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Moyen Orient et Monde - Le point

Autres temps, mêmes mœurs

Curieux cocktail que cette opposition à Mouammar Kadhafi, dans laquelle on retrouve des tribus, des islamistes et d'anciens fidèles du camp au pouvoir ces quarante-deux dernières années. Le ciment qui les unit ? Leur haine du guide de la révolution, hier héros incontesté lorsqu'il se lançait, à la tête de ses « officiers libres » - un mouvement copié sur le modèle égyptien né dans le sillage de la défaite, la nakba, de 1948 -, à l'assaut de la branlante forteresse en place, bien mal défendue, il faut en convenir, par le roi Idriss Senoussi. Étrange aussi la volte-face du colonel, qui sollicite aujourd'hui le soutien de ceux-là mêmes qu'il a longtemps combattus. Drôle de coalition, enfin, cet assemblage politico-militaire occidental fait de bric et de broc, incapable de se doter d'un commandement unifié et comme soucieux, pour reprendre la célèbre expression de Brecht, de se garder de « l'ivresse d'être d'accord ».
Londres et Paris semblent avoir pris le parti d'ignorer l'aspect extrémiste de la guerre civile engagée à partir de Benghazi la rebelle contre Tripoli l'ennemie historique. Jamais l'Est ne s'est résigné à admettre sa nouvelle condition de parent pauvre, lui qui fut le fils prodigue de la monarchie. Le général Abdel Fattah Younès, ancien ministre de l'Intérieur et ex-chef des forces spéciales, se retrouve maintenant à la tête des rebelles, imité en cela par d'autres militaires. Ces temps-ci, il est de bon ton d'axer les analyses des uns et des autres sur l'aspect tribal du conflit. Seif al-Islam Kadhafi ne disait pas autre chose lorsqu'il brandissait il y a une dizaine de jours la menace d'une guerre civile, conduite par les chefs coutumiers, qui serait attisée en sous-main par son père. Ironique et paradoxale situation quand on songe que c'est le « Akh Mouammar » lui-même qui avait entrepris il y a longtemps d'abattre les colonnes du temple en débarrassant la femme libyenne des contraintes passées - elle est désormais libre de travailler, de choisir sa tenue vestimentaire,etc. - en accélérant le programme d'instruction - taux d'alphabétisation : plus de 80 pour cent - et par voie de conséquence l'exode vers la cité. Pour les besoins d'une cause difficilement défendable, l'on prétend maintenant revenir aux mœurs anciennes, au risque de donner au conflit un aspect encore plus complexe et d'éloigner davantage les échéances.
La Libye, c'est non moins de 140 tribus ou clans, matés tant bien que mal à coups de répressions sauvages ou d'inégales répartitions d'une générosité qui doit beaucoup au pétrole et bien plus à l'humeur du chef installé au haut de la pyramide. Un exemple de cette complexité à laquelle l'Occident n'entend rien : les Kadhafa sont les ennemis jurés des Megrahi (dont l'un des membres est Abdel Basset Ali, l'homme de l'attentat de Lockerbie), eux-mêmes proches des Warfalla, dont sont issus les Zintan. Cet écheveau, on le retrouve à tous les niveaux de la vie publique, au sein de l'armée aussi bien que dans les divers rouages de l'administration. Si l'on ajoute à cela le fait qu'au stade politique, la démocratie demeure un concept plutôt vague, on comprend que l'issue de la guerre engagée depuis quelques jours est rien moins que certaine.
Tout comme, plus loin, elle l'est au Yémen. Le soutien tribal à son pouvoir a toujours constitué le principal souci de Ali Abdallah Saleh, qui vient d'entamer la trente-deuxième année de son long, trop long mandat. Cet ancien tankiste a fait de son appartenance tribale une arme, utilisée pour enrôler dans l'armée - quand ce n'était pas par le biais de mariages - ses lointains cousins des Sanhane. Face à ce puissant groupe, on retrouve, étroitement liés aux Hached dont ils font partie, les Ahmar, dont le chef s'est joint aux adversaires du président, choisissant de le faire à l'occasion d'un meeting tenu le 26 février en présence de plusieurs milliers de ses partisans. Ce jour-là, cheikh Hussein el-Ahmar n'a pas hésité à comparer le chef de l'État aux imams qui ont régné sur le pays jusqu'à la révolution de Abdallah Sallal, en 1962. Le sommet de la hiérarchie militaire n'a pas tardé à suivre le mouvement quand le général Ali Mohsen el-Ahmar, commandant le district nord dont fait partie la capitale Sanaa, a lui aussi fait acte d'allégeance aux rebelles. Bien que dirigée elle aussi contre Saleh, l'insurrection des Houthi est à distinguer de celle des autres grandes tribus. Religieusement d'abord (le groupe est composé de zeidites), politiquement ensuite (le langage est plus dur et plus revendicatif), alors que la communauté passe pour être proche de l'Iran et se bat contre la discrimination dont elle dit faire l'objet.
Liberté, démocratie, ici et là ? La réponse à la première question est oui ; elle devrait être plus nuancée à la seconde.
Curieux cocktail que cette opposition à Mouammar Kadhafi, dans laquelle on retrouve des tribus, des islamistes et d'anciens fidèles du camp au pouvoir ces quarante-deux dernières années. Le ciment qui les unit ? Leur haine du guide de la révolution, hier héros incontesté lorsqu'il se lançait, à la tête de ses « officiers libres » - un mouvement copié sur le modèle égyptien né...

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