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Moyen Orient et Monde - Le point

Le danger afghan

Dans un monde arabe en pleine ébullition, la semaine s'ouvre sur « deux trahisons », autant dire deux non-événements : Washington a décidé de lâcher Ali Abdallah Saleh et les fils de Kadhafi ont feint de lâcher leur père. En d'autres temps, la double nouvelle aurait fait monter le mercure dans le baromètre politique ; aujourd'hui, elle suscite un froncement de sourcils tout juste poli tant grandes sont les exigences et limités les choix des régimes en place. Après l'avoir longtemps, trop longtemps, soutenu, les États-Unis ne croient plus le président yéménite capable de mettre en branle le chantier des réformes. Pas plus qu'ils ne font confiance à Seif el-Islam et Saadi pour une transition en douceur vers une démocratie aux contours volontairement flous. Voilà au moins qui est clair après des semaines d'un flottement du plus mauvais aloi.
Si Barack Obama a pris la décision d'intervenir contre le colonel, c'est que, dit-il, il ne voulait pas attendre « les images de massacres et de sépultures de masse avant de passer à l'action ». Louable intention, s'agissant d'une contrée, l'a-t-on suffisamment répété ces temps-ci, qui recèle en son sous-sol cette matière éminemment précieuse et inflammable qui s'appelle le pétrole. La Libye est ce pays entré à la mi-mars dans le cyclone moyen-oriental, dont l'opposition abrite dans ses rangs de timides libéraux mais aussi d'authentiques islamistes, vétérans des guerres d'Irak et d'Afghanistan. Témoignant la semaine dernière devant le Sénat, l'amiral James Stravridis, commandant des forces de l'OTAN en Europe, a fait état de la présence parmi les insurgés d'éléments d'el-Qaëda (ou du Hezbollah, a-t-il pris soin de souligner...). Plus précis, Abdel Hakim el-Hassidi, dans une interview à Il Sole 24 Ore, indique que parmi ses recrues il existe 25 éléments de l'organisation d'Oussama Ben Laden. L'homme sait de quoi il parle : capturé par les Américains en 2002 à Peshawar, au Pakistan, il avait passé cinq années dans un camp de l'Est afghan puis transféré en Libye où il avait été remis en liberté en 2008.
Deux autres petits chefs de guerre se retrouvent présentement (mais pour combien de temps ?) du « bon côté » de la barricade : Soufyan ben Qoumou et Salah el-Barrani. Le premier, chargé d'organiser des collectes de fonds pour l'organisation terroriste, a été relâché en 2007 de Guantanamo après six ans de détention ; le second est un ancien du Groupe de combat islamique, une émanation des combattants libyens qui avaient fait le coup de feu contre l'armée Rouge. Moins rassurant encore, le chef de l'État tchadien Idriss Deby Itno croit savoir qu'el-Qaëda a réussi à mettre la main sur des missiles sol-air, des armes dont il ne fera pas cadeau, on peut s'en dire certain, aux mutins de Benghazi.
On s'inquiète de voir Anouar el-Awaliki exulter devant le succès de tous ces soulèvements. Nous connaissons un moment d'extrême allégresse ; je me demande d'ailleurs si l'Occident comprend le sens véritable de ce qui se passe, écrit-il dans Inspire, la revue d'el-Qaëda paraissant en anglais. Il a raison de douter de la perspicacité de cet Ouest aux idées désespérément simples. Face à tout cela, comment éviter le réveil de souvenirs pas si vieux et tellement dérangeants quand, du côté de Kaboul, sous la tunique des moujahidine, armés par les USA, pointait déjà le bout du turban des talibans et autres guerriers de Ben Laden ? Combien dévastatrice peut s'avérer la myopie, on continue de le constater de nos jours en suivant les combats dans les montagnes afghanes et les frappes présentées comme « ciblées » bien qu'effectuées par des drones moins intelligents qu'on cherche à nous le faire croire. Et à chaque groupe de civils fauchés par ces tirs, répond une montée de la haine de l'envahisseur.
Alors ? Les rêveurs que nous sommes ont voulu entrevoir l'éclosion des premiers bourgeons d'un « printemps arabe ». Ce n'est pas tout à fait le cas, pas encore à tout le moins. Ce qui se passe autour de nous, c'est un début de réveil des peuples, certes, mais derrière les slogans merveilleusement généreux se cachent une âpre lutte pour le pouvoir et une course aux richesses avec de nouveaux concurrents. En Égypte, on donne déjà Amr Moussa vainqueur de la présidentielle à venir ; c'est un chef de tribu qui sera intronisé à Sanaa ; et les Tunisiens en sont encore à procéder au grand nettoyage qui leur permettra, espèrent-ils, de trouver enfin leur voie.
Les manifestants se disent convaincus que la victoire est au bout des défilés comme elle l'était jadis au bout du fusil, et sans doute ont-ils raison. Mais d'ici là, ils devraient se préparer à connaître des désillusions, à affronter des défections, quelques trahisons sans doute. Telle est, après le prix du sang, la rançon à payer. Dans un ouvrage majeur pour son temps (il fut publié en 1938), George Antonius retraçait les origines du nationalisme arabe, analysait la révolte de 1916 et plongeait ses lecteurs dans l'incroyable embrouillamini succédant à la Première Guerre mondiale. En près de trois quarts de siècle, il a coulé sous les ponts beaucoup d'eau. La même, hélas !
Dans un monde arabe en pleine ébullition, la semaine s'ouvre sur « deux trahisons », autant dire deux non-événements : Washington a décidé de lâcher Ali Abdallah Saleh et les fils de Kadhafi ont feint de lâcher leur père. En d'autres temps, la double nouvelle aurait fait monter le mercure dans le baromètre politique ; aujourd'hui, elle suscite un froncement de sourcils tout juste...
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