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En masse, les Tunisiens réécrivent leur histoire dans les urnes - Reportage

Sages, solennels et soucieux du secret du vote...

Le drapeau tunisien et la liberté retrouvée s’affichaient partout hier, lors d’un long, joyeux et calme dimanche d’élections.  Fathi Belaid/AFP

« Vous dire pour qui j’ai voté ? Vous plaisantez, j’espère. Le vote est secret ! » Ils sortent des bureaux de vote, l’index bleu, le sourire aux lèvres, fiers et solennels à la fois. Depuis 7 heures du matin en ce long dimanche, les Tunisiens votent.
Un quart d’heure avant l’ouverture des bureaux, ils sont déjà des dizaines à attendre. Sagement, tranquillement. Pas de débordement de joie, mais une fierté évidente. À Mutuelleville, un quartier chic de la capitale, un jeune homme s’est enroulé dans le drapeau tunisien pour venir accomplir son devoir électoral. C’est la seule petite excentricité de la matinée. Une vieille femme toute voûtée, soutenue par deux jeunes, arrive dans la cour de l’école déjà pleine une demi-heure après l’ouverture.
À Ettadhamen, une cité populaire, hommes et femmes attendent séparément. Les voiles multicolores tranchent sur les costumes noirs. Militaires et policiers sont discrets, mais très présents.
La majorité des électeurs vote pour la première fois. « C’est la première fois de ma vie. Avant, je ne faisais aucun effort pour venir voter, c’était une mascarade », dit Salma Cherif, une femme médecin de 48 ans, en quittant le bureau de Mutuelleville. « Je suis très content, je me sens bien », sourit Ahmad Radali en s’enroulant dans une grande cape d’un geste théâtral et en agitant son index couvert d’encre bleue, marque indélébile durant 48 heures que portent tous les votants, à la sortie d’un bureau d’Ettadhamen. « Non, je ne vous dirai pas pour qui j’ai voté. Aujourd’hui, il n’y a plus personne pour vous mettre un pistolet sur la tempe, pour vous étrangler ou vous donner des coups dans les côtes les jours d’élection ! » dit-il dans un grand éclat de rire.
Les gens attendent patiemment, sans bousculade. Les observateurs tunisiens, de jeunes gens identifiables à leur badge, dirigent gentiment, appellent le service téléphonique dédié pour aider les électeurs perdus à retrouver le bureau où ils peuvent voter.
Dans le bureau d’Ettadhamen, un homme reste longtemps dans l’isoloir, une sorte de panneau aux couleurs de l’ISIE, la commission électorale indépendante qui a organisé cette élection historique. L’énorme bulletin de vote, de format A3, suscite sa perplexité, il avouera avoir hésité jusqu’au dernier moment. Il sort finalement, le bulletin plié en quatre, et le dépose dans l’urne transparente. « C’est beau », murmure l’agent de l’ISIE debout à côté de la boîte en plastique déjà bien remplie.
Dans la cour de l’école, des vieux se sont assis derrière les pupitres d’écolier en attendant leur tour. Arbaya, 60 ans, petit visage tout ridé sous son voile noir et sourire édenté, est « très contente ». « Je votais déjà sous Ben Ali, mais là, c’est différent. C’est un beau jour pour la Tunisie », déclare-t-elle. Elle ne dira pas pour qui elle a voté.
Hassen et Latifa, accrochés l’un à l’autre, sont venus en couple. Ils ont coché la liste d’Ennahda, le parti islamiste favori du scrutin. « C’est une décision réfléchie, j’ai bien lu leur programme », dit Hassan. « C’est la première fois qu’on pratique la démocratie en Tunisie, il faut faire ça bien », ajoute-t-il solennellement.
À la Goulette, porte historique de la capitale, Gilles Jacob Lellouche, seul candidat juif en Tunisie, a voté très tôt. « Pour la première fois, je prends ma vie en main. Avant, ils m’ordonnaient de choisir le bulletin rouge de Ben Ali (qui était mis dans une enveloppe transparente, NDLR). Que la couleur soit dans nos vies et pas sur les bulletins ! » conclut-il.
9 heures. Les bureaux sont ouverts depuis deux heures. Un flot régulier et tranquille d’électeurs continue à se diriger vers les centres de vote et les files d’attente font jusqu’à 2 kilomètres de long dans certains quartiers...

©AFP
« Vous dire pour qui j’ai voté ? Vous plaisantez, j’espère. Le vote est secret ! » Ils sortent des bureaux de vote, l’index bleu, le sourire aux lèvres, fiers et solennels à la fois. Depuis 7 heures du matin en ce long dimanche, les Tunisiens votent.Un quart d’heure avant l’ouverture des bureaux, ils sont déjà des dizaines à attendre. Sagement, tranquillement. Pas de...