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« Préoccupée par les révoltes arabes, la Chine ne s’oppose pas aux aspirations des peuples qui veulent vivre mieux »... - Éclairage

Les Chinois tardent à assimiler les changements dans le monde arabe

Pour le sinologue Jean-Luc Domenach, le compromis autoritaire chinois, appelé « consensus de Pékin », est beaucoup plus réussi et beaucoup plus efficace que la plupart des modèles autoritaires arabes.

Slogans contre la Chine et la Russie brandis par des protestataires syriens. Source : Internet

Spectacle ahurissant que de voir en Syrie des manifestants brûler des drapeaux russes et chinois. On est bien loin du temps où les drapeaux israéliens ou américains étaient brûlés sur les places publiques dans les pays du Moyen-Orient. Or, la crainte – et le refus – de Moscou et de Pékin d’appuyer les révoltes arabes ont engendré récemment un sentiment de frustration et de colère chez les manifestants arabes qui voient dans ces pays un soutien à des régimes répressifs et sanguinaires. Toutefois, les raisons derrière les positions chinoises et russes diffèrent d’un pays à un autre. Alors que la Russie a déjà des alliés bien établis au Moyen-Orient, la Chine cherche de son côté à gagner une respectabilité et une influence dans une région riche en conflits et en matières premières. Or les récentes contestations populaires dans les pays arabes ont mis mal à l’aise le gouvernement chinois qui semble perdre du terrain.
« Les manifestants syriens ont bien vu les choses. La Chine est du côté du passé, du côté des oligarchies corrompues. Une politique assez généralisée aujourd’hui où l’on préfère traiter avec une élite corrompue que l’on peut corrompre et avec qui on peut s’entendre », déclare ainsi Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI*. Selon lui, la Chine est, de ce point de vue, encore plus dure, dans le sens de la conservation. « Les Chinois ont une politique antidémocratique dans les zones arabo-musulmanes beaucoup plus que ne l’est la politique américaine », ajoute-t-il.
Pour le sinologue et politologue français, la Chine a peur face aux mouvements de révolte dans le monde arabe, et ce pour différentes raisons. « D’abord, la crainte d’une démocratie contrôlée par le peuple. Ensuite, comme toute révolution, elle ouvre un processus à l’issue incertaine. Surtout dans les pays riches en pétrole, ou se trouvant à côté de richesses pétrolières ou de zone de conflits », comme c’est le cas de la Syrie par exemple, proche à la fois du Liban, d’Israël et de l’Irak.

Une dynamique nouvelle
Il y a également une raison rarement citée, estime en outre M. Domenach : « Les Chinois ne comprennent rien au monde musulman. Cela découle d’un choix intellectuel. Ils ont d’abord regardé vers le monde communiste, puis vers le monde occidental. D’une manière cynique, on peut dire qu’ils ont toujours regardé du côté de ceux qui paraissent les plus forts. La vérité est que, pour les Chinois, seuls sont intéressants les peuples riches, ceux qui ont réussi. Ainsi, le monde arabo-musulman a été classé du côté de l’échec. » Toutefois, les derniers événements ont changé la donne. « Tout à coup, ce monde apparaît comme créateur de dynamique nouvelle. Une situation que les Chinois tardent à assimiler », estime le sinologue français.
La Chine est par ailleurs confrontée sur le plan interne à la même inquiétude face au monde musulman. « Il y a un grave conflit en Chine avec, d’une part, l’islamisme, à cause notamment d’une multitude d’incidents dont personne ne parle, et il y a d’autre part un problème encore plus grave au Xinjiang avec les musulmans ouïghours qui sont assez bien organisés, par opposition au Tibet », affirme ainsi M. Domenach.

Mieux comprendre le monde arabo-musulman
Il explique ainsi que l’équipement chinois en matière de recherche sur le monde arabo-musulman est très faible. « La Chine est maintenant bien équipée pour comprendre l’Occident, pour comprendre l’Europe, pour pénétrer les milieux influents en Europe et aux États-Unis. Il y a aujourd’hui des réseaux d’espionnage et d’intellectuels tout à fait au point dans ces pays. En revanche, on aura du mal à trouver de bons chercheurs compétents sur le monde arabo-musulman en Chine où j’ai vécu récemment plus de cinq ans, et où j’ai collaboré avec beaucoup de chercheurs », explique-t-il, ajoutant : « C’est une raison majeure de leur embarras actuel, les Chinois ont dû se mettre très tardivement à comprendre cette culture. »
Néanmoins, sur la scène internationale, la politique étrangère de la Chine ne diffère pas trop des pays occidentaux. Tous ont collaboré avec des régimes autoritaires. Les Européens ont eu d’excellentes relations avec la Tunisie et l’Irak au temps de Saddam Hussein. L’Égypte et l’Arabie saoudite sont les alliés des Américains. Toutefois, la Chine est toujours montrée du doigt quand il s’agit de l’Iran, du Soudan et maintenant de la Syrie.

Un changement compliqué
Jean-Luc Domenach explique la différence avec l’Occident par la difficulté de la Chine de parvenir à des modes de coopération satisfaisants à ses yeux, avec les élites arabo-musulmanes qui sont actuellement contestées. « Cet obstacle réside dans le fait qu’ils ne comprennent pas bien le changement en cours. Cette difficulté est d’autant plus flagrante, que les Américains et les Européens ont rapidement trouvé les moyens de s’entendre avec tel ou tel nouveau dirigeant. Pour les Chinois, c’était beaucoup plus compliqué. »
C’est le cas par exemple avec l’Irak post-Saddam Hussein, explique-t-il. Les Chinois ont pris des années à étudier et comprendre la nouvelle donne issue de l’invasion américaine. Ils ont réussi à le faire en fin de compte. « Le changement est l’une des raisons qui semble embêter les Chinois aujourd’hui. Ils ont eu assez de difficulté à comprendre ce qui se passait avant, avec les anciennes élites, et si maintenant il faut à nouveau faire l’effort de comprendre comment fonctionnent les nouvelles élites, ça deviendra très compliqué », ajoute-t-il.

Le modèle chinois est plus solide
Par ailleurs, les dirigeants chinois craignent toute analogie entre les révoltes dans le monde arabe et leur pays. « Le monde arabe bouge d’une façon qui remet en cause le compromis autoritaire chinois. Mais pour être honnête, ce compromis, qu’on appelle le consensus de Pékin, est beaucoup plus réussi et beaucoup plus efficace que la plupart des modèles autoritaires arabes. La transformation du niveau de vie est considérable, elle est réelle en Chine, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de pays arabes », estime le sinologue, qui affirme que la réussite économique actuelle fait que le modèle chinois est beaucoup plus solide. « Très franchement, je dois reconnaître que le capitalisme autoritaire chinois d’aujourd’hui est infiniment plus efficace que ne l’a été le communisme auparavant, mais également infiniment plus efficace que beaucoup d’autres modèles démocratiques ou autoritaires », conclut-il.
*Jean-Luc Domenach est notamment l’auteur de La Chine m’inquiète, Perrin, 2008, Comprendre la Chine d’aujourd’hui, Paris, Perrin, 2007, Où va la Chine ?, Paris, Fayard, 2002.
Spectacle ahurissant que de voir en Syrie des manifestants brûler des drapeaux russes et chinois. On est bien loin du temps où les drapeaux israéliens ou américains étaient brûlés sur les places publiques dans les pays du Moyen-Orient. Or, la crainte – et le refus – de Moscou et de Pékin d’appuyer les révoltes arabes ont engendré récemment un sentiment de frustration...