Dans la forêt d'Ajdir, au cœur du Moyen-Atlas, les cèdres imposants qui couvraient jadis toutes les montagnes « se comptent désormais sur les doigts de la main », constatent avec amertume les habitants, surtout berbérophones. « Chaque année, des milliers d'arbres, dont certains vieux de plusieurs siècles, sont abattus illégalement avec la complicité notamment de quelques gardes-forestiers », déclare Aziz Akkaoui, de l'Association marocaine des droits humains. Sur les 134 000 hectares de cédraies du Maroc, la plupart sont au Moyen-Atlas. Mais le trafic de son bois menace l'existence de ce conifère, utilisé notamment pour fabriquer des meubles, signes d'opulence dans les grandes demeures du Maroc. À une dizaine de mètres d'un poste de gardes-forestiers, face à un lac cerné par la forêt, gît le tronc d'un cèdre abattu. « Cet arbre a été abattu à la scie, qui émet un bruit que les gardes-forestiers peuvent facilement entendre », observe M. Akkaoui, sous-entendant leur complicité. « Il y a les braconniers qui coupent le cèdre illégalement, les menuisiers qui achètent le bois, il y a certains agents corrompus des Eaux et Forêts, certains agents corrompus de la Justice. Donc, on peut parler de mafia du cèdre, une mafia organisée », conclut-il.
Dans la forêt, certains habitants reconnaissent s'être livrés à l'abattage illégal, pour survivre dans une région montagneuse dépourvue d'activité économique. Un cèdre met près de 30 ans pour atteindre l'âge adulte et peut rapporter à celui qui le coupe illégalement jusqu'à 800 euros. S'il est vendu légalement, il rapporte jusqu'à trois fois plus à la commune où il a été coupé. Chaque année, les communes de la région organisent des « coupes » pendant lesquelles les cèdres sont vendus aux enchères. Ces opérations rapportent à chaque commune un million d'euros par an environ. Mais les habitants, furieux, affirment ne pas profiter de cette richesse. « Regardez autour de vous, il n'y a rien. Ici on vit dans la misère. Pourquoi est-ce qu'on ne profite pas des revenus de notre commune après les ventes légales des cèdres », s'insurge Ahmad, un villageois. « On n'a pas de travail, pas d'écoles, pas d'hôpitaux. On demande des emplois, des équipements, des projets pour nous aider, pour que nos conditions de vie s'améliorent », conclut-il.
Les responsables de la direction des Eaux et Forêts réfutent pour leur part les accusations des villageois. « Quand on attrape quelqu'un, forcément il va accuser le garde-forestier. Mais il n'a pas de preuve incontestée pour dire qu'il a donné de l'argent au garde-forestier », déclare Mohammad Chedid, du centre du développement et de la protection des ressources forestières. Pour l'universitaire Abdeslam Ouhejjou, « l'abattage incontrôlé du cèdre entraîne une érosion et une désertification, qui menacent l'équilibre écologique de l'ensemble de la région ». « Les forêts du Moyen-Atlas sont la principale réserve d'eau du Maroc et tout déséquilibre a des répercussions au niveau de l'ensemble du pays », prévient-il.
©AFP
commentaires (0)
Commenter