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En masse, les Tunisiens réécrivent leur histoire dans les urnes - Événement

Obstacles, enjeux et impact

Les Arabes « pourront voir la naissance d’une démocratie ».
Alors que plusieurs pays arabes ont été secoués par des révolutions populaires au début de l’année, nombre d’entre eux s’apprêtent à enclencher le processus démocratique s’inscrivant dans le sillage de ce « printemps arabe ». Premier pays à avoir lancé la contestation, la Tunisie est également le premier pays à vivre des élections historiques, car pour la première fois « libres ». Quels ont été les obstacles majeurs de la campagne électorale ? Quels sont les enjeux de ce scrutin et aura-t-il un impact sur les autres acteurs du « printemps arabe » ?
Appelés à élire les 217 membres d’une Assemblée constituante qui aura pour rôle d’élaborer une nouvelle Constitution, les Tunisiens font face à un nouveau défi en votant pour la première fois après deux semaines de campagnes électorales officielles. De la rue aux réseaux sociaux, censés dynamiser l’interaction entre candidats et électeurs, cette campagne a été difficile. Pourquoi et de quelle manière ? Selon Fouad Hamdan, expert en « démocratisation », fondateur de Greenpeace au Liban dans les années 1990 et créateur du site Internet
www.ikhtiartounes.org, la réponse est « très simple ». « Les partis et les candidats en lice étant presque tous nouveaux, ils ont peu ou pas d’expérience en la matière. Les quelques partis prérévolution ne faisaient pas de campagnes, nous avons donc devant nous un terrain vierge » au potentiel exploitable énorme. La situation est tellement nouvelle, d’ailleurs, que les Tunisiens « en parlent partout : dans les cafés, dans la rue ... c’est une explosion de liberté(s) ». « Il n’y a aucun désordre, aucune animosité entre les gens, le climat reste sain, et c’est le plus important. Chacun est prêt à écouter l’autre. »
Toutefois, pour Mahmoud ben Romdhane, professeur d’économie politique, ancien président d’Amnesty International à Londres et dirigeant du parti tunisien Ettajdid participant aux élections, « les plus gros obstacles ont été d’ordre financier : le matériel, les déplacements... tout cela coûte et nous a posé beaucoup de problèmes. Vu la situation économique du pays, lever des fonds a été une tâche quasi impossible. Le deuxième problème a été, et reste, la profusion de partis et de candidats ».

Campagne « virtuelle »
En effet, plus de 1 500 listes, 11 000 candidats et 110 partis sont au cœur de ce processus électoral. Beaucoup de Tunisiens se retrouvent donc perplexes face aux possibilités infinies de choix, et « beaucoup sont découragés », estime M. Ben Romdhane. « Il y a donc un risque de faible participation dû au fait que les gens sont tout simplement perdus ». Pour Fouad Hamdan, cette abondance de candidats est au contraire « un atout certain. Les Tunisiens ont l’embarras du choix ! Chaque jour, ils se trouvent face à de nouvelles options. De toute façon, n’oublions pas une chose : les trois quarts des partis sont tout à fait nouveaux, et la plupart disparaîtront après les élections. Seuls 5 à 7 partis sont connus de presque tous et jouent un rôle très fort ».
Autre acteur primordial de la campagne électorale, les réseaux sociaux. L’on peut affirmer avec certitude que c’est grâce à Facebook, Twitter et d’innombrables blogs que la révolte de la rue tunisienne a pris forme. Les jeunes, notamment, les ont utilisés comme mode d’expression, de mobilisation et de communication, partageant leurs expériences avec leurs compatriotes ou encore avec des activistes et manifestants d’autres pays acteurs du « printemps arabe », comme l’Égypte, par exemple. Ils sont très nombreux à n’avoir jamais fait de politique avant la révolution, mais beaucoup y ont pris goût et participent activement à la campagne électorale. Cet activisme virtuel n’a pas diminué d’intensité à l’approche des élections, au contraire. « C’est une guerre virtuelle qui fait rage sur le Net », d’après M. Hamdan. « Presque tous les Tunisiens ont un compte Facebook, et une part énorme de la campagne a eu lieu sur les réseaux de ce type. C’est un combat extraordinaire que l’on peut voir sur les écrans d’ordinateurs et c’est ainsi que les gens ont appris à se mobiliser. Nous en avons l’exemple avec l’affaire Nessma TV. »
Et les médias ? N’ont-ils pas un rôle important à jouer, eux aussi ? « Beaucoup moins qu’on ne pourrait le penser », répond-il. « Les gens se méfient plus des journaux et des chaînes de télévision que des réseaux sociaux, ils leur font bien moins confiance. » En revanche, M. Ben Romdhane, tout en accordant de l’importance au web, tempère le rôle et l’impact de ces entités virtuelles : « Je pense que (cette portée) est très inférieure aux apparences. Les jeunes sont très actifs, oui, mais la plupart continuent d’observer de loin, sans participer à cette campagne virtuelle. »
Toujours d’après Fouad Hamdan, s’il s’agit d’une « guerre virtuelle » qui fait rage sur l’Internet, il n’y a « absolument pas d’animosité entre les différents partis, au contraire ». Bien entendu, les différends politiques sont inévitables, et les différences d’opinions aussi. Nombreux sont les détracteurs qui affirment qu’Ennahda tient un « double langage », et qui est bien loin de la démocratie prônée. Si certains associent Ennahda aux islamistes extrémistes et tentent de dénoncer les contradictions du discours de ce parti qui se réclame de l’AKP turc, d’autres préfèrent attendre les résultats du scrutin, gardant en tête les coalitions possibles.

Des fraudes ?
Les résultats mêmes des élections de la constituante sont sujets à controverse. Prenons l’exemple de Rached Ghannouchi, président du parti Ennahda, donné pour favori du scrutin. « Il y a un risque de manipulation des résultats des élections », déclarait-il il y a quelques jours, menaçant de descendre dans la rue avec ses militants en cas de fraude. Quelques jours plus tard, il a tempéré son discours, affirmant que son parti accepterait les résultats, « quels qu’ils soient », à condition qu’ils soient bien entendu légitimes. « Qu’ils descendent dans la rue ! » s’exclame Fouad Hamdan. « C’est leur droit, après tout. De toute façon, presque tous les partis sont nouveaux, et beaucoup d’électeurs ne connaissent pas, ou presque, les candidats. Les résultats sont donc totalement et absolument imprévisibles. » Et les sondages ? « Les sondages ont été faits sans méthodologie connue, et de manière non professionnelle, et donc leurs estimations sont relativement fausses », assène M. Hamdan.
Mahmoud ben Romdhane, lui, reste plus mesuré face à la possibilité de résultats falsifiés : « Personne n’a intérêt à être dans la rue, au contraire. Les partis démocratiques, par exemple, ne vont certainement pas le faire. Le peuple tunisien lui-même ne veut pas en arriver là. De toute manière, le scrutin sera examiné de très près par de nombreux observateurs internationaux, donc aucune manipulation des voix n’est possible. » En effet, le scrutin est organisé et supervisé par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) dirigée par Kamel Jendoubi, ancien président du Réseau euro-méditerranéen pour les droits de l’homme.
Quant à l’impact que pourraient avoir ces élections sur le reste des pays du « printemps arabe », il est indéniable. Si un effet de contagion a pu être observé dans la région lors des révoltes, beaucoup pensent qu’il en sera de même pour les élections. Sur ce point, Fouad Hamdan et Mahmoud ben Romdhane se rejoignent. « Bien sûr que les élections vont jouer un rôle majeur. Les gens pourront donc voir la naissance d’une démocratie, d’élections organisées de manière civilisée. Et les résultats seront acceptés de presque tous, quels qu’ils soient. Ça c’est la démocratie, et presque tout le monde en Tunisie pense comme ça. Les gens veulent voir la fin de leurs problèmes. Même ceux qui vont voter pour Ennahda ne sont pas des fanatiques, comme le Hamas palestinien ou le Hezbollah libanais, et s’ils perdent ces élections, ils l’accepteront. La Tunisie sera un exemple pour le monde arabe. »
Quant à M. Ben Romdhane, il affirme sans hésitation que tous réalisent la portée des élections sur la région : « Nous sommes tous en train de réaliser l’importance de ce processus électoral. Si la Tunisie réussit à donner l’exemple, les autres pays, même si les événements se sont déroulés différemment pour chacun d’entre eux, auront du mal à “mal faire”. On doit donc profiter de l’expérience tunisienne, et cette expérience aura un impact qui se fera ressentir. Les autres pays verront ainsi leurs forces démocratiques redynamisées. »
Alors que plusieurs pays arabes ont été secoués par des révolutions populaires au début de l’année, nombre d’entre eux s’apprêtent à enclencher le processus démocratique s’inscrivant dans le sillage de ce « printemps arabe ». Premier pays à avoir lancé la contestation, la Tunisie est également le premier pays à vivre des élections historiques, car pour la première fois...