffit d’un signe pour évoquer un visage», déclare l’artiste. Cette passion du dessin au pinceau et à l’encre de Chine qu’il considère comme «la naissance d’une pensée, l’équivalent d’une peinture», a saisi le grand peintre à...76 ans! Lui qui cherche à «révéler un peu de la fraîche beauté du monde», comme il l’écrit dans un message à sa ville natale (1952), il va bouleverser l’art du dessin; il dessine au pinceau, comme on peint. Plus tard, il taille à vif dans la couleur sur papier découpé. Il compare l’art du découpage au fait de «dessiner avec des ciseaux.» «Découper à vif dans la couleur me rappelle la taille directe des sculpteurs.»
Mais c’est surtout les dessins au pinceau qui sont le grand thème de l’exposition, pour leur côté novateur, inédit. Matisse aligne portraits, masques, acrobates, chevaux, fiacres et platanes, en larges traits appuyés ou simples. Quelques lignes pour tracer le signe «œil» ou le signe «bouche», comme l’écrit Aragon, et l’expression s’anime d’un sourire ou d’un regard mutin, comme celui de son modèle préféré, Lydia Delectorskaya.
Matisse va utiliser le noir pur comme personne avant lui. L’école impressionniste avait banni le noir de la toile, suivie en cela par les fauvistes. À partir de 1906, le noir réintègre le dessin et réussit, avec Matisse, à générer la lumière. L’artiste peint ses danseurs à contre-jour, sur du noir; il fait de cette non-couleur l’équivalent d’un espace de lumière. Il dira que le noir, dans la peinture, est comme la contrebasse, un instrument qui sous-tend l’orchestre. Pour lui, «le caractère d’un visage ne dépend pas de ses diverses proportions, mais d’une lumière spirituelle qu’il reflète».
Parlant de musique, Matisse va s’amuser aussi à calligraphier le mot «Jazz», comme autant de notes de musique dont il ne se lasse pas, au point qu’Aragon écrivait: «J’ai revu Matisse à Vence, l’autre mois.» Je sais maintenant ce que c’est qu’un J – me dit-il avec orgueil – et un A, c’est difficile un A...eh bien vous allez voir... «Il passait ses nuits à faire des lettres. Il ne dort pas. Il s’invente ce luxe terrible, à 76 ans, étudier, apprendre. Une feuille sèche, une lettre...»
Le souffle rythmique de la calligraphie chinoise inspire le peintre. Une section de l’exposition est d’ailleurs consacrée à sa calligraphie en parallèle avec la calligraphie chinoise.

Donation d’Alice Tériade
Cette innovation dans laquelle se lance Henri Matisse devient bien vite une aventure spirituelle. En 1948, la réalisation de la décoration de la chapelle qu’il construit à Vence pour les dominicaines l’incite à créer des dessins monumentaux chargés de spiritualité. Pendant les dix dernières années de sa vie, celui que l’on surnommera «le tailleur de lumière» réalise la synthèse de son œuvre dans la création de cette chapelle, dite du Rosaire. Il peint, comme une performance, sur les carreaux de céramique qui couvriront ses murs, un Saint Dominique, une Madone à l’Enfant entourée de fleurs et un chemin de Croix, dont les quatorze stations sont conçues comme un seul ensemble, sur un panneau monumental regroupant toutes les scènes de la Passion, «le drame le plus profond de l’humanité», selon sa propre expression. Matisse confiera à Picasso: «Ces dessins-là, il faut qu’ils vous sortent du cœur.»
Après avoir terminé la chapelle de Vence, le peintre se lance dans des réalisations monumentales, où le thème de l’arbre occupe une place de choix. Le musée du Cateau-Cambrésis s’honore ainsi de présenter la belle salle à manger de la villa de Tériade à Saint-Jean-Cap-Ferrat, avec son majestueux platane peint sur des carreaux de céramique blanche au moyen d’un large pinceau et couvrant deux murs à l’angle de la pièce, comme un livre ouvert, avec ses branches qui s’étalent à l’horizontale. Tériade fut l’un des plus grands éditeurs de la première moitié du XXe siècle, et réalisa des livres d’art avec les plus grands artistes de la vie moderne. La salle à manger, un pur chef-d’œuvre, est la donation d’Alice Tériade et s’ajoute à une superbe collection de toiles dont s’enorgueillit le musée, à juste titre, et qui regroupe des œuvres de Picasso, de Miro, de Georges Rouault, de Fernand Léger et de Giacometti (donation Alice Tériade). C’est d’ailleurs une Femme debout de Giacometti qui accueille les visiteurs dans le jardin à l’entrée, aux côtés d’un bronze d’Henri Laurens (La Lune), d’un Miro et d’un «dos sculpté» de Matisse, également en bronze.
Montée avec succès, avec à la clef un voyage de presse regroupant une dizaine de journalistes, l’opération «Dessiner-Tracer» prévoyait aussi un arrêt dans la belle ville de Cambrai, où une exposition, intitulée « Dessins d’architectes du XIXe siècle: du rêve à la réalité », donnait à voir les «beaux dessins» d’une cité idéalisée par Achille Durieux, les papiers découpés du mystérieux Cadet-Roussel, ainsi que les dessins de bâtiments civils et religieux des architectes du diocèse, André et Henri Bataille, entre les années 1830 et 1880.
PARIS, de Carole DAGHER C’est dans le cadre enchanteur du musée départemental Matisse, dans la ville du peintre au Cateau-Cambrésis, que cette œuvre exceptionnelle est rassemblée pour la première fois, s’inscrivant dans un important programme «Eurorégional », mené par l’Association des conservateurs des musées du Nord-Pas-de-Calais, intitulé «Dessiner-Tracer» et...

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