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Culture - Conférence

Dans la peau de Tahar Ben Jelloun

« Comment écrire pendant le printemps arabe ? » a été le thème abordé par l'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, lors de la seconde édition des Rencontres de la Résidence des Pins, organisée en partenariat avec la Mission culturelle au Liban et la Fondation Samir Kassir, dans le cadre du festival « Le Printemps de Beyrouth », et la Banque libano-française.

Tahar Ben Jelloun: les lecons du printemps arabe. (Photo Sami Ayad)

Salle comble pour l'invitation de l'ambassade de France au Liban à l'allocution suivie de questions de l'écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun. Après une brève présentation par l'ambassadeur Denis Pietton de l'auteur, qui vient juste de publier deux ouvrages chez Gallimard, Par le feu et L'étincelle: révoltes dans les pays arabes, celui-ci commence par rappeler son «rapport très affectif, émotionnel avec le Liban» dont il a fréquenté des ressortissants à Paris et qui «a joué un rôle à chaque moment de (sa) vie». Il enchaîne directement avec «Dans la tête de Kadhafi», sa chronique parue dans le journal Le Monde du 15-16 mai 2011: «Ça a été une épreuve que de rentrer dans cette tête-là. J'ai fait un travail de comédien, essayant de m'imaginer le désarroi et la cruauté de ces dictateurs. J'en ai fini par déduire qu'il avait la tête remplie de paille et de scorpions, et qu'il était atteint d'une pathologie assez répandue dans le monde arabe: il s'accroche au pouvoir, à ses amis, absolument persuadé qu'il a raison et qu'on veut le liquider aussi... C'est un homme bourré de médicaments, qui ne se repose jamais. Une bonne preuve de son bon droit: il a voulu remplacer les quatre saisons de l'année par trois!» Pour Ben Ali et Moubarak, auxquels il a consacré plusieurs pages dans la première partie de L'étincelle, il s'est mis dans la peau du premier en envisageant sa «pensée très courte de flic», le découvrant «abruti par les médicaments et les longs voyages de son exil», l'imaginant «en train de se disputer avec sa femme». «Au fond, il a fait pas mal d'argent et personne n'a voulu de lui», conclut-il avec une ironie plus que légitime. Quant à l'ancien leader égyptien, « il est arrivé choqué à Charm el-Cheikh, persuadé qu'il était de n'avoir fait que du bien: plus de guerre avec Israël grâce à lui, même on lui a rappelé sa complicité avec l'État hébreu. Il ne comprenait pas tout cela... Quand les dictateurs goûtent au pouvoir pendant 30 ou 40 ans, ils confondent pays et patrimoine personnel. Si bien que Moubarak s'est étonné quand on lui a dit: ce n'est pas à vous!»
Après une série de remarques d'ordres politique et social concernant les «pays militarisés très difficiles» - que sont, selon lui, la Syrie, la Libye et l'Algérie -, les «Arabes maltraités par la politique des dictateurs» ou encore le Liban, «pris en étau dans une combinaison du malheur» syro-israélienne, il «retire deux choses du printemps arabe»: d'une part, «la littérature arabe n'a pas eu de tradition romanesque avant la parution, en 1910, de Zainab de Mohammad Haykal. À partir de là, les premiers romans nous viennent d'Égyptiens ayant vécu en France. Car les sociétés arabes n'ont pas reconnu l'émergence de l'individu, indispensable dans le roman. Or, le printemps arabe a changé la donne: une personne=une voix». Et d'ajouter: «Le critère de civilisation dans un pays, selon moi, c'est la condition de la femme.» En second point, il remarque que «le logiciel islamiste est périmé», que ses représentants «ont raté le train» et que, dorénavant, Ben Ali et Moubarak ne pourront plus se prétendre les «remparts» de ce mouvement, qui avait été «exagéré névrotiquement» par ces dictateurs...

Tyrans et individus
Gisèle Khoury, journaliste et présidente de la Fondation Samir Kassir, ouvre le bal des questions à l'écrivain, qui cite aussitôt Kadhafi comme le dictateur le plus fascinant pour un roman: «Il a synthétisé Ubu roi, d'Alfred Jarry», et incarne « les névroses du pouvoir». «Il n'est pas fou, ce qui serait une façon de l'excuser, mais il est malade: il confond le pays avec sa maison.»
Le romancier a-t-il une mission? «C'est lourd à porter. Quand j'écris une histoire, ça me donne à moi comme au lecteur du plaisir. Je bouge beaucoup, confrontant le citoyen et l'écrivain. Je ne pratique pas une littérature assise mais active. Je pratique depuis 15 ans une pédagogie sur le racisme dans les écoles. J'espère faire réfléchir mes lecteurs.» Il se souvient d'une «expérience intéressante» de «littérature concrète» où il rendait compte au moyen de feuilletons publiés dans un quotidien des révoltes à Naples. «J'ai été très ému par les manifestations des Tunisiens, qui m'ont rappelé mon travail en Italie.» Pour lui, une question de l'écrivain est: «Comment peut-on en arriver là?» Et de donner l'exemple de l'immolation par le feu, le 17 décembre 2010, du Tunisien Mohammad Bouazizi, qui a déclenché la révolution du jasmin. «D'autant que cet acte ne fait pas partie de la tradition musulmane.»
La révolution peut-elle être existentielle et politique? En s'appuyant sur l'image d'un manifestant brandissant la pancarte «Je suis un individu», il rappelle «la notion arabe du père que porte le chef de l'État. La population a eu jusqu'ici une relation très sentimentale avec des dirigeants souvent tortionnaires».
Dernière question: «Cette révolution axée autour du mot «Dégage» peut-elle être facteur de création pour le roman? Et le roman peut-il aider à la conceptualisation de cette révolte?» «Ce qui s'est passé jusqu'ici est une colère. La révolution va prendre son temps. Elle est encore au niveau des émotions. Tout va dépendre de sa transition, même si la conceptualisation romanesque est déjà là: on assiste à un changement de régime, mais aussi de vie.»
Salle comble pour l'invitation de l'ambassade de France au Liban à l'allocution suivie de questions de l'écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun. Après une brève présentation par l'ambassadeur Denis Pietton de l'auteur, qui vient juste de publier deux ouvrages chez Gallimard, Par le feu et L'étincelle: révoltes dans les pays arabes, celui-ci commence par rappeler son...

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