Les raisons de la faim

Les Somaliens ont faim parce que leur pays a soif.
Les Somaliens ont faim parce que leur pays est en guerre depuis des lustres.
Les Somaliens ont faim parce qu’ils sont, dans certaines régions, sous la coupe d’islamistes du genre à affirmer, l’index en l’air, que la famine en Somalie n’existe pas. Du genre à assurer, à côté du museau craquelé d’une vache exsangue, que la sécheresse est sous contrôle. Du genre à penser que l’étranger est nécessairement un « infidèle » et la propagande inéluctablement « internationale ». Du genre à garantir qu’avec le retour de la pluie, ça ira mieux. Du genre à dépenser plus d’énergie à kidnapper une jeune femme ministre du gouvernement de transition pour la consigner dans sa cuisine qu’à s’occuper du développement des zones qu’ils occupent.
Les Somaliens ont faim parce que les grandes puissances de ce monde n’ont pas été fichues de délier franchement les cordons de leur bourse pour eux, les Somaliens affamés. Alors que quand les bourses des grandes puissances se cassaient la figure, ces puissances ont sorti, avec une rapidité à faire pâlir Pavlov, 1 700 milliards d’euros pour sauver des banques, qui, elles, aujourd’hui se portent bien, merci.
Les Somaliens ont faim parce que depuis le 11 septembre 2001, Washington est probablement moins intéressé par la sécurité alimentaire en Somalie que par la sécurité tout court.
Les Somaliens ont faim parce que les spéculateurs, pour se refaire une santé après la crise de 2007, spéculent sur les matières premières agricoles.
Les Somaliens ont faim parce que s’il est effectivement « moins cher de prendre des mesures pour maintenir en vie une vache qui fournit du lait et des revenus que de nourrir des enfants mal nourris », dixit Simon Levine, expert en développement, on lâche plus facilement des dollars pour un bébé au ventre gonflé et aux yeux pleins de mouches que pour un gamin sur ses deux jambes pointant du doigt l’endroit où devrait être construit un puits. Parce que, a priori, il y en a de l’eau dans les nappes phréatiques somaliennes. Mais à 50 mètres de profondeur. Sans pompe, comment la pomper, cette eau ?
Les Somaliens ont faim parce que le monde a prétendu ignorer une sécheresse qui ne s’est pourtant pas déclarée du jour au lendemain. Et parce que le monde aime à réagir dans l’urgence. L’urgence, c’est l’occasion d’organiser un grand sommet. Plus spectaculaire, plus émouvant, plus gratifiant qu’un programme d’investissements dans le développement, les infrastructures, toutes ces choses vraiment utiles à long terme.
Les Somaliens ont faim parce que le budget du Programme alimentaire mondial est passé de 6 milliards de dollars en 2008 à 3,2 milliards aujourd’hui.
Les Somaliens, et beaucoup d’autres Africains, ont faim parce les budgets étatiques sont répartis selon une logique déjantée. En Éthiopie, où la faim sévit aussi, 40 % du budget est alloué à l’armée. L’Éthiopie qui vend également massivement ses terres à des entreprises privées ou à la Chine, « qui veulent y pratiquer une agriculture intensive » dont le produit ne profite probablement qu’« à une petite élite », dixit le chargé des affaires africaines du gouvernement allemand, Günther Nooke. M. Nooke qui précise qu’« il serait plus utile pour la population que le gouvernement s’occupe d’améliorer les structures de production agricole propres du pays ».

L’on a coutume de dire :
on est ce que l’on mange.
Mais si on ne mange rien, qu’est-on ?