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À La Une - Interview

« Préoccupée par les révoltes arabes, la Chine ne s’oppose pas aux aspirations des peuples qui veulent vivre mieux »...

Pékin n’a aucune vocation à jouer au gendarme du monde ni à imposer son modèle à d’autres pays, d’où son principe sacré de ne jamais s’ingérer dans les affaires intérieures d’un État, déclare l’ambassadeur de Chine au Liban, Wu Zexian, à « L’Orient-Le Jour ».

Au siège du Parti communiste chinois à Pékin, cette sentence en gros caractères inscrite à l’entrée : « Servir le peuple. »    Photo Antoine Ajoury

La Chine s’est réveillée ! Une menace pour certains, un potentiel énorme pour d’autres, l’empire du Milieu ne laisse aucun observateur indifférent. Ses prises de position sont ainsi soigneusement scrutées par les politiques et les diplomates. De la crise économique mondiale aux révoltes arabes, en passant par la menace nucléaire iranienne, la position de Pékin est désormais largement prise en considération, qu’on l’apprécie ou pas. L’ambassadeur de Chine au Liban, Wu Zexian, tente ainsi, lors d’une discussion à bâtons rompus avec L’Orient-Le Jour, d’expliquer et de clarifier la position de son pays concernant les derniers événements qui secouent le monde arabe, ainsi que leurs possibles répercussions.

Q. Quelle est la position de la Chine concernant les révoltes arabes ?
R. Le monde arabe est depuis plusieurs mois en pleine mutation, et il se passe des événements graves. La Chine en est préoccupée puisque des relations bilatérales très étroites nous lient avec les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Il y a beaucoup de coopérations et d’échanges dans tous les domaines. Il est vrai que nous avons des intérêts économiques dans la région. Toutefois, nos intérêts ne sont pas basés sur des soucis égoïstes. Notre politique est de développer des coopérations mutuellement avantageuses, profitables à tout le monde. Ainsi, les projets de coopération que la Chine mène au Moyen-Orient, en Afrique du Nord ou dans d’autres régions du monde sont fondés sur le principe d’avantages réciproques. Nous comprenons l’agitation qui a lieu dans certains États, et nous souhaitons vivement que ces pays s’en sortent rapidement, se développent et prospèrent, et que tous les peuples puissent vivre de mieux en mieux. Nous ne prenons pas position pour telle ou telle partie puisque notre principe sacré est de ne jamais nous ingérer dans les affaires intérieures d’un pays, surtout que la Chine a énormément souffert des ingérences extérieures par le passé. À partir de là, nous nous opposons à toutes ingérences étrangères dans les affaires d’un pays, lesquelles ne peuvent qu’aggraver la situation et provoquer plus de dégâts. Il va sans dire que la Chine ne s’oppose nullement aux aspirations des peuples qui veulent vivre mieux. Il ne faut pas confondre ces deux notions. Nous encourageons donc le dialogue et le règlement pacifique des problèmes dans la région.

Pourquoi Pékin s’oppose-t-il à une résolution au Conseil de sécurité contre le régime syrien, alors que pour la Libye, votre pays n’a pas mis son veto ?
Les discussions concernant le dossier libyen étaient très intenses. Il y a toujours eu des concertations entre la Chine et les pays de la région qui sont les mieux placés pour juger de la situation. Manifestement, beaucoup de pays arabes ont une certaine opinion sur la Libye, et nous devions en tenir compte. Donc nous nous sommes abstenus au moment du vote concernant la création des zones aériennes d’interdiction de vol. Le cas de la Syrie est différent et nous nous tenons toujours à notre position de principe. Il est à noter que le Conseil de sécurité a fait une déclaration de son président sur la Syrie. On a donc d’autres façons, plus adéquates, d’exprimer nos préoccupations.

Ne pensez-vous pas que la position officielle de Pékin pourrait nuire à l’image de la Chine auprès des peuples arabes qui se révoltent ? On a vu des manifestants brûler des drapeaux chinois.
Notre position n’a pas été bien comprise par certains. La Chine souhaite que tous les peuples vivent de mieux en mieux, et qu’ils puissent vivre en paix et prospérité. Tant que notre politique n’est pas fondée sur des intérêts égoïstes, nous sommes toujours très à l’aise. Je suis sûr que les gens vont finir par comprendre notre position. Il ne faut pas raisonner d’une manière simpliste. Nous n’avons pas d’intérêts particuliers dans telle ou telle région, ni au Moyen-Orient, ni en Afrique, ni dans d’autres régions du monde. Si c’était le cas, nous devrions surtout nous aligner sur la position de l’Occident, dans la mesure où l’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Chine, les États-Unis le deuxième.

Les relations chinoises sur les plans politique et économique avec des régimes répressifs comme l’Iran et le Soudan sont vivement critiquées. Comment vous défendez-vous sur ce point ?
Je reviens à notre sacré principe de ne pas nous ingérer dans les affaires intérieures des autres pays. C’est au peuple de chaque pays de choisir son système politique. Quant à savoir si la justice sociale est bien établie dans tel ou tel pays, ou si le régime est appuyé ou non par le peuple, c’est au peuple du pays de juger. Ce n’est pas à nous d’imposer nos conditions sur tel ou tel pouvoir. La Chine n’a par ailleurs aucune vocation à jouer au gendarme du monde ni à imposer son modèle à d’autres pays. Nous avons rejeté la guerre froide et n’avons nullement l’intention d’exporter notre idéologie. Notre politique étrangère est fondée sur deux piliers : la paix et le développement commun.

Vos préoccupations face aux révoltes arabes ne reflètent-elles pas l’inquiétude d’une contagion en Chine ?
C’est une logique tout à fait enfantine de certaines opinions qui ne connaissent pas l’histoire de la Chine. Le régime chinois est très particulier et il est adapté à la situation spécifique du pays. Le Parti communiste chinois (PCC) célèbre son 90e anniversaire cette année. Il est né dans un contexte historique très particulier. En effet, il y a 100 ans exactement, en 1911, une révolution a réussi à renverser la dernière dynastie féodale en Chine. On voulait la remplacer par une république au modèle occidental dans l’espoir de sortir le pays de la misère extrême et des occupations étrangères. Or, la tentative a échoué puisque les seigneurs de guerre voulaient chacun s’emparer du pouvoir pour soi, en s’appuyant sur différentes puissances étrangères. La Chine a replongé aussitôt dans les guerres civiles. La société chinoise n’était donc pas mûre pour l’installation d’un modèle social à l’occidentale. À ce moment-là, la révolution russe s’est produite. Des intellectuels chinois se sont inspirés du marxisme-léninisme pour fonder le PCC. Le mouvement communiste était massivement appuyé par la population, qui vivait dans la plus grande souffrance et aspirait à une société égalitaire mettant fin à la famine, à la pauvreté, aux guerres civiles et au colonialisme. L’histoire nous a montré que le choix du peuple chinois était juste. En 1949, la Chine s’est redressée et s’est engagée dans la voie de la reconstruction. Une économie socialiste hautement planifiée a permis au pays de jeter une base industrielle dans les années 1950. Et à la fin des années 1970, la Chine a commencé une politique de réforme et d’ouverture vers l’extérieur qui continue aujourd’hui de porter ses fruits. Le niveau de vie des Chinois s’améliore de façon très visible. Il convient de préciser que la réforme est entreprise aussi bien sur les plans économique que politique. Ainsi, durant ces trois dernières décennies, plus de 200 lois ont été adoptées. L’idée est de poursuivre l’édification d’un État de droit. Bref, on s’est engagé dans une voie qui donne l’espoir, et on n’a vraiment pas de quoi s’inquiéter là-dessus. Il suffit d’aller en Chine pour voir et juger. Quant à savoir pourquoi le PCC ne cède pas la place à un système à l’occidentale, on peut se poser la question inverse : pourquoi le PCC devrait-il céder la place ? À quoi cela servirait-il ? On demande un changement de régime pour une vie meilleure. On ne demande pas un changement qui mènerait à la catastrophe. On n’a pas intérêt à répéter quelque chose qui a été testé il y a un siècle avec des conséquences néfastes. La Chine compte 1,38 milliard d’habitants. On ne se permet pas de s’amuser avec le destin de 1,38 milliard de personnes.

Vous venez d’affirmer que les Chinois n’étaient pas mûrs pour une démocratie à l’occidentale. Or aujourd’hui, avec cette évolution, le peuple est peut-être prêt.
Mais comment croyez-vous que les Chinois sont parvenus aujourd’hui à leur niveau de vie actuel ? Par la voie du socialisme. Pour un pays comme la Chine, un pouvoir fort est absolument nécessaire. Tout être humain aspire à mener une vie heureuse, avec aisance et dignité. Chaque société doit s’organiser de façon à répondre aux aspirations fondamentales de ses citoyens. La Chine s’inspire de tout ce qui est positif dans les modèles sociaux des autres pays, tout en tenant compte de sa propre réalité sur le terrain. Il faut se rendre à l’évidence que le système parlementaire et multipartite à l’occidentale n’est pas le seul modèle idéal qui soit valable pour tous les pays du monde. On a bien vu que les querelles internes et partisanes peuvent handicaper sérieusement l’État qui ne peut plus œuvrer efficacement pour le bien-être de sa population. Une telle situation est dangereuse chez nous. On critique un pouvoir qui travaille pour ses intérêts propres, non pas un régime qui travaille pour le bien de tous. La légitimité même du PCC, sa raison d’être est, depuis sa création, d’œuvrer pour l’intérêt général, et non pas pour l’intérêt d’un groupe particulier. Au siège du PCC à Pékin, il est inscrit à l’entrée, en gros caractères : « Servir le peuple. » D’ailleurs, selon la théorie marxiste, lorsqu’on arrivera à établir une société juste et riche, le Parti communiste disparaîtra, puisque son but aura été atteint.

La Chine comprend une diversité ethnique et culturelle énorme. En œuvrant pour l’intérêt général, le gouvernement bafoue souvent les droits des minorités.
Le problème vient de l’image qu’une certaine opinion étrangère veut donner de la Chine. Or cette image n’est pas du tout conforme à la réalité. Il faut comprendre que les théories marxistes, avec un esprit égalitaire, ne mettent pas l’accent sur la différence ethnique dans le sens de créer des discriminations. Il n’y a pas une volonté de la part du gouvernement de distinguer les uns des autres pour défavoriser les minorités ethniques. Au contraire, le gouvernement chinois tend à favoriser leur développement, en améliorant leur vie matérielle et en protégeant leur spécificité culturelle. Ainsi, on accorde depuis toujours beaucoup de privilèges à toutes les ethnies minoritaires, parce qu’elles vivent dans des régions relativement reculées, très souvent avec des conditions naturelles difficiles. Les gouvernements central et local injectent beaucoup d’argent pour développer ces régions et les résultats sont visibles. Quant à leur croyance religieuse, on prend bien soin de la respecter. Ainsi au Tibet, par exemple, le gouvernement a effectué en 1988 de grands travaux de restauration pour le Palais Potala, lieu de culte sacré pour la population locale. Une tonne d’or a été utilisée pour dorer ce palais.

Le gouvernement chinois est toutefois accusé de réprimer et d’emprisonner les opposants, ceux qui ont une opinion différente...
Tant qu’il y a des idées qui ne sont pas traduites en action contre l’institution étatique, il n’y a pas de problème. Mais du moment où certains incitent les gens à renverser le régime, cela devient contre la Constitution, comme c’est le cas dans tous les pays du monde. On compte aujourd’hui plus de 450 millions d’internautes en Chine, si on suit les sites web chinois, il y a beaucoup de propos critiques, sans que soit permis l’appel à une lutte armée contre le pouvoir. On ne peut pas s’amuser à essayer de renverser le PCC pour sombrer dans le chaos. Chaque pays peut avoir un modèle social et politique différent, selon la spécificité de sa société. Par ailleurs, il ne faut pas croire que le PCC est un parti figé. En son sein, de nombreux débats ont constamment lieu, les membres donnent leur avis, discutent pour arriver à une solution déterminée. En fin de compte, le parti comprend plus de 80 millions d’adhérents.

L’idéal égalitaire communiste est en train d’être bafoué actuellement. On voit ainsi l’émergence d’une classe très riche, alors que le gouffre avec les pauvres est en train de s’approfondir.
Il y a de grands écarts de développement en Chine. D’abord, l’écart entre les régions côtières et les régions intérieures, c’est-à-dire au centre et à l’ouest où les conditions naturelles sont très difficiles (sécheresse, inondations, risques de tremblement de terre). Ensuite, l’écart entre les villes et la campagne. Il existe des zones rurales qui sont extrêmement pauvres. Les campagnes chinoises évoluent rapidement, mais pour rattraper le niveau de développement des villes, il reste beaucoup à faire. Un troisième écart concerne effectivement une classe sociale de plus en plus aisée, qui s’est enrichie surtout grâce au développement du secteur privé, par opposition aux 150 millions de Chinois qui vivent encore avec moins d’un dollar par jour. Ces trois écarts sont les principaux soucis du gouvernement chinois. Ainsi, tout en encourageant le développement, on s’efforce de réduire les écarts, non pas en tirant vers le bas ceux qui sont déjà en haut, mais en poussant et aidant ceux qui sont restés en arrière. Et c’est justement là qu’on voit l’efficacité d’un gouvernement central fort qui injecte énormément dans les infrastructures des régions en retard, sachant que de tels investissements ne dégagent pas forcément des bénéfices visibles à court terme, mais pourront certainement aider les régions en retard à décoller à moyen et long terme. Il faut évidemment un pouvoir central fort pour planifier et prendre de telles décisions. Pour aider la couche sociale la plus fragile, le gouvernement a pris toute une série de mesures, surtout en renforçant la protection sociale. Nous sommes tout à fait conscients qu’il y a encore plein de problèmes à résoudre. Il n’exite pas de système parfait pour tout le monde. Jusqu’à présent, le nôtre fonctionne bien pour la Chine malgré tout.

Le gouvernement chinois est confronté à plusieurs défis futurs sur le plan économique et politique. Comment va-t-il réagir ?
Nous avons confiance en notre avenir au vu de tout ce que nous avons pu réaliser. L’important, c’est d’avoir un pouvoir fort, mais non corrompu. Un système fort et corrompu peut alors remettre en cause la légitimité du PCC. Et ce serait la répétition de l’histoire chinoise marquée par la succession des dynasties féodales durant des milliers années. C’est ce cercle vicieux que le PCC est déterminé à briser dès sa naissance. Nous avons un mécanisme de lutte contre la corruption très sévère et assez efficace.
La Chine s’est réveillée ! Une menace pour certains, un potentiel énorme pour d’autres, l’empire du Milieu ne laisse aucun observateur indifférent. Ses prises de position sont ainsi soigneusement scrutées par les politiques et les diplomates. De la crise économique mondiale aux révoltes arabes, en passant par la menace nucléaire iranienne, la position de Pékin est...

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