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Moyen Orient et Monde - Le point

Les faux paris

Prenez des jeunes, doux idéalistes convaincus que le monde leur appartient déjà, nourris au sein de Facebook ; saupoudrez d'une bonne dose d'aînés gagnés soudain par cet accès d'acné juvénile. Placez cette drôle d'alliance face à des régimes pourris jusqu'à la moelle, adeptes du bâton sans son pendant naturel qui est la carotte. Laissez agiter le tout, lancez ce gigantesque cocktail Molotov dans la rue et observez le résultat : des morts, des blessés, des dégâts, des accusations d'ingérences étrangères. Et la plus formidable impasse de ce siècle ânonnant en sus de ses premières années des principes qu'il ne sait avec quelles pincettes prendre.
On en est là aujourd'hui, deux mois après le formidable tsunami dont le passage a tout balayé, en Tunisie comme en Égypte. D'un côté donc, deux pays où l'exaltation des premières heures a cédé la place à l'incertitude, à peine masquée par une stérile fuite en avant ; d'un autre côté, des dirigeants qui s'accrochent en cédant magnanimement des broutilles, dans l'espoir de gagner du temps. En attendant quoi, au fait ? Eux-mêmes seraient bien en peine de le dire. La lassitude de la contestation? Des réformettes qui ne feraient que creuser encore plus un appétit populaire de plus en plus vorace ? Une intervention d'une tierce partie - dont l'identité reste à déterminer ? Ou encore que Frères musulmans et salafistes de tout acabit finissent de se faire les dents ? Peut-être aussi qu'ils attendent la confirmation sur le terrain du terrible jugement jadis formulé par Danton, convaincu, lui, que la révolution dévore ses enfants.
Du Caire, un éditorialiste américain ramène l'impression d'avoir assisté à un « festif désordre » (« joyous confusion », écrit-il). Si ce n'est pas encore la nouba, c'est un tableau fort approchant qui se dégage des innombrables scènes de rue. Mais la façade commence à montrer d'inquiétantes lézardes. C'est la Bourse qui, après un arrêt forcé entre le 27 janvier et le 23 mars, peine à redémarrer malgré les efforts de son nouveau patron, Mohammad Abdel Salam. C'est l'immobilier, auquel les promoteurs tournent maintenant le dos, à nouveau tentés de se replier sur Dubaï. Dans ce secteur, en plein boom l'an dernier, les investissements ont été divisés par deux, au grand dam des sous-traitants. C'est l'univers des loisirs qui affiche sa morosité « parce que les gais noctambules ont déserté Le Caire, et pas seulement à cause d'un couvre-feu certes allégé mais toujours en vigueur entre 2 heures et 5 heures du matin ». Le raïs et sa camarilla sont partis, hier encore accusés d'être la cause des sept plaies nouvelles qui se sont abattues sur le pays, mais c'est à croire que chez le bon populo le cœur n'y est plus.
Tout se passe comme si, au vu du cours que prennent les événements au Yémen, en Libye, à Bahreïn, Hosni Moubarak et Zineddine Ben Ali se prennent à regretter d'avoir consenti à prendre une retraite par eux jugée anticipée. Il aurait suffi, doivent-ils se dire, de tenir un peu de temps, quelques jours peut-être, pour voir l'espoir changer de camp, le combat changer d'âme. Ne pouvant ramener en arrière les aiguilles de l'horloge, le successeur malheureux d'Anouar Sadate se drape aujourd'hui dans les oripeaux de la dignité outragée, défend sa réputation et son intégrité et va jusqu'à se dire victime d'une véritable campagne de diffamation. On entend aussi s'élever ici et là des voix pour dénoncer « le traitement indigne » infligé à l'ancien président de la République, « un homme qui a loyalement servi son pays trois décennies durant ». On dirait que, le temps aidant, une auréole nimbe de probité candide le chef des hommes qui trop longtemps ont tenu entre leurs mains le sort de leurs semblables. Une réaction que l'on observe sous d'autres cieux, en France par exemple où jamais Jacques Chirac n'aura plané aussi haut au firmament politique, tout comme hier aux États-Unis certains jugeraient que l'on avait été outrageusement sévère avec le Richard Nixon du Watergate, et où Bill Clinton s'est refait une virginité, parvenant à effacer l'infamant souvenir du Monicagate.
C'est ainsi et l'on n'y peut rien : les peuples ont tendance - pas tous, pas tout le temps, pas partout - à se montrer indulgents envers les tyrans. Avec l'anarchie qui prévaut depuis des semaines, eux partis, renaît le goût du « law and order » que l'Occident chérit par-dessus tout. Les autocrates jouent sur cette fibre, mais aussi sur l'épouvantail de l'extrémisme religieux, pour déclarer la guerre à leurs sujets. En recourant à ce subterfuge, ils ont réussi, à défaut de circonvenir leurs concitoyens, à enrôler sous leur douteuse bannière des puissances que l'on avait connues autrement plus soucieuses de liberté et d'égalité, sinon de fraternité.
Pour combien de temps encore ? Le temps qu'il faudra pour que, enfin mûr, le fruit tombe de lui-même.
Prenez des jeunes, doux idéalistes convaincus que le monde leur appartient déjà, nourris au sein de Facebook ; saupoudrez d'une bonne dose d'aînés gagnés soudain par cet accès d'acné juvénile. Placez cette drôle d'alliance face à des régimes pourris jusqu'à la moelle, adeptes du bâton sans son pendant naturel qui est la carotte. Laissez agiter le tout, lancez ce gigantesque cocktail...
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