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Liban

Un homme de légende, un modèle pour des milliers de Libanais

Il y a bien longtemps, peut-être 26 ans déjà, qu'il a arrêté d'être mon père et moi d'être le fils. Il y a bien longtemps que notre relation a mué en une relation d'affection où je suis devenu un observateur qui se considérait privilégié d'avoir pu côtoyer cet homme source de tant d'exemple et d'inspiration et en même temps si peu imitable.
Ce père aux mille facettes : énergique, droit, et cultivé ; solide, tendre et affectueux ; taquin, exigeant, rigoureux et tolérant à la fois ; sportif de haut niveau, courageux et même téméraire ; homme de principe, idéaliste, mais pas naïf ; tellement sociable, tellement social, et si solitaire à la fois. Si intense et tellement discret. Ce « leader » naturel, dont la réputation touche à la légende, mais si peu attaché aux relations de pouvoir et si modeste à la fois. Ce père si croyant et si spirituel, mais ne cherchant à convertir personne. Ce père 100 000 volts qui refusait d'utiliser les ascenseurs pour plutôt gravir les marches 4 à 4. Cet homme attachant et sympathique, si proche et si indépendant, unique parmi les uniques, il me sera difficile de le décrire de manière complète.
Il y a certes eu le héros de la bataille de Malikiyé, la seule bataille gagnée par les Arabes en 1948, qui a osé attaquer l'ennemi, 600 mètres à découvert. Il y a certes eu les 14 « années Fouad Chéhab ». Il y a certes eu plusieurs distinctions, médailles et croix de guerre bien méritées et d'autres faits encore qui ont façonné l'homme public. Mais au moment où j'étais né, tout cela était déjà du passé et la légende bien implantée. J'avais le choix entre hériter ou chercher l'homme dans ma réalité.
Si j'écris aujourd'hui, c'est pour parler du père qui m'a touché au plus profond de moi-même. Parce que si la légende est belle, la réalité est par endroits encore plus belle !
J'ai connu un homme qui offrait au mariage de chaque officier trois cendriers à l'intérieur desquels étaient gravés trois mots : « Le livre », « La prière » et « Le sport ». Des valeurs théoriques pour un enfant qui ont pris tout leur sens avec le temps.
Le sport était au-delà de sa passion, sa mission. La passion de se dépasser ; la passion de représenter le Liban dans les compétitions internationales. (...) Pour le livre, il est facile de prêcher, mais lorsqu'on a connu un homme qui lisait quatre livres à la fois on comprend mieux l'engouement pour la culture (...) La prière a cependant été l'aspect qui m'aura le plus marqué. Durant notre jogging matinal, j'entendais des fois papa murmurer. Lorsqu'un jour je lui fis la remarque, sa réponse était claire : « Quand je cours, je prie : pour vous, ma famille en premier, pour les gens dans le besoin ; pour les gens qui ont quitté ce monde pour que Dieu les épargne. Je prie aussi pour ceux qui au fil des ans m'ont fait du mal pour que Dieu leur pardonne. »
Plus tolérant que cela il était difficile d'avoir. Pour moi qui me posais des questions existentielles cela ne me suffisait pas. Un événement crucial se produira durant une phase difficile de ma carrière, dont je le tenais régulièrement au courant. Un jour il me dit : « J'aimerais t'offrir un chapelet, viens chez moi à la fin de notre jogging ». Ce qui a suivi était inoubliable. J'ai vu son visage s'illuminer d'une expression que même les meilleurs acteurs seraient incapable de simuler. Cet homme était en train de me donner ce qu'il avait de plus beau et de plus précieux ! Par la suite il me dira à plusieurs reprises : « Prie ! J'y crois. Ce n'est pas des blagues ! »
Si les valeurs affichées étaient au nombre de trois, celles appliquées étaient autrement plus nombreuses. Papa était, malgré son attitude extravertie, un homme secret. Il était impossible à quiconque de savoir ce qu'il faisait lorsque le matin il quittait avec son chauffeur, même durant ses années de retraite, jusqu'au jour où le chauffeur après de longues années de service a décidé de prendre sa retraite. Un jour, il finit par lâcher le morceau : « Durant ces innombrables tournées secrètes, tout ce que ton père fait, mais vraiment tout ce que ton père fait, c'est de chercher à aider les nécessiteux, et rien d'autre. Il tapait à la porte de ses amis fortunés pour aider des gens dans le besoin. Dix dollars, cent dollars, mille dollars ; dans la mesure où il était clair qu'il ne demandait pas pour lui il n'avait pas de problème à prendre n'importe quel montant pour aider les autres !
Un masque était tombé, uniquement pour découvrir une réalité encore plus belle. Il n'avait simplement pas envie que quiconque remette en question ce qu'il faisait ou la manière dont il s'y prenait (...) L'homme a semé, beaucoup semé et bien au-delà de sa famille. Il a semé dans le cœur de la troupe ; il a semé chez les jeunes dont il savait être un redoutable motivateur. Il a semé dans le cœur de milliers de Libanais.
(...) Quand, dans les derniers mois, la maladie a frappé de plein fouet, nous n'avons jamais entendu, ne fût-ce qu'une seule fois, une plainte quelconque. Jusqu'au dernier jour, où il n'arrivait plus à faire 5 mètres sans haleter, quand
on lui demandait : « Ca va papa ? », la réponse était invariablement, attitude à l'appui : « Très bien ! ». Dieu sait si nous ne savions pas tous combien il souffrait en silence.
La veille de son départ, dans un élan prémonitoire dont seules les femmes semblent capables, ma mère me dit : » Aide ton père à se mettre au lit. » Je ne l'avais jamais fait. Il s'est levé seul pour rejoindre son lit, avec une énergie qui m'a surpris. Je l'ai bordé, et embrassé. Il s'est endormi comme un enfant. Je savais que la fin était proche. Je ne savais pas qu'elle était si proche.

 

Walid F. GÉNADRY

Il y a bien longtemps, peut-être 26 ans déjà, qu'il a arrêté d'être mon père et moi d'être le fils. Il y a bien longtemps que notre relation a mué en une relation d'affection où je suis devenu un observateur qui se considérait privilégié d'avoir pu côtoyer cet homme source de tant d'exemple et...

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