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I- Lecture géopolitique de la situation des chrétiens d’Orient - Première partie

Les chrétiens du Moyen-Orient à la lumière du problème des minorités

1 - Le problème des minorités est considéré comme l'aspect le plus saillant de ce qui a été connu dans l'histoire sous le nom de « Question d'Orient », laquelle a focalisé l'attention de l'opinion publique locale et européenne pendant plus d'un siècle. La question qui se posait à tous au niveau et en dehors du pouvoir ottoman était la suivante : comment les groupes minoritaires dans l'Empire ottoman peuvent-ils préserver leur existence, leur présence, leur liberté et leur sécurité, en d'autres termes leurs droits à une citoyenneté à part entière, dans un État qui pratique le pouvoir jacobite et qui opprime les minorités ?
2 - Il ressort de la définition juridique des minorités telle qu'établie par les Nations unies qu'« une minorité est un groupe dont le nombre est inférieur aux autres habitants de l'État, qui n'est pas dans une position dominante, et dont les membres ont des spécificités religieuses, ethniques et linguistiques qui diffèrent de celles des autres habitants. Ces citoyens font montre, ne fût-ce que d'une manière implicite, d'un sentiment de solidarité entre eux dans le but de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue ».
3 - Les chrétiens ont constitué des groupes minoritaires dans la plupart des pays du Moyen-Orient après avoir représenté par le passé la majorité autochtone dans ces pays. Ils sont par voie de conséquence un facteur fondamental du problème des minorités dans la région. Poser le problème des minorités chrétiennes revient à poser, de manière concomitante, le problème de toutes les minorités et de la nature de leurs relations qui existent, ou celles qui devraient exister, entre elles et la majorité arabe sunnite dans l'ensemble du monde arabe.
4 - Les sociétés au sein desquelles existent des minorités se caractérisent par un manque de cohésion sociologique. Cela n'est pas dû uniquement à ce qui est qualifié de clivage religieux, ethnique ou linguistique, mais à des clivages dont la plupart sont d'ordre clanique, tribal, démographique, ou socio-économique, ou aussi à des différends historiques, à des luttes autour de symboles géographiques et religieux, à des combats menés contre l'oppression, l'injustice et la marginalisation, à la volonté d'une minorité de se munir d'une force de manière à contrôler la majorité. Une telle éventualité est réelle, et il existe plus d'un exemple sur ce plan au Moyen-Orient et ailleurs !
5 - Le clivage le plus répandu et le plus profond qui se présente au Moyen-Orient est le clivage religieux et communautaire. C'est à la lumière d'un tel clivage que se définit la conception de l'État, du pouvoir, de la citoyenneté, des valeurs, du mode de vie et, par conséquent, la perception des minorités, dont les chrétiens. Cela est dû au fait que cette région est le berceau des trois religions monothéistes et, de ce fait, elle rassemble la plus grande concentration de symboles religieux (géographiques) dont un certain nombre sont la source de conflits entre le judaïsme, la chrétienté et l'islam. L'exemple le plus frappant à cet égard se manifeste en Palestine. Son détonateur est le conflit arabo-israélien.
6 - L'approche véritable en vue d'aboutir à une entente et une solidarité entre la chrétienté et l'islam ne repose pas uniquement sur le dialogue. Ce qui est le plus important sur ce plan est de mettre l'accent sur certaines questions essentielles dans l'histoire religieuse qui constituent les grands principes de l'idéologie religieuse et que tout un chacun doit comprendre et respecter car elles sont l'expression non pas de points de vue mais de réalités sacro-saintes !
a - Toute religion considère qu'elle est la religion vraie, la religion de Dieu.
b - Sous l'effet du facteur « temps », les religions qui se sont inspirées des religions qui les ont précédées considèrent ces dernières comme un simple prélude (le judaïsme par rapport à la chrétienté, et la chrétienté et le judaïsme par rapport à l'islam). Afin de fermer la porte à toute nouvelle religion, les théologiens musulmans estiment que l'islam est une religion globalisante (la religion de toute l'humanité), une religion absolue (la religion de tout l'univers, de tout ce qui est sur la terre et dans les cieux), et une religion définitive (l'islam est venu clôturer l'émergence des religions et le prophète Mohammed est le dernier messager de Dieu).
c - Il existe une différence théologique entre un Dieu unique, transcendant, en dehors du temps, avec lequel nous sommes en contact par la foi, la contemplation et la sagesse (le Dieu des juifs et des musulmans), et le Dieu qui est descendu, qui est rentré dans le temps et dans l'Histoire afin de libérer l'Homme en devenant homme et en habitant parmi nous (le Christ Jésus, fils de Dieu, le Dieu des chrétiens). Saint Paul a dit sur ce plan que « le Christ nous a libéré afin que nous soyons libres » (Gal. 1 /5 ).
d - C'est au niveau de ce point précis que se définit le noyau central idéologique musulman, qui est « l'unité » , et le noyau central idéologique chrétien, qui est la « liberté », ou ce que le pape Benoît XVI appelle « la dignité humaine » considérée comme « le pivot de la morale chrétienne ».
Ainsi, dans l'esprit musulman, l'unité de Dieu se transpose dans l'unité de l'État, et par la suite dans l'unicité du pouvoir, du gouverneur, du parti, des systèmes, des valeurs et des modes de vie, à un point tel qu'un grand penseur musulman, Mohammad Arkoun, a dit sur ce plan : « Les Arabes et les musulmans ont constamment perçu la question de l'État sous l'angle d'un centralisme unificateur. Aucun dirigeant politique arabe ou musulman, ni personne d'autre, n'a songé à avoir une vision complexe de l'État comme solution politique au problème du pluralisme culturel au niveau de la société civile. Force est de relever dans ce cadre que la reconnaissance de la pluralité et de la diversité n'est pas en contradiction avec l'idée de solidarité et d'unité, mais, au contraire, elle la renforce car elle l'a rend plus réaliste et plus humaine. »
Il reste qu'un leader politique arabe, libanais et musulman, a brisé récemment une telle barrière en ayant une vision avant-gardiste de l'entité - de l'État complexe -, de l'Homme, de la minorité... Mais nous y reviendrons plus tard.
7 - Les groupes minoritaires chrétiens au Moyen-Orient, à l'instar des groupes minoritaires musulmans dans les pays occidentaux, ont été soumis, et sont soumis, à des pressions de la part de la majorité. Ces pressions peuvent être résumées par les défis suivants :
a - Le défi géographique qui consiste à arracher le groupe minoritaire de sa base géographique et historique, à rompre son lien avec la terre, et à l'en déloger. Il deviendrait alors plus facile de contrôler ce groupe et d'affaiblir sa présence après l'avoir privé de sa base géographique qui lui assure la stabilité, la pérennité et la force. En d'autres termes, on chercherait à l'éliminer géographiquement afin de l'éliminer de l'Histoire !
b - Le défi démographique. La démographie représente un critère fondamental de la force du groupe. D'où la nécessité de diminuer le poids démographique du groupe par tous les moyens possibles : l'exode, la naturalisation, l'implantation ...
c - Le défi ethnique qui consiste à imposer une certaine identité au groupe en ayant recours à la pression politique et militaire, alors même que l'identité du groupe est l'essence de sa conscience collective et ne saurait lui être imposée ou façonnée par autrui.
d - Le défi linguistique, en ce sens que la majorité a tendance à occulter, ou s'emploie délibérément à marginaliser la langue de la minorité qui constitue un paramètre fondamental de son identité, d'autant qu'elle représente la langue de ses pratiques religieuses et liturgiques ainsi que l'expression de ses spécificités et sa pérennité dans l'Histoire. D'une manière générale, les langues internationales s'imposent à tous dans un pays comme le Liban ...
e - Le défi sociologique. La majorité dans ce cas tente d'imposer à la minorité un mode de vie déterminé au niveau des traditions culinaires et vestimentaires, de la consommation des boissons (alcoolisées), de l'habitat (le cas le plus frappant est le problème du voile islamique en Occident et celui de la construction d'églises en Orient).
f - Le défi au niveau de la pensée. Deux idéologies se font face, généralement, sur ce plan : l'idéologie de la majorité et celle de la minorité. L'idéologie des minorités apparaît et se développe sous l'effet de l'oppression dont la minorité est la cible de la part de la majorité. Ceci transforme le conflit entre les deux parties en une confrontation globale qui prend une tournure grave et aiguë du fait de l'équilibre des forces entre les deux parties et selon que la minorité est de la périphérie ou du centre dans la société dans laquelle elle vit. Sans compter les ingérences étrangères qui exploitent cette situation pour étendre leur influence et servir leurs intérêts, aggravant ainsi, généralement, le problème...
g - Le défi institutionnel. Les institutions constituent le nerf et l'épine dorsale de la collectivité. Si elles s'effondrent, la collectivité s'effondre avec elles. La majorité s'emploie ainsi à affaiblir, à paralyser et à détruire les institutions des minorités, notamment celles qui revêtent un caractère sécuritaire, ainsi que les institutions politiques, culturelles et même religieuses. Si elles ne sont pas minées de l'extérieur, elles le sont de l'intérieur sous l'effet des dissensions, des propositions alléchantes ou des pressions.
En résumé, la majorité qui a pour responsabilité fondamentale de régler le problème des minorités, œuvre par tous les moyens à paralyser le dynamisme historique des groupes minoritaires, considérés comme une entité « autre » et différente au sein de la société et de l'État. Ceci rend la situation plus complexe et fait que les minorités, dont la minorité chrétienne, sont la cible d'accusations de félonie, de discrimination et d'oppression. Ceci accroît aussi la réaction de la minorité face à la réaction de la majorité, sur le plan social et / ou au niveau du pouvoir à l'ombre de la montée du fondamentalisme musulman. La solution ne saurait être envisageable si le régime est minoritaire musulman, s'appuyant, comme soutien, sur la minorité chrétienne dans l'équilibre de forces interne avec la majorité ...
1 - Le problème des minorités est considéré comme l'aspect le plus saillant de ce qui a été connu dans l'histoire sous le nom de « Question d'Orient », laquelle a focalisé l'attention de l'opinion publique locale et européenne pendant plus d'un siècle. La question qui se posait à tous au niveau et en dehors du pouvoir ottoman était la suivante : comment les groupes minoritaires...