Degas, resté tout sa vie célibataire et mort en véritable ermite dans son studio montmartrois, ne courait pas après les danseuses pour gagner leurs faveurs, comme c’était souvent le cas à l’époque.
C’est en artiste, presque en scientifique, qu’il les observe, les dissèque, les dessine sous tous les angles et finit par saisir ce qui l’obsède: le mouvement.
Le mouvement est le Graal de l’époque. La moindre photographie réclame une pose d’au moins un quart d’heure, les portraits sont figés... ou flous.
Mais l’innovation bat son plein: en cette fin de XIXe siècle, le Britannique Eadweard Muybridge décompose la locomotion du cheval. Le Français Étienne-Jules Marey dissèque la marche, la course de l’homme et le vol d’une mouette.
Degas connaît leurs travaux. «Artiste hautement expérimental», selon Richard Kendall, il va jusqu’à projeter sur les murs l’ombre d’une statue de danseuse en rotation, semblant créer le mouvement.
En 1895, il achète un appareil photo – il en aura trois au moins dans sa vie – et écrit à des amis qu’il est très excité par son acquisition. Mais la photographie ne permet pas encore le mouvement, et il faudra attendre le triomphe des premiers films des frères Lumière pour voir enfin bouger l’image.
Entre-temps, avec ses peintures, crayons et pastels, Degas saisit le pas chassé, l’entrechat ou l’arabesque dans d’innombrables esquisses.
Mieux encore que ses tableaux, ses dessins, où les visages sont à peine esquissés mais où bras, jambes, tutus bougent littéralement sur le papier, montrent ses progrès.
L’exposition, fruit de quatre ans de recherches, est unique. Pastels et dessins sont trop fragiles pour être montrés plus de trois mois, et l’exposition ne voyagera pas.
85 toiles, sculptures, pastels, dessins et photographies de Degas venues du monde entier sont montrés du 17 septembre au 11 décembre, et surtout mis en regard avec les travaux de ses contemporains.
Les dernières peintures du maître, au début du XXe siècle, où les danseuses, alanguies, nimbées de bleu ou de rose, massent leurs pieds fatigués, sont peut-être les plus émouvantes.
«Degas semble libéré de ses premières préoccupations, observe Richard Kendall. Les danseuses semblent ralenties, comme le vieux peintre, mais la toile, les couleurs sont pleines d’énergie et annoncent la modernité du siècle suivant, avec le fauvisme.»
Degas (1834-1917) vit ses dernières années en solitaire, fâché avec tous ses amis, même le fidèle Renoir. Il refuse tout net d’être filmé par Sacha Guitry quelques années avant sa mort. Mais ce dernier le capte à son insu marchant sur les grands boulevards perdu dans ses pensées, tandis qu’une passante hilare se retourne sur la caméra, comme dans un dernier clin d’œil : le mouvement aura finalement saisi Degas.