Après une série de remarques d'ordres politique et social concernant les «pays militarisés très difficiles» - que sont, selon lui, la Syrie, la Libye et l'Algérie -, les «Arabes maltraités par la politique des dictateurs» ou encore le Liban, «pris en étau dans une combinaison du malheur» syro-israélienne, il «retire deux choses du printemps arabe»: d'une part, «la littérature arabe n'a pas eu de tradition romanesque avant la parution, en 1910, de Zainab de Mohammad Haykal. À partir de là, les premiers romans nous viennent d'Égyptiens ayant vécu en France. Car les sociétés arabes n'ont pas reconnu l'émergence de l'individu, indispensable dans le roman. Or, le printemps arabe a changé la donne: une personne=une voix». Et d'ajouter: «Le critère de civilisation dans un pays, selon moi, c'est la condition de la femme.» En second point, il remarque que «le logiciel islamiste est périmé», que ses représentants «ont raté le train» et que, dorénavant, Ben Ali et Moubarak ne pourront plus se prétendre les «remparts» de ce mouvement, qui avait été «exagéré névrotiquement» par ces dictateurs...
Tyrans et individus
Gisèle Khoury, journaliste et présidente de la Fondation Samir Kassir, ouvre le bal des questions à l'écrivain, qui cite aussitôt Kadhafi comme le dictateur le plus fascinant pour un roman: «Il a synthétisé Ubu roi, d'Alfred Jarry», et incarne « les névroses du pouvoir». «Il n'est pas fou, ce qui serait une façon de l'excuser, mais il est malade: il confond le pays avec sa maison.»
Le romancier a-t-il une mission? «C'est lourd à porter. Quand j'écris une histoire, ça me donne à moi comme au lecteur du plaisir. Je bouge beaucoup, confrontant le citoyen et l'écrivain. Je ne pratique pas une littérature assise mais active. Je pratique depuis 15 ans une pédagogie sur le racisme dans les écoles. J'espère faire réfléchir mes lecteurs.» Il se souvient d'une «expérience intéressante» de «littérature concrète» où il rendait compte au moyen de feuilletons publiés dans un quotidien des révoltes à Naples. «J'ai été très ému par les manifestations des Tunisiens, qui m'ont rappelé mon travail en Italie.» Pour lui, une question de l'écrivain est: «Comment peut-on en arriver là?» Et de donner l'exemple de l'immolation par le feu, le 17 décembre 2010, du Tunisien Mohammad Bouazizi, qui a déclenché la révolution du jasmin. «D'autant que cet acte ne fait pas partie de la tradition musulmane.»
La révolution peut-elle être existentielle et politique? En s'appuyant sur l'image d'un manifestant brandissant la pancarte «Je suis un individu», il rappelle «la notion arabe du père que porte le chef de l'État. La population a eu jusqu'ici une relation très sentimentale avec des dirigeants souvent tortionnaires».
Dernière question: «Cette révolution axée autour du mot «Dégage» peut-elle être facteur de création pour le roman? Et le roman peut-il aider à la conceptualisation de cette révolte?» «Ce qui s'est passé jusqu'ici est une colère. La révolution va prendre son temps. Elle est encore au niveau des émotions. Tout va dépendre de sa transition, même si la conceptualisation romanesque est déjà là: on assiste à un changement de régime, mais aussi de vie.»
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