Depuis, le départ de sa fille unique Paloma, cette belle femme se fissure subrepticement au même rythme que le glissement de terrain qui menace sa villa, à l’architecture toute en pierre, en bois, en verre de style Frank Lloyd Wright, perchée sur la « colline Dollar » d’un pays non expressément désigné mais à forte coloration sud-américaine.
Dans cette prison dorée, « entièrement climatisée », où elle vit depuis son mariage, Vida se sent de plus en plus déplacée, elle qui est née à Irigoy, dans une région hostile et désertique, dont la légende locale répète que ses habitants sont les descendants d’Indiens qui se sont accouplés avec des chiens sauvages !
Plus bas, dans un mobil-home des quartiers pauvres longeant la baie, Taïbo, le lieutenant de police, un homme calme, rongé par le chagrin diffus du départ de sa femme, tente, tant bien que mal, d’apprivoiser sa mélancolie et de poursuivre sa vie.
Ces deux personnages, enracinés chacun dans sa peine, vont se rencontrer, s’aimer, se libérer l’un l’autre du joug de leurs passés... En partant, ensemble, à la recherche de Paloma.
Cette dernière s’est envolée du nid familial pour mener une vie moins conventionnelle, croit deviner sa mère.
Tout comme elle devine intuitivement que le jeune couple que la police recherche, et qui s’amuse à vivre une vie d’oiseaux, en migrant clandestinement de villa en appartement inoccupés de la région, n’est autre que sa fille et le mauvais garçon qu’elle s’est pris pour amant.
Entre réalisme et onirisme
Véronique Ovaldé a une prédilection pour les héroïnes qui prennent des chemins de traverse, sortent des sentiers battus, s’envolent vers la liberté... Celles qui finissent par casser le moule des conventions sociales, qui fuient le confort établi pour suivre les élans de leur cœur et vivre en harmonie avec leurs aspirations profondes.
Cette romancière aime les personnages de romans en somme. Ceux qu’on rencontre assez rarement dans la réalité. Et qu’elle place, d’ailleurs, dans un univers un peu décalé, un peu caricaturé, un peu vaporeux, jouant l’équilibre instable entre réalisme et onirisme.
Un pied dans la réalité, l’autre dans la fantaisie, Ovaldé brosse, par une succession de chapitres succincts évoquant chacun un moment précis, des portraits d’individus qui se débattent pour trouver une issue à ce bocal étouffant qu’est devenue leur vie.
Dans ce dernier opus, qui emprunte au conte ses incursions dans l’imaginaire ainsi que ses digressions éclairantes, la romancière poursuit sa veine exploratrice du désir de liberté qui habite le cœur des hommes. Des femmes surtout. Avec ses perpétuelles variations de sentiments.
Depuis Et mon cœur transparent (prix France Culture/ Télérama en 2008) et Ce que je sais de Vera Candida (toujours aux éditions de l’Olivier), récompensé du Renaudot des lycéens en 2009 et du Grand Prix des lectrices de Elle en 2010, Véronique Ovaldé construit, avec un art consommé du style, une œuvre, à mi-chemin de la fable fantaisiste et du récit réaliste, aux figures féminines dominantes et qui luttent pour s’affranchir des poids sociaux, des liens familiaux ou conjugaux qui entravent leur envol vers le bonheur. Une œuvre à la morale optimiste qui affirme que l’on peut toujours changer le parcours de sa vie, revenir sur ses pas, sortir de l’impasse et prendre un nouvel itinéraire... Comme les oiseaux ! (235 pages).
* Disponible en librairie à Beyrouth.