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Moyen Orient et Monde - Le point

Courage, fuyons !

En d'autres temps, on aurait parlé de « révisions déchirantes ». Il faut croire qu'en soixante ans, le vocabulaire diplomatico-militaire a bien changé puisqu'il est question maintenant de « modifications mineures dans la conduite des opérations en Libye ». En clair, cette délicate litote couvre le retrait par le Pentagone des avions US qui participaient aux frappes ciblées, une tâche confiée désormais aux seuls appareils européens dans le cadre de l'opération baptisée « Protecteur unifié ». Commentaire de Carmen Romero, porte-parole adjointe de l'Alliance atlantique : « Les États membres de l'OTAN peuvent ainsi prendre une plus grande part active au conflit aérien. »
Il est clair que, parvenu à mi-mandat, Barack Obama ne désire nullement se retrouver avec une troisième guerre sur les bras. Florilège des observations contenues dans Humberjack, bulletin édité par les étudiants de la Humboldt State University (Californie) : « Qu'irions-nous faire là-bas ? », « Nous n'avons pas les moyens de financer pareille aventure », « Quels intérêts prétendons-nous défendre ? » Enfin cette remarque frappée au coin du bon sens : « S'ils veulent la démocratie, les Libyens devraient se battre pour elle », car « les meilleurs plats sont ceux que l'on prépare à domicile ». Le sénateur républicain Rand Paul, un teapartier, a tenté il y a deux jours de faire voter un amendement rappelant que seul le Congrès dispose de l'autorité constitutionnelle de déclarer la guerre. Situation embarrassante pour l'administration démocrate puisque l'auteur du projet citait à l'appui de sa démarche une déclaration d'Obama faite en 2007 au Boston Globe : « Le président ne peut autoriser unilatéralement une attaque en l'absence d'une menace imminente. » Le texte a été rejeté par 90 voix contre 10, l'article 2 de la Loi fondamentale stipulant que l'hôte de la Maison-Blanche « est aussi le commandant en chef de l'armée ».
À la suite du « retrait US de la coalition agressive colonialiste croisée », rapporte l'agence officielle libyenne JANA, « le frère leader de la révolution » a adressé hier un message à Washington au moment même où, à son invitation, un ancien Congressman, Curt Weldon, débarquait à Tripoli dans l'espoir de convaincre le guide de se retirer. C'est lui-même qui faisait état de cette louable intention dans une tribune du New York Times, quelques heures avant d'embarquer pour la capitale libyenne, fort de sa connaissance acquise lors d'une précédente virée entreprise en 2004. Les paris sont déjà pris sur la réponse qu'il obtiendra à sa requête...
Complétons le tableau de l'étrange et fort brève odyssée yankee en terra incognita. Mardi, la justice fédérale a renoncé aux sanctions financières qui frappaient depuis le 15 mars Moussa Koussa, qui fut chef des services secrets, ministre des Affaires étrangères et principal conseiller (repenti depuis) de Mouammar Kadhafi et réfugié la semaine dernière à Londres où il éclaire ses nouveaux mentors sur les lubies de leur ancien protégé. Le personnage avait fait parler de lui il y a trente ans, quand, toujours à partir de la capitale britannique, il avait déclaré à un journaliste du Times qu'il était favorable à l'assassinat de tous les opposants au régime. Au fait, pourquoi cette soudaine mansuétude ? Pour, a-t-on fait savoir en haut lieu, donner des idées à d'autres responsables désireux de suivre la même voie. Pas très moral peut-être, mais combien clair.
À Benghazi, pendant ce temps, il en est qui affichent leur mécontentement devant la tournure prise par les événements. Le général Abdel Fattah Younès, chef militaire de la rébellion, en veut aux 28 membres de la coalition européenne « qui croient nous rendre service en lançant quelques raids sporadiques mais qui abandonnent les habitants de Misrata à leur triste sort ». Et de prédire que, au rythme où se déroule la guerre, la ville sera rayée de la carte d'ici à une semaine.
Ah ! Si seulement les violons libyens étaient accordés. Mais entre les chefs, on ne saurait dire que la coordination soit parfaite. Le même Younès est mal vu par ses collègues, en particulier l'ancien général Khalifa Heftar, récemment rentré de son exil américain et chef autoproclamé des opérations, et par Omar el-Hariri, récemment relâché des geôles du régime et catapulté au poste purement honorifique de ministre de la Défense. Il en est de même à tous les autres échelons de la direction collégiale rebelle, la mésentente même pas cordiale s'expliquant par une ankylose démocratique de plusieurs décennies qui finira par avoir raison des ennemis du pouvoir en place.
Facile dès lors de comprendre le repli « tactique » de Washington, où l'on n'aimerait surtout pas se voir rappeler pour l'occasion les glorieuses expériences irakienne et afghane pour justifier la soudaine volte-face. Après tout, à chacun son tour, la goulée de sable.
En d'autres temps, on aurait parlé de « révisions déchirantes ». Il faut croire qu'en soixante ans, le vocabulaire diplomatico-militaire a bien changé puisqu'il est question maintenant de « modifications mineures dans la conduite des opérations en Libye ». En clair, cette délicate litote couvre le retrait par le Pentagone des avions US qui participaient aux frappes...

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